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En décembre 2015, 48 morceaux sublimes sont à écouter sur Douville's Jazz Radio

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Guillaume Apollinaire : La Colombe poignardée et le jet d'eau

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Guillaume Apollinaire
La Colombe poignardée et le jet d'eau
Calligramme
Douces figures poignardées chères lèvres fleuries
Mya Mareye
Yette et Lorie
Annie et toi Marie
Où êtes-vous ô jeunes filles
Mais près d'un jet d'eau qui pleure et qui prie
Cette colombe s'extasie
Tous les souvenirs de naguère
O mes amis partis en guerre
Jaillissent vers le firmament
Et vos regards en l'eau dormant
Meurent mélancoliquement
Où sont-ils Braque et Max Jacob
Derain aux yeux gris comme l'aube
Où sont Raynal Billy Dalize
Dont les noms se mélancolisent
Comme des pas dans une église
Où est Cremnitz qui s'engagea
Peut-être sont-ils morts déjà
De souvenirs mon âme est pleine
Le jet d'eau pleure sur ma peine.
Ceux qui sont partis à la guerre
au Nord se battent maintenant
Le soir tombe Ô sanglante mer
Jardins où saignent abondamment
le laurier rose fleur guerrière.

Un poème de Velimir Khlebnikov (1904)

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Un poème de Velimir Khlebnikov (1904)
Ô pèlerin, tu as vu
Comme le cheval parfois,
Ereinté, l’œil sauvagement aux abois,
Sur la surface des eaux, tranquilles et bleues,
Répand l’écume ?
Tu sais que les chevaux qui
Souffrent et endurent
Pleurent de l’écume ? Les larmes leur manquent.
Ô pèlerin, vois là-bas ce nuage
De si loin tout noir, aux bords déchirés,
Seul dans l’azur des cieux.
Sache que la terre a laissé échapper
Sur les eaux azurées des cieux
Au moment de souffrir - au moment de choir sous le joug du destin,
A laissé échapper cette écume.
Au moment où des lèvres les plus humbles
Est prêt à jaillir l’anathème…
Ainsi parlait l’arabe aux cheveux blancs,
Assis sur une pierre vieille comme le monde
Et qui dérangeait à l’aide d’un bâton la course ruisselante des flots


Lecture du n°40 de Psychologie Clinique à propos de la personne âgée par Pierrick Brient

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« Abords cliniques et psychopathologiques du sujet âgé »

Revue Psychologie Clinique, n°40, 2015/2
Editions EDK

Le numéro 40 de la revue Psychologie Clinique "Nouvelle série" nous propose un dossier sur la clinique du sujet âgé. La plupart des recherches sur le vieillissement  s'interroge sur la plainte mnésique comme nom d'une angoisse de perte, tandis que les situations institutionnelles et la construction sociale de la maladie restent peu explorées. Ici, les contributions tentent d'envisager, dans une dimension anthropologique, ce que certains dispositifs de soin proposent comme capacité subjectivante, chez un sujet qui insiste pour se faire entendre alors même que ses facultés de connaissance et de mémoire sont altérées. Dans cette perspective, Simon-Daniel Kipman, Président de l'Observatoire Francophone de la Médecine de la Personne, nous montre la place que peut avoir la psychanalyse dans l'approche du sujet âgé, en portant l'accent sur les particularités du transfert de ce sujet comme sur les modalités du contre-transfert : "On ne peut s'empêcher de projeter sur les personnes âgées que l'on rencontre un certain nombre d'associations toutes personnelles ou individuelles et des associations collectives quasi obligatoires", ce que l'auteur appelle des "fantasmes forcés". François Villa prolonge ce questionnement en interrogeant les conditions de possibilité d'une interdisciplinarité dans l'approche du vieillir. Nous montrant que l'épreuve du vieillissement ne se réduit pas à une lente dégradation mais en appelle au contraire à des ressorts de création et d'invention, il insiste sur la nécessité de repenser les questions d'autonomie et de dépendance. De ce point de vue, vieillir serait alors l'occasion d'une entame salutaire du narcissisme, rencontre du mensonge que contient le narcissisme.
"La santé mentale des personnes âgées influence-t-elle la façon dont elles perçoivent leur passé et leur avenir ?", interrogent Dov Schmotkin et Ido Averbuch, tous deux psychologues à l'Université de Tel Aviv et dont l’étude s’appuie sur le modèle de Shmotkin. La façon dont chaque sujet gère le temps a des conséquences. Si le passé agrandi de tel sujet âgé contient une forte accumulation d'évènements potentiellement traumatiques et qu'il envisage l'avenir bouché, une telle perspective ne peut qu'activer les images d'une menace intense, ce qui peut entraîner une détérioration. A contrario du sujet résilient qui, tirant des conclusions positives de son passé, disposera de moyens pour transformer le futur anticipé en signification et en valeur. Pour sa part, Joël Birman approche le vieillissement en termes historiques et biopolitiques, nous montrant qu'une autre représentation du vieillissement est apparue dans l'imaginaire social de l'Occident depuis une trentaine d'années. On ne s'intéresse plus aujourd'hui à la figure monolithique et monotone du vieillard mais à des processus de vieillissement, dans la mesure où l'image de la vieillesse s'est multipliée en diverses possibilités d'être et d'exister. Ceci n'a été possible qu'à partir de la nette amélioration de la durée de la vie. L'auteur donne une place toute particulière au discours psychanalytique en tant qu'il a rendu sa positivité à la problématique de la vieillesse et de la mort en portant l'accent sur la constitution généalogique du sujet. Edwige Rude-Antoine propose quant à elle une réflexion éthique posé sur la protection juridique des personnes âgées atteintes d’une altération de leurs facultés mentales et corporelles et la nomination d’un représentant légal. L’article prend en compte de la réforme de 2007 de la protection juridique des majeurs et soulève les questions qui se posent, selon que la protection est exercée par un représentant familial ou par un représentant professionnel. « La réflexion morale doit toujours être en alerte lorsqu’il s’agit de la situation d’êtres humains, qui en tant qu’êtres biologiques, sont sensibles, et susceptibles de souffrance, de subir toutes sortes de pressions physiques et morales de la part de leur environnement. Autrement dit, il s’agit de savoir sous quelle forme et jusqu’à quel point, dans le cadre de la protection de la personne âgée, les considérations morales doivent-elles interférer » conclut l’auteure.
L’approche clinique de ce dossier est précisée notamment par une recherche transculturelle sur le vieillissement dans le contexte d’un processus migratoire. Chaque sujet appréhende sa propre mort selon sa culture. Qu’en est-il alors pour le sujet migrant qui, du fait de sa double appartenance culturelle, doit se référer à des univers symboliques différents ? L J Ondoua et Yolande Govindama explorent cette question par une étude s’intéressant au devenir de sujets âgés d’origine sénégalaise, vivant leur retraite entre leur pays d’accueil et celui d’origine. Partant des raisons premières de la migration, cette étude, très riche (notamment par l’articulation qu’elle repère entre psychisme et culture), met l’accent sur la façon dont chaque sujet envisage le vieillir alors qu’il avait pu longtemps rester dans le mythe du retour au pays, qui contrebalançait sa difficulté à trouver une place dans sa culture d’accueil. « Si la culture lie les générations entre elles et permet de gérer l’angoisse de mort, soutient la pulsion de vie qui introduit celle de mort (…), nous pouvons voir ici que la culture d’accueil du sujet ne parvient pas à le contenir face à l’épreuve du vieillir, tout comme le pays natal tel qu’il est évoqué par le sujet ne semble pas non plus lui fournir de repères aptes à l’accompagner dans son travail du vieillir ». Si l’écoute clinique invite à ne pas réduire toute incidence psychique aux seules expressions culturelles du sujet, cette clinique elle-même appelle cependant dans de tels cas une double écoute, prenant en compte le rapport du sujet à la filiation, à son histoire et à son identité. C’est dans cette optique que Régine Waintrater aborde le cas du vieillissement des survivants d’un génocide. Pour un tel sujet, dresser un bilan de sa vie, comme le convoque le vieillir, le confronte à un paradoxe douloureux : « Pour lui ressenti est un danger, car tous ses affects sont entachés du vécu de la persécution ». Toute tentative de réaffectation court le risque d’approuver à nouveau la honte, la culpabilité et l’effroi, dans des proportions insoutenables, et donc, en tentant de lier ce qui est resté délié par auto-conservation, court le risque de confronter de nouveau le sujet à l’effraction traumatique. L’auteur illustre son propos par deux exemples : l’analyse de l’œuvre de Jean Amery, ainsi que son expérience clinique de sujets poussés par le vieillir à tenter de relier des fils que le génocide avait brutalement rompus. Monique Letang et Drina Candilis-Huisman se penchent pour leur part sur l’étrange renversement qui peut s’opérer quand la mère devient fille de sa propre fille, situation qui peut se produire lors du vieillissement de la mère et qui est à même de réveiller la haine que la fille vouait à la mère. Le rapport au corps maternel se trouve particulièrement mis en jeu dans une telle situation, des affects d’envie et d’horreur pouvant se trouver réveillés.
Dans son texte « Demain ! Quand je serais…petit » et à partir de son expérience de ceux qu’il appelle « les cumulards du temps », Serge G. Raymond interroge tant les approches contemporaines dominantes qui tendent à s’en tenir au traitement de la mémoire (« Combien de détériorations mentales pathologiques certifiées ont pu manquer d’arguments, au risque d’attrister les psychométriciens et d’enfermer les âgés dans un habit qui n’était pas le leur » ?) que les psychologues cliniciens confrontés à cette clinique particulière (« Que savent les psychologues du retentissement psychologiques des affections somatiques dues à l’âge ? Et que savent-ils (…) du retentissement somatique des affections psychologiques et de ce raisonnement bien éloigné de la démarche médicale » ?). Rappelant que l’examen médical est bien différent de l’examen psychologique, l’auteur explore de nombreuses facettes de ces problématiques, se demandant comment envisager l’évolution des involutions,  interrogeant le remaniement des paramètres du fait de l’âge, qui conduisent à des attitudes inattendues, dénommés là « syndrome de Diogène », ici « syndrome de glissement », ou encore questionnant la place du fameux stade du miroir dans la clinique du sujet âgé. C’est dans la prise en compte d’un certain rapport au temps et à la durée que cette clinique est à appréhender pour pouvoir reconsidérer nos dispositifs d’accompagnement et de partage. Emilie Guibert nous le montre bien en témoignant de son vécu clinique à travers la prise en charge institutionnelle du sujet âgé : elle examine, dans un contexte de maltraitance par négligence en gériatrie, la répétition quotidienne d’un acte mettant en évidence combien une institution peut précipiter ses sujets dans une compulsion organisée, témoignage d’un désaveu lourd de conséquences car entravant la construction du souvenir et donc empêchant une mise au passé de la maltraitance. L’auteure nous indique le bénéfice que peuvent apporter les espaces de parole, notamment en permettant une nomination du rapport transférentiel aux sujets dont les soignants ont la charge. Elle nous propose d’instaurer « un cadre clinique, à savoir un espace de parole entendu comme chemin vers une clinique où une élaboration de la relation de soins ainsi qu’une parole sur la maltraitance deviennent possibles ».Si les recherches sur le vieillissement ont eu un effet positif sur la santé publique, elles gardent une tendance à se tourner essentiellement vers les questions relatives à la mémoire, note Olivier Douville, qui conclut ce dossier. La plainte mnésique est d’ailleurs devenue le nom d’une angoisse de perte propre au vieillissement et qui n’est pas le plus souvent motivée par un tableau significatif ou inquiétant, précise-t-il, tandis que sont souvent mésestimées les bouleversements du narcissisme dans le processus psychique du vieillir, parfois jusqu’à la dissolution des repères imaginaires qui font tenir l’image du corps. Les approches reposant sur une conception de la personne réduite à ses capacités cognitives peuvent tendre à oublier que les réalités institutionnelles, le cadre, le temps, l’espace sont aussi, dans chaque cas, à interroger. L’auteur prend pour thème de travail la dimension du sujet qui insiste et se fait entendre, en détaillant l’observation d’une patiente âgée rencontrée dans le champ de la psychiatrie et qui présentait un état mélancolique et des hallucinations verbales. Rappelant les repères nosologiques et psychopathologiques nécessaires au clinicien, Douville attire notre attention sur le fait  que, sous des apparences ou des allures de démence, se nichent parfois des mélancolies résiduelles, discrètes, qui nous obligent à explorer trois points : les possibles antécédents de cotardisation, ou même simplement d’états de mélancolisation ; le rapport du sujet dit « dément » à sa langue maternelle, celle des premiers soins et des premières séparations ; les éventuels phénomènes élémentaires que le sujet aurait pu présenter dans l’enfance.
Ce dossier explore donc diverses aspects des approches cliniques du vieillissement et de la personne âgé, nous invitant à y reconnaître, au-delà des altérations neurologiques, un sujet qui parle et continue à se faire entendre, aux prises avec la finitude, avec sa façon particulière d’envisager celle-ci, de faire avec cette figure extrême de la castration qu’est la mort, comme le disait Freud, et pour un être vivant dont il nous rappelait que le premier devoir est de supporter la vie.
Pierrick Brient

Chronologie de la Psychanalyse du temps de Freud troisième épisode

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Chronologie : Situation de la Psychanalyse dans le monde, du temps de la vie de Freud

Épisode 3 - 1897-1900  Le renoncement à la “neurotica”, Freud commence a être lu aux U.S.A, parution de la Science des rêves



1897
Poursuite  de l'auto-analyse, avec une période très féconde en juillet, qui conduit Freud à ne plus mettre au premier plan la théorie traumatique des névroses (développée avec Breuer), une telle décision mènera à la reconnaissance de la sexualité infantile et du complexe d'Œdipe. Freud décide d'écrire un livre sur les rêves. « J'ai jeté un coup d'œil sur la littérature et je me dis, comme l'espiègle démon celte: "Que je suis content! Nul regard n'a percé le voile du déguisement de Puck". Personne ne soupçonne le moins du monde que le rêve, loin d'être quelque chose d'insensé, est bien une réalisation de désir. » (Lettre à  Fliess, 16 mai) Dans cette même correspondance,  Freud  propose la première interprétation de la pièce de Sophocle, Œdipe roi (lettre du 15 octobre) : « Chaque auditeur a été un jour en germe et en fantaisie cet Œdipe, et devant un tel accomplissement en rêve transporté ici dans la réalité, il recule d’épouvante avec tout le montant du refoulement qui sépare son état infantile de celui qui est le sien aujourd’hui ». Échanges avec Fliess à propos de la bisexualité et de la bilatéralité.  La théorie du « complexe œdipien » ne trouvera son exposé complet que dans les textes métapsychologiques de 1924.
Fliess publie Les relations entre le nez et les organes génitaux féminins présentés selon leur signification biologique, ……

Pour Noël, c'est édition spéciale sur Douville Jazz Radio...

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Renaissance, Poème de Steve Crow

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Steve Crow est né en 1949 en Alabama. Il est Cherokee/Irlandais.






 
Renaissance
La neige est une pensée
qui tombe, un souffle continuel
d'ascensions, de boucles,de spirales
de plongeons dans la terre
comme de blanches lucioles
désirant se poser, prises
dans la bourrasque
entre les maisons
plongées comme des mites
dans leur propre lumière
comme un qui s'étonne
que la neige soit une longue mémoire
d'aile qui traverse l'hiver.
Steve Crow (Indien Cherokee)

Martine Menès : La verlangue prend-t-elle la psychanalyse à l’envers ?

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La verlangue prend-t-elle la psychanalyse à l’envers ?*
Martine Menès[1]

Une nouvelle langue ?

J’emploie ce mot de verlangue, condensé de verlan et de langue, afin de désigner une langue qui n’a pas de nom, pas d’existence officielle, pas d’orthographe ; elle est exclusivement orale, et si elle passe à l’écrit, c’est le plus souvent sous forme homophonique[2], ce qui probablement met la métonymie au premier plan. Mais je ne fais qu’évoquer ce point qui demanderait une étude sérieuse, conjointement linguistique et psychanalytique. Ma question présente est d’explorer si la verlangue introduit une révolution dans la langue, ou bien si elle est simplement une modalité moderne du discours du maître ?
La verlangue n’est ni du verlan, ni de l’argot, ni une langue étrangère identifiable, ni du patois. C’est un mélange créatif de tout cela, en perpétuel changement, et cependant répondant à des règles linguistiques implicites, multiples, comparables en tout point à celles du langage à l’endroit. Le héros du film : Dernier étage gauche, gauche (toute ressemblance avec une position politique n’est sûrement pas fortuite), d’Angelo Cianci, l’utilise si largement qu’il a été impossible de les retranscrire. Impossible, je souligne, serions-nous à la porte du réel ? Le scénariste s’est contenté d’indiquer aux acteurs les attendus des scènes et ils ont improvisé dans cette verlangue. Ces passages du film sortent avec des sous-titres car ils sont peu ou pas compréhensibles. Et pourtant, cette verlangue, dans ses différences et sa fluctuation permanente, existe depuis plus de 30 ans, voire 40 aux États-Unis. Autrement dit, elle est déjà parlée par une deuxième génération et ne se limite pas, comme on le croit couramment, aux cités et aux banlieues où elle s’est développée sur le terreau d’un monde en équilibre instable entre exil et précarité, entre tradition et oubli, entre intégration et exclusion, entre passé muet et futur aveugle.
Beaucoup de travaux de sociologues portent sur la question des banlieues en général, et ceux de linguistes sur ce qu’ils appellent selon leur opinion préalable : le langage des jeunes[3], la langue des banlieues, ou le français contemporain[4], non sans ajouter alors : des cités. Le n° 34 du Journal français de psychiatrie, consacré à “La clinique des banlieues”, s’y réfère explicitement dans un article, et l’évoque comme facteur, mais symptomatique, dans deux ou trois autres.
Cette langue des rues – tous les sociolinguistes s’accordent sur cette spécificité, c’est une langue du dehors – se complexifie, se pérennise et s’étend jusqu’à la culture ambiante :
- à la télévision : dans de très bons téléfilms[5], diffusés l’été 2010, dont Conte de la frustration coréalisé par Akhenaton, qui est un rappeur ;
- au cinéma : outre, donc, dans Dernier étage, gauche, gauche, où elle a une place de choix, on la trouve dans Entre les murs de Laurent Cantet (d’après et avec François Bégaudeau), chronique de la vie d’une classe du XXe arrondissement ; dans L’Esquive d’Abdellatif Kechiche, où une décidée « prof » de français fait jouer à ses élèves Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, pièce fort d’actualité où il est question de la difficulté à échapper aux normes et règles de sa classe d’origine, et pourtant c’est ce qu’elle leur propose, cette enseignante, tandis que dans un contrôle policier musclé, une « fliquette » arrache le livre à Frida, une des jeunes actrices, et le jette à terre en hurlant « Qu’est-ce que tu caches là-dedans ? » Voilà qui rappelle La princesse de Clèves, connais pas
- et bien sûr au rap, j’y reviendrai.
La verlangue n’est pas forcément signe de déficit linguistique comme il est dit habituellement en déplorant la pauvreté de langage des jeunes. C’est même parfois le contraire. Une des premières recherches menée par William Labov[6] a démontré que si les adolescents de Harlem connaissent des échecs scolaires, ce n’est pas parce qu’ils sont moins intelligents que les autres élèves, comme l’affirmaient certaines thèses racistes de l’époque, mais parce qu’ils utilisent une variété de l’anglais très différente de la norme scolaire : le Black English Vernacular (BEV). Leurs problèmes ne sont donc pas liés à leurs capacités linguistiques : au contraire, ils développent une culture hautement verbale. Le langage est même un moyen de reconnaissance sociale : les leaders des gangs sont les locuteurs qui parlent l’anglais du ghetto le plus pur, le plus en rupture avec la norme du Standard English (SE). Ils sont reconnus comme étant les plus habiles pour raconter des histoires et ils manient avec dextérité les insultes rituelles qui ont une grande importance dans la culture des rues.[7] Il est vrai que cette étude date d’environ 30 ans, mais le débat continue entre ceux qui considèrent la verlangue, comme dans l’introduction au Dico de la banlieue, « étonnamment fertile …, un volcan bouillonnant dont la lave serait faite de métaphores et de pépites linguistiques », ceux qui la considèrent comme « un usage générationnel et très localisé du français … qui n’est pas un refus de la langue française … mais un français modifié[8] » et ceux qui craignent que la fracture linguistique renforce la fracture sociale[9]. Il y a aussi ceux, dans le champ de la psychologie considéré de manière élargie cette fois-ci, qui confondent le fait de prendre le français de l’école à la lettre, précisément à cause du manque d’usage du français standard – il y a dans le film une jolie scène dans laquelle l’otage demande au jeune garçon de lui parler en français commun, ce que celui-ci fait mais de façon hésitante, et surtout il y perd le rythme et la mélopée de sa parole – avec un trouble du langage typique d’une position psychique. Toute une frange de la population se voit ainsi soupçonnée de psychose généralisée, ce sans vraiment d’appui clinique car ladite frange ne se retrouve qu’exceptionnellement sur le divan d’un psychanalyste.
Verlangue et psychanalyse
Et puis, entre nos murs à nous ? Un bref sondage auprès des plus jeunes m’a fait découvrir – à ma grande surprise – que s’ils ne parlaient pas couramment la verlangue, au moins en comprenaient-ils l’essentiel. De jeunes étudiants ont listé pour moi l’ensemble des mots et expressions qu’ils utilisent sans y penser, qui sont donc entrés dans le langage usuel. Je me suis aperçue à cette occasion que je pouvais moi-même utiliser quelques-uns de ces mots ou quelques-unes de ces expressions, ceux et celles qui viennent directement de l’argot classique et, oh surprise ! de la langue tzigane : « chouraver », « grailler », par exemple.
Cette langue nouvelle apparait donc d’abord dans les années 1970 aux États-Unis avant de nous arriver par-dessus l’Atlantique avec le rap. Terme condensé de Rythm and Poetry et de Rock Against Police, je dois l’information à Corinne Tyzsler[10]. Dans le fond, cette condensation annonce la couleur : le rap est against, contre : dénonciation de la pauvreté, de l’exploitation, de l’exclusion, protestation devant un avenir sans espoir, mais il est aussi poetry, poésie, mise en mots, mise en musique et création littéraire et symbolique. Car le rap comme poème parle, « il parle, toujours, de la circonstance qui, proprement, le concerne[11]». Il parle donc de la vie dans sa crudité mélancolique et dans sa solitude profonde. Il essaie de pallier à la rupture de transmission, qui transforment les jeunes pas tant en orphelins qu’en créatures auto-engendrées, à l’image des Pokémons dont le succès tient sans doute à cette particularité.
Précisément c’est dans cette division entre révolte et création que la verlangue présente pour les psychanalystes un intérêt. Enfin peut-être… Les rappeurs, eux, n’ignorent pas la psychanalyse, au moins ses signifiants sinon sa pratique. Un des albums de Soprano s’appelle Psychanalyse, part 1 et le suivant Après la psychanalyse. Une de ses chansons s’appelle Le Divan, le refrain est évocateur : « Je colectione les PV à force de stationer du movais côté de la vie… », le tout écrit de façon syllabique. Le signifiant apparaît dans le texte d’une chanson du groupe Tandem :        

« J’avais 16 ans quand j’ai morflé,
Quand je surfais sur les vagues où des frères se sont noyés.
J’ai la musique pour évacuer ma rage.
C’est ma psychanalyse,
Celle qui m’analyse quand je vais mal. »
Plus crue et même inacceptable, je ne citerai pas le texte de la chanson intitulée Inconscient par le rappeur La Fouine, qui cumule racisme, sexisme, violence. Cet Inconscient est un exemple du virage de la protestation à la provocation, de l’usage impudique de signifiant-maître dés-éthique-té (néologisme emprunté). L’« autre » féminin y recueille le pire des obscénités du sexuel mis à cru.
Verlangue, invention ou discours du maître ?
Le signifiant-maître, d’être à l’envers, est-il pour autant moins présent ? Point du tout, et l’on entend bien que consommer, maître mot du discours capitaliste, est respecté jusque dans ses connotations brutes, y compris celles d’un usage sexuel sans médiation. La verlangue est bien l’envers du Discours de l’Analyste, comme n’importe quel discours du maître. Faute de clinique du singulier, je me contente de faire des hypothèses à partir des fictions à ma disposition. Dans le film Dernier étage, par exemple, l’on peut déduire l’orientation par le plus commun des signifiants-maîtres, le S1 phallique, dans ce qui finalement, au-delà de la dénonciation sociale, en fait le cœur : la relation père-fils. Thème récurrent des films de la rentrée 2010 (voir L’Homme qui crie), effet de répercussion du malaise dans le patriarcat ? Je laisse de côté cette question annexe. Le jeune héros se révolte contre un père qui affiche trop les stigmates de sa castration : chômage, accumulation de dettes, silence prudent devant sa femme… Il est à la recherche, comme le névrosé classique, d’un père idéal qui serait l’exception, x non phi de x, ce qui lui laisse pour lui-même un espoir. Et comme l’on pouvait s’y attendre, la figure du grand-frère, ou celle du grand dealer, s’y prête. Autant dans l’esbroufe l’un que l’autre d’ailleurs : le frère qui a réussi, avocat, est incapable de sortir sa famille du pétrin ; le dealer qui annonce une horde sauvage venant délivrer le malchanceux héros arrive tout seul dans la cité… Bref, le fils se mesure, tout comme dans la Trilogie de Claudel, à l’aune du père humilié avant de s’affronter au héros qui se révèle dans le père. Bien sûr, un père ne fait pas le phallus, pas plus que le nuage ne fait la pluie, mais enfin il l’annonce à l’horizon. Bref, le père n’est jamais à la hauteur, c’est un fait de structure et une lamentation de névrosé dont Platon se faisait déjà le porte-parole au IVe siècle av. J.-C. :

« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves…, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux l’autorité de personne, alors c’est là … le début de la tyrannie[12]. »
Il y a un autre indice de la présence surmoïque de signifiant-maître ordonnant, dans tous les sens du terme. C’est la honte. Est-elle devenue, comme le développe Colette Soler[13], sœur de l’impudence, corrélative à une dégénérescence du signifiant-maître ? Certes, lorsque l’on entend un banlieusard, pas du neuf-trois mais de la chic banlieue ouest, vociférer lorsqu’il se promène dans la banlieue voisine, chez l’autre donc, le petit autre : « racaille ». Ce mot de Sarkozy, « racaille », prononcé le 25 octobre 2005 à Argenteuil, révèle le pouvoir du signifiant-maître avec des conséquences d’autant plus dévastatrices que prononcé par un maître qui s’y connaît dans l’art d’enflammer les quartiers. C’est dire que, si honte il y a, elle n’est pas à sa place.
Je prends un autre exemple, moins connu : Medhi, rencontré dans un groupe de lecture de l’Odyssée accueillant des jeunes Ulysses, autant têtes brûlées et pas moins chanceux. Douze ans, il redouble la sixième malgré un niveau culturel élevé, il est bilingue. Son père diplomate nigérien ne parle qu’anglais. Mehdi a déjà beaucoup voyagé, il connaît quantité de choses, il est de loin le plus instruit de notre petite troupe mais il ne produit aucun travail susceptible d’être évalué. Pas question de se soumettre au jugement. Il vit sa vie de petit caïd, rackettant, menaçant, insultant, le tout sans la moindre culpabilité. Par contre, la honte, comme il dit : il l’a. Il l’a pour ce qu’il est : pas assez grand, pas assez blanc, ou pas assez noir tout pareil ; pas assez protégé, ni par les mensonges du sens, ni par les mirages de l’image, pas assez séparé de la facticité de son être. Les traits idéaux, I(A), qui identifient le sujet, prendraient-ils le pas sur le signifiant S1 qui le représente ? La culpabilité est la compagne du désir, la honte est celle de la jouissance. Cette honte postmoderne serait-elle l’affect dégradé sous des signifiants-maîtres faisant moins lien social qu’idéal totémique ? Lacan qui a introduit cette « honte nouvelle » dans la dernière leçon de L’Envers de la psychanalyse la corrèle à la « vie nue », comme dirait Agamben, soit à ce qu’il y a de plus réel dans l’existence, en précisant qu’il s’agit d’une honte de vivre précisément cette vie qui apparaît sans les faux-semblants nécessaires, et où les réalités sexuelles, sous la houlette de la mort, avancent à visage découvert. Une vie réduite à la fonction d’exister, sans grande médiation devant le hasard de l’être, et dont on se protège du tranchant précaire en s’agglutinant aux semblables. Cet éclatement des registres  peut-on aller jusqu’à parler d’une hypertrophie du rond du réel dans les nœuds borroméens ?  se retrouve dans l’usage de la verlangue avec une dissociation des niveaux de discours. Je me réfère aux travaux de Marilia Armorim qui constate une désintrication des trois formes du savoir[14] constituant le discours : le logos, démonstratif où la vérité loge dans l’énoncé, le mythos, narratif où la vérité loge dans l’énonciation, et la métis, pratique, efficace, où la vérité loge dans l’acte. Dans la verlangue, domine le vecteur métis commandé par la priorité de survie et où le langage est essentiellement utilisé dans sa fonction agissante.
Dans un des lexiques sur la langue des banlieues, la honte, c’est « la ficha », c’est-à-dire : « ça fiche », à l’envers. Il n’en reste finalement que le fait de la subir, même pas la peine de préciser ce qui est en jeu, la honte. Ficha donc, d’être pris pour un « baltringue » (bouffon, bon à rien), un « boloss » (un looser) – je pourrais ici parler de la montre qu’il faudrait avoir pour n’en être pas un… – autant de traits qui fixent un effet d’être qu’il ne faudrait pas. C’est plus souvent l’autre qui « fout la honte » que soi-même qui risque d’en mourir. L’usage de l’insulte sert d’ailleurs à s’en protéger en la laissant résolument côté autre. On est loin du « discours sans paroles » qui caractérise le discours de l’analyste. Mais il y a le versant poetry. Va-t-elle sauver la verlangue de la honte en touchant à la force du réel sans se laisser engloutir par son obscénité ? Ce qu’elle a de relativement nouveau par rapport aux autres inventions linguistiques est sa frappe par l’énonciation. Elle se chantonne, se module, est sonorisée, pulsée par le locuteur qui lui donne son souffle propre, la re/crée pour et par lui-même. Il est, de ce fait, extérieur à l’énoncé qui ne le représente pas tout.
C’est, me semble-t-il, ce qui démarque la verlangue de la métalangue qu’est, dit Lacan dans « l’insu que sait de l’une-bévue, s’aile a mourre » – énonciation « rappeuse » s’il en est – « toute langue nouvelle… qui se forme sur le modèle de l’ancienne, c’est-à-dire qui est ratée » (“Leçon du 8 mars 1977”, inédit). Il faut constater que les projets politiques partant du fait que le signifiant est autonome, que c’est le sujet qui ne l’est pas puisqu’assujetti aux dits signifiants, qui ont tenté partant de cette constatation de subvertir le sujet par la transformation des signifiants-maîtres qui le déterminent, ont relativement échoué. Les situationnistes ont abandonné au bout de 10 ans, léguant leur utopie à la révolution de 68 dont pourtant ils n’attendaient pas grand-chose. Et du MLF, plus subversif de ce point de vue, que reste-t-il dans la condition, comme on dit, des femmes début XXIe siècle, aussi précaire, ravalée et exploitée qu’au début du XIXe, et ce avec beaucoup moins de bouquets de roses ? Lacan lui-même, le 15 mars 1977 dans la leçon suivante de l’insu…, essaie de féminiser la langue : « … ce qu’on appelle des auditrices » mais immédiatement il ajoute : « et je ne vois pas pourquoi je mettrais ce terme au féminin puisque ça n’a pas de sens, ça n’a pas de sens valable. » Pourtant Lacan ne reculait pas devant l’invention de signifiants nouveaux : « parlêtre », « LOM », « lalangue », « varité », « poubellication »… cherchant à serrer l’impossible. Marcel Bénabou, oulipien renommé, a ainsi répertorié 789 néologismes lacaniens ! Lacan attendait une ouverture au réel en créant des mots qui pourraient rendre compte de l’équivoque, des significations variables, sans recours au sens. La verlangue fait l’inverse, elle crée des mots variables pour rendre compte d’un sens unique. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles elle est inanalysée si non inanalysable, en tout cas par la voie, v-o-i-e, du sens. Mais il reste la voix, v-o-i-x, de l’énonciation. Sans doute est-ce par là que l’analyste pourrait y entendre du nouveau.
Mais encore un effort pour, comme y invite Lacan dans la “Leçon du 17 mai” de l’Insu…, s’ouvrir à l’inédit : « Pourquoi est-ce qu’on n’inventerait pas un signifiant nouveau ? Nos signifiants sont toujours reçus. Un signifiant par exemple qui n’aurait, comme le réel, aucune espèce de sens. On ne sait pas, ce serait peut-être fécond… » Lacan regrette de ne pas y arriver, « je ne suis pas pouatassez », dit-il à la fin de cette leçon. Ce n’est pas l’avis de tous ses lecteurs, et pas seulement chez les psychanalystes. Barbara Cassin, dans sa leçon sur L’Étourdit[15], reconnaît dans ce « texte en langue, et même en sur- ou en méta-français, porteur d’une position quant à la parole… » une tentative réussie de parler réel, ce qui est tout à fait différent de parler vrai.
Lacan serait-il oulipien, comme le proposait Jacques Adam à Cerisy en 2001 ?[16] Queneau, qui lui l’était sans aucun doute, a buté devant l’« invalidité » du langage relevé par Lacan à propos de la féminisation des mots, devant ce « quelque chose que le sujet ne parvient pas à dire, et n’y est jamais parvenu », concluant que personne n’y parviendra jamais. Alors plutôt Lacan situationniste ? Et pourquoi ne pas espérer comme Mustapha Khayati, auteur des Mots captifs, militant politique et penseur situationniste pour un temps, faire éclater le sens car, « les mots ne cesseront pas de travailler tant que les hommes n’auront pas cessé de le faire ». Et Lacan, lui, n’a jamais cessé.

* Ce texte est issu d’une intervention faite au Séminaire « Champ lacanien » de l’EPFCL (École de psychanalyse des Forums du Champ lacanien) le 18 novembre 2010.
[1] Psychanalyste, Paris, École de psychanalyse des Forums du Champ lacanien.
[2] Elle est cependant entrée en littérature, par exemple avec Kiffe, kiffe, demain de Faïza Guène, sorti en 2004, vendu à 350 000 exemplaires et traduit en 22 langues. Difficile de continuer à parler d’un phénomène marginal…
[3] François Dubet, sociologue.
[4] Alain Rey, lexicologue.
[5] Conte de la frustration, de Didier D. Daarwinn et Akhenaton ; Tenir tête, de Julia Cordonnier, pour les meilleurs de ceux que j’ai pu voir.
[6] Labov William, Le Parler ordinaire, 1978, Minuit.
[7] Informations issues d’un article de François Perea, université Montpellier III, à paraître dans La Lettre de l’enfant et de l’adolescent, revue du Grape, Érès.
[8] La lettre de l’enfance et de l’adolescence, L’enfant et le religieux, n° 74, 2008, Entretien avec Alain Rey.
[9] Jean-Pierre Goudailler, Comment tu tchatches !, 2001, Maisonneuve et Larose.
[10] Corinne Tyszler, « Entre rap et slam : un souffle nouveau dans la langue ? », 2e trimestre 2009, JFP n° 34, Érès.
[11] Celan Paul, Le Méridien, Fata Morgana, 1995.
[12] Platon, République, VIII, 562b-563e.
[13] Soler Colette, Les Affects, Paris, PUF, 2011.
[14] Amorim M., Raconter, démontrer,… survivre. Formes de savoir et de discours dans la culture contemporaine, Paris ; 2007, Érès.
[15] Alain Badiou, Barbara Cassin, Il n’y a pas de rapport sexuel, Deux leçons sur « L’étourdit » de Lacan, Fayard, 2010.
[16] Lacan dans le siècle. Colloque de Cerisy, Centenaire de la naissance de Lacan, Éditions du Champ lacanien, Paris, 2002.

1916/2016 : que s'est-il passé pour la psychanalyse il y a cent ans ?

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1916/2016 ;  Que s'est-il passé pour la psychanalyse il y a cent ans ?

1916
Du fait de la guerre, Rank, enrôlé dans l’artillerie lourde depuis juillet 1915, part pour Cracovie, à la grande tristesse de Freud. Sachs le remplace dans les activités de l’Association viennoise. Durant les trois années de guerre Rank publiera le Krakaue Zeitung. (Journal de Cracovie).
Le neurologue et psychiatre allemand Otto Pöltz (1877-1962) qui eut comme disciple Moreno et est médecin-chef de clinique neuro-psychiatrique Julius Wagner-Jauregg à Vienne rapporte à l’Association pour la Psychiatrie et le Neurologie de Vienne le cas d’un blessé de guerre en proie à des complications psychiques avec commotion de la sphère visuelle, paralysie du regard et troubles de la vue. Abraham trouve ce psychiatre très ambivalent vis-à-vis de la psychanalyse déplaçant l’inconscient freudien du terrain psychique au terrain organique.
Hiver 1916/1917 : Freud donne son second cycle des 28 conférences à l’Université de Vienne.  Ce sont des cours privés destinés à un public cultivé mais non aux étudiants de l’Ecole médecine de Vienne. Autre parution de Kaplan, Problèmes psychanalytiques, que Freud juge politiquement digne d'éloges, mais « à part ça, ni profond, ni ambitieux ».
Freud sera proposé pour le prix Nobel de Littérature par Robert Barany. Barany (1876-1936) est un médecin autrichien qui, en 1914, reçut le prix Nobel de médecine, alors qu’il était prisonnier de guerre en Russie, pour ses recherches sur la physiologie de l’oreille
Allemagne : Groddeck crée et dirige le sanatorium de Baden-Baden qui n’est habilité à recevoir que des patients atteints de troubles organiques. Il y applique des méthodes thérapeutiques interventionnistes et peu conventionnelles, aux confins de la psychologie des profondeurs et de la médecine corporelle. W. G. Groddeck choisit comme son père, la carrière médicale, il fut l’assistant du célèbre docteur Schweninger, le médecin personnel de Bismarck. Dans un premier temps hostile à la psychanalyse, il se rapproche très vite de Freud et entre ainsi progressivement dans le cercle fermé des disciples proches.
Brésil : un médecin de l’état de Minas Gerais, Luiz Ribeiro do Valle publie Psychologie morbide dans l’œuvre de Machado de Assis (1916) qui sera un essai d’application de la méthode freudienne à la littérature.
Chine : Freud écrit dans L’introduction à la psychanalyse : « La langue et l’écriture chinoises, très anciennes, sont aujourd’hui encore employées par 400 millions d’hommes. Ne croyez pas que j’y comprenne quoi que ce soit. Je me suis seulement documenté, dans l’espoir d’y trouver des analogies avec les indéterminations des rêves, et mon attente n’a pas été déçue. »
La revue Dongfanfzashi (Revue de l’Orient) mentionne dans un de ses articles la technique de l’association libre, il s’agit d’une traduction d’un texte en anglais du Mc Clure’s Magazine portant sur L’ « Interprétation des rêves ».
États-Unis : John Broadus Watson, arpès avoir enseigné la psychologie freudienne en ne s’en tenant qu’à des supposés facteurs biologiques, lance des attaques très polémiques contre la psychanalyse, visant Freud et Prince. Le behaviorisme est alors en plein essor ce qui renforce la tendance de la plupart des psychologues et de quelques psychanalystes à ne voir dans l’inconscient freudien qu’un rouage plus ou moins secret de la machinerie neurologique.
Traduction des Métamorphoses… de Jung. En mai, dans The New Republic, le journaliste et commentateur politique Walter Lipmann (1889- 1974, c’est à lui qu’on doit l’expression « guerre froide ») critique de façon négative ce livre, y voyant une « série de généralisations pompeuses sur la  destinée humaine ». A l’opposé, la très chic revue Vanity Fair (n° de décembre) publie un éloge de Jung opposé au « pansexualisme » de Freud « Au lieu de rapporter la volonté au sexe, Jung rapporte le sexe à la volonté… il ouvre la voie à un retour en force de la vieille et merveilleuse idée de la volonté comme dynamique du soi… ».
France : André Breton (1896-1966), alors étudiant en médecine effectue son service militaire au centre neuropsychiatrique de la deuxième armée à Saint Dizier, de juillet à novembre, tente la technique de l’association libre pour soulager les soldats qu’il soigne. Il s’est initié à la pensée de Freud et a pris connaissance des règles techniques de la psychanalyse en lisant sur les conseils de son médecin chef, le Dr. Raoul Leroy le Précis de médecine mentale de Régis.  En témoigne une lettre adressée à son ami  Théodore Fraenkel (écrivain et médecin 1896-1964) où Breton recopie un extrait de ce livre. Breton lit également Charcot, Gilbert Ballet, Maxime de Fleury et Kraeppelin, L’observation des qualités poétiques des associations verbales spontanées des malades, soldats évacués du front pour troubles mentaux, est, avec l’influence de Janet, une des sources de la méthode de l’écriture automatique. Lors d’une permission à Paris, Breton tente de convaincre en pure perte Valéry, Gide et Apollinaire de l’intérêt de la psychanalyse.
Hongrie : En janvier, Ferenczi  est nommé médecin-chef du service de neurologie de l’hôpital militaire  Maria-Valéria  à Budapest, hôpital qui accueille des patients souffrant de névrose de guerre. A la fin de l’année précédente, Ferenczi écrivait à Freud qu’il devra répartir sa pratique entre l’hôpital et les tribunaux. Dans une lettre datée de janvier 1916, il relate à Freud qu’il avait analysé en laissant associer pendant une heure un soldat traumatisé qui était resté couché 24 heures sous un cadavre. Il réalise à la mi-février sa première communication sur les névroses de guerre lors d’une réunion scientifique des médecins de  l’hôpital Maria-Valeria. Il prend également en analyse Melanie Klein.
G. Roheim (1891-1953) âgé de vingt-quatre ans commence, en mars, sa cure psychanalytique avec S. Ferenczi. Roheim fera une seconde psychanalyse avec Vilma Kovàcs, puis il devient psychanalyste dans l'Association hongroise.
Japon : Kiyoyasu Marui (1886-1953) se forme à la psychopathologie et à la psychanalyse à la John Hopkins University (États-Unis) sous la direction d’Adolph Meyer. Il y séjournera jusqu’en 1919 et, à son retour dans son pays, sera nommé professeur de psychiatrie à l’université de Tôhuko à Sendaï. Ses élèves au Japon, notamment Heisaku Kosawa (1897-1968), y jetteront les bases de la psychanalyse, à côté d’un courant formé par Yaekichi Yabe et ses disciples, au début des années trente.
Pays-Bas : Vers la fin de l’année, création de la Nederlandse Vereniging voor Psychoanalyse (NVP, Hollande) par Johan H. W. van Ophuijsen (1882-1950), qui avait semblé antérieurement être plutôt jungien.
Pologne orientale : Victor Tausk est nommé expert psychiatre auprès d’une cour martiale à Lublin où il y défend des soldats traduits comme déserteurs 
Suisse : Jung fait une mise au point dans son article « La structure de l’inconscient » qui paraît dans les Archives de Psychologie (VXI, 152-179) où il récuse la notion de libido (rabattue par lui sur « l’impulsion sexuelle »)  au profit de l’énergie.  Charles Baudouin, psychanalyste non-médecin,  (1893-1963), dans son Carnet de route propose une interprétation amphigourique et crue de la cure analytique parlant de « jaillissement, gargouillis, qui remue le sable et un peu de boue. Cela a aussi sa beauté. »
Olivier Douville

RASP ; Mon grand ami Nianguiry Kanté et moi avons fondé cette revue à Bamako il y a douze ans, un pari, un peu dingue mais nécessaire

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Mon grand ami Nianguiry Kanté et moi avons fondé cette revue à Bamako il y a douze ans, un pari, un peu dingue mais nécessaire. Grâce au courage à l'obstination et à la belle qualité  d'espérance de mes chers amis maliens, mes bon collègues, la revue tient le coup et la route.  C'est une joie immense pour moi de voir paraître ce jour le douzième numéro de cette belle aventure.

Revue Africaine des Sciences Sociales  et de la Santé Publique
 
N°12 janvier-juin 2016  -  ISSN 1987-071X

Directeur de publication : Pr.  Abdoulaye ag Rhaly,  professeur émérite en médecine, Université de Bamako 

Comité de rédaction : M. Yacouba Traoré, nutritionniste FAO, Bamako ; Dr. Olivier Douville, psychanalyste, psychologue clinicien, anthropologue, maître de conférences hors cadre, Université de Paris 7, rédacteur en chef de la revue psychologie clinique et corédacteur en chef de la  RASP ; M. Ousmane N’Faly Sissoko, juriste/journaliste Bamako ;Pr. Soumaya Naamane Guessous, sociologue, université, Casablanca ; M. Ibrahima Labass Keita, journaliste rédacteur en chef du journal « le  scorpion » ; Dr. Adegné  Niangaly, Médecin spécialiste de santé communautaire, Maître de recherche ; Dr. Nianguiry Kanté, socio-anthropologue, fondateur et corédacteur en chef de la RASP, Doyen de la Faculté des Sciences  Sociales de l'Université de Ségou ; M. Housséini Boubacar Maïga, assistant médical,  Secrétaire de rédaction de la RASP, INRSP, Bamako ; et M. Silamakan Kanté, auditeur interne  diplômé de l’institut français de l’audit et du contrôle internes de Paris, Vision Mondiale,Kati, Mali

Comité de lecture : Pr. Drissa Diallo, Université de Bamako, Mali ;  M. Pierre Philippe Rey, Professeur émérite  Université de paris 8; Pr. Abdoulaye Niang, Université Gaston Berger de Saint Louis  du Sénégal ; Pr. Amadou Touré, Université de Bamako ; Pr. Marie-Claude, Foument, Directrice  de publication des cahiers de l’infantile, Université de paris 13 ; Dr. Kojo Opoku Aidoo, chef de département études Africaines, Université du Ghana, Legon ; Dr. Jaak Le Roy, institut Healthn et, topo, louvain  ;  M. Pierre p. Mounkoro, MS psychiatre, chercheur,  centre régional de médecine traditionnelle (CRMTt) de Bandiagara, Pr. Hamidou Magassa, SERNES, Bamako ; M.. Assah N’Detibaye, maître assistant, Université de N’Djamena ; Pr. Roch Yao Gnabeli, Université de Cocody, Abidjan ;  Mlle. Virginie Dégorge, Université de Paris 7 ; Dr. Modibo Diarra, Ministère de la Santé et d’hygiène publique, Bamako ; Pr Atime Agnou, Université de Bamako, Mali ; M. Kafing Diarra, INRSP, Bamako ; Pr. Moustapha Tamba, Université Cheikh  Anta Diop, Dakar ; Dr. Amadou Traoré, assistant à l’université de Ségou, Feu, Dr. Sékou Diarra, CAD, Mali, Bamako ; Dr. N’Dongo M’baye sociologue et journaliste, Paris, France ; Dr. Emile Moselly Batamack, Président de l’Université populaire Méroé  Africa, Paris ; Dr. Meriem Bouzid, maître de recherche, CNRPAH, Alger; Dr. Faouzia Belhacheim, Université de paris 8 ;M. Nangouro  Sanogo, INRSP, Bamako ; Pr. Gertrude  N’Deko longonda, Université Marien N’gouabi, Brazzaville Pr. Moussa sacko, INRSP, Bamako ; Pr. Samba Diop, FMPOST de Bamako ; Pr. Fatou Sarr, IFAN, Université Cheikh Anta Diop, Dakar  ;M. Soumaila Oulalé, Doctorant, Secrétaire principal faculté des Sciences Sociales, université de Ségou ; Dr. Ousmane Touré, INRSP, Bamako, Dr Galy Kadir Abdelkader (HDR) Psychopédagogue Université Abdou Moumouni de Niamey ;M. Maciré Kanté, Doctorant,Assistant,University of Nairobi university of Nairobi :School   of Computing and informatics                            

Sommaire
Présentation…………………………………………...p 2
L’institution des tribunaux coutumiers en pays SANWI. Une perspective culturelle de l’intégration  communautaire par la régulation locale des conflits fonciers……………………….  p 3
Le tourisme sénégalais face aux enjeux de l’innovation dans les services : quels choix stratégiques ?.............................................P 21                             
Crises et Gouvernance : quel avenir territorial pour le Mali ? …...p 32
Entretien avec Olivier Douville : Psychanalyste, Psychologue, Anthropologue et écrivain: Henri-Pierre BASS ……………………………………………. .p 40
Sékou N’Dji Diarra,  l’enfant humaniste de Dombila nous a quittés…………………………….P54
La sécurité sanitaire des Aliments, un enjeu préoccupant pour l’Afrique ...p 73
Deux hydrocarbures aromatiques polycycliques dans le poisson fumé au Mali  ………………………………………………………………….p 81
Ecole face à Ebola : vécu et retour des élèves contacts dans le milieu scolaire au Mali……. P 94
Etude sur les connaissances, Attitudes et Pratiques comportementales des aides familiales en matière des IST du VIH et du SIDA dans la commune urbaine de Sikasso, en 3èmerégion du Mali………………………………p 108
Le « Corps chaud » est il chaud ? Réflexions autour d’une catégorie nosologique populaire ………………………………………………. p 116
Recommandations aux auteurs…………………p 128

Présentation
L’année 2010 et l’année 2016, la Revue Africaine des Sciences Sociales et de la Santé Publique vient d’achever ses six (6)  bonnes pluies avec douze (12) numéros. Bonne et heureuse année 2016 à toutes et à tous. Qu’il nous permit ici de remercier et d’exprimer notre reconnaissance et  gratuite à toutes et à tous ceux qui ont fait  et qui font toujours confiance à leur revue. Fidèle à sa vocation initiale, la Revue Africaine des Sciences Sociales et de la Santé Publique est une publication panafricaine conforme   aux exigences internationales relatives aux publications scientifiques. Elle est ouverte  essentiellement aux Africains et à toutes celles et à  tous  ceux qui travaillent sur l’Afrique et les pays du tiers-monde. Son comité de rédaction prend appui sur les avis d’un Comité de lecture composé d’enseignants praticiens et chercheurs reconnus par leurs pairs. Elle vise ainsi la création d’un fonds documentaire utile aux étudiants, aux enseignants, aux chercheurs et aux décideurs. Elle constitue en même temps pour  eux  un support de diffusion des  résultats de leurs travaux.
Le présent numéro est composé de 9 articles proposés par des enseignants et chercheurs originaires des : Cameroun ; ii)  Côte d’Ivoire ; ii) France ; ii)  Mali ; iv) Sénégal. Les auteurs ont traité  des questions très diverses et variées. Ils peuvent être regroupés en grandes catégories. Première catégorie, Socio anthropologie. La  première partie de cet ensemble porte sur l’institution des tribunaux coutumiers en pays SANWI en Côté d’Ivoire, le tourisme au Sénégal, les crises et la gouvernance territoriale  au Mali. Chacun de ces auteurs traite son  thème  en termes de perspectives  et parfois  avec point d’interrogations. La seconde partie de la question socio anthropologique est consacrée à deux hommes : deux intellectuels intentionnellement  reconnus par leurs paires. Le premier de ces deux articles est un entretien que Professeur Olivier Douville a  accordé une publication Française. Les renseignements fournis sur ce Maître de Conférences hors cadre constitue une mine d’informations scientifiques pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent d’une manière à une autre aux sciences sociales. Le deuxième article est un hommage mérité rendu au regretté Sékou Diarra, membre du Comité de lecteur de la RASP, un des meilleurs « connaisseurs du Mali profond », un des défenseurs des pauvres qui nous a  physiquement quitté. La seconde partie ce numéro contient  5 articles. Les auteurs ont abordé la santé  et la sécurité sanitaire des aliments.
Chères lectrices et chers,  bonne et heureuse année. Que l’année 2016 soit une année de paix au Cameroun, au Tchad, au Mali, au Sud du sud, en Tunisie, en Libye, en Syrie, en Irak, en Palestine, en Ukraine et dans le Monde.  
Bonne lecture,
La rédaction           


Après la Censure des mes cours à Nanterre, je pus les continuer à PARIS 7. Anthropologie & clinique 1

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Après la Censure des mes cours à Nanterre, je pus les continuer à PARIS 7. 
Anthropologie & clinique 1
Je vais me présenter et vous présenter les points que nous allons tenter de travailler ensemble je suis psychanalyste et enseignant à paris X et VII, et membre de l’association française des anthropologues avec une formation d’anthropologie pris d’un côté de LEVI-STRAUSS et de l’autre de G. DEVEREUX.
Mes terrains d’exercice de l’anthropologie : «la situation des ados dans les grandes villes un peu sinistrées et dangereuses de l’Afrique de l’ouest et d’Afrique des grands lacs et en particulier la question des enfants et des ados sous la guerre », ce sont mes terrains de recherche.
Le cours a un intitulé extrêmement vaste « les objets et les méthodes de l’anthropologie clinique.
Je vais vous présenter quelques problématiques en rapport avec ce thème.

Le croisement entre psychanalyse et anthropologie est une histoire ancienne qui fait se rencontrer des disciplines tout à fait naissantes, pour la psychanalyse, et en voie de constitution pour l’anthropologie.
Si on donne un point de départ à l’invention de la psychanalyse, on a le nom de Freud et quelques dates, 1891-93, avec une neurologie axée sur la mémoire inconsciente avec la question des aphasies, est ce que ça commence avec la Traumdeutung ? On ne sera jamais d’accord. Si on essaie de savoir quel est le point de départ de l’anthropologie on ne peut choisir un nom ou des dates, mais on peut repérer des lignes de force, qui consisterait à dire que depuis la pensée de l’anthropologie chez Aristote, ce mot à deux sens, « une étude des histoires » et une étude des mœurs, c’est ce qu’on trouve dans les considérations anthropologiques éparses chez Flavius Josephe, c’est plus aigu au 16e et dans les régions rhénanes pour désigner ce qui concerne l’étude du corps humain. Bref ce terme, si on veut envoir ses prémisses, renvoi à deux acceptions pas toujours accordables : l’étude de l’institution et l’étude du réel des corps.

Ce flottement de ce terme a voulu être résolu par la personne qui a fait le premier cours d’anthropologie, à savoir Emmanuel Kant, en 1798 « L’Anthropologie d’un point de vue pragmatique » , mais toute philosophie à l’époque et en tout cas la philosophie kantienne en premier chef se prétend une anthropologie, appelée à ce moment là anthropologie l’étude dont l’homme va sculpter ses rapports rationnels au monde, le rendre intelligible, en fracassant ça raison contre un noyau inconnaissable, méconnu, et qu’aucun savoir, qu’aucune langue n’irait épuiser en un énoncé, en une formule, en une image. Kant s’attache à décrire 3 facultés humaines : la faculté de connaître, de désirer et d’éprouver du plaisir et du déplaisir. L’anthropologie trouve un support, presque un substitut dans l’histoire universelle. On pressent déjà cependant chez Kant, quand il s’intéresse à ce qui fonde la rationalité humaine, la prescience d’une zone opaque, d’un noyau d’obscurité qu’on aura trop vite fait de nommer plus tard, en « freudisant » Kant, l’inconscient.
Les philosophes se veulent anthropologues, sans doute le sont ils. La raison dans l’histoire de Hegel, s’accompagne de tas de notations anthropologiques évolutionnistes strictement. Les philosophes ont besoin d’une anthropologie, Rousseau fonde l’anthropologie du bon sauvage, l’anthropologie du Contrat Social, mais la notion d’universalisme, si fréquemment utilisée en anthropologie, repose en un premier temps et depuis les lumières non pas tant sur l’universalisme de le raison ou celui des règles ou des interdits mais plutôt un universalisme de la façon dont l’homme  construit le monde par ses sensations.
La valeur universelle de l’anthropologie, c’est alors Condillac, bien plus que Rousseau.
On voit donc que ce terme d’anthropologie suppose une vision, une vision de l’homme dans son universalité. Elle n’est pas d’abord cette vision qui se veut pourtant pragmatique toute entière attachée à décrire et à recenser des particularités locales, parfois les voyageurs font moins œuvre anthropologique que les philosophes.
Comparons par exemple le journal tenu de façon ravissante par Bougainville: ce sont des précisions, des anecdotes, des collectes, foisonnantes, richement décrites et bien exposées, si on regarde ce passionnant journal de bord, des savants qui voyageaient avec Bougainville, chacune de ses expéditions se voyait réglée dans le cabinet royal soit par le titulaire de l’académie de médecine, soit le titulaire de tout ce qui était herboristerie, chacune de ces expédition se voyait réglée de sorte que les savants escortaient les marins comme bien plus tard ils seront embauchés dans la campagne d’Egypte de Napoléon Bonaparte.
Mais comparons ce journal de bord avec quelque chose d’autre, une fiction, le « Supplément au voyage de Bougainville » de Diderot, on voit assez aisément que si les navigateurs humanistes, éclairés, intelligents, élégants, nous racontent des paysages que l’on aimerait bien visiter avec eux, des humains avec lesquels nous aimerions commercer, échanger et pourquoi pas faire la fête, il n’empêche que c’est Diderot, seul, qui pose le véritable problème, celui d’une anthropologie économique. Que nous dit ce livre ? Il dit que le capital d’une société traditionnelle, ce sont les enfants, qui continuent les ressources de la production, qui fabriquent du « en plus » dont il parle tant. La curiosité pour l’homme se voit au fond dirigée de deux façons l’homme est curieux comme une espèce à part ou l’homme est curieux comme une énigme à part entière, comme un accident ou comme une condition ? Ça n’est pas tout à fait la même chose. Comme une espèce à part, voilà bien une optique délibérée qui permet moins de réfléchir sur l’universel que de se confronter à des questions d’adaptation : comment ce sont-ils adaptés à tel ou tel milieu, quelles sont les règles qui les régissent ? Et les règles, on essaie de les connaître non pas tant parce qu’elles permettraient de refléter ce qui serait des invariants de l’esprit humain, mais comme on essaie de connaître les cartes de jeu lorsqu’on entre dans un salon de jeu et qu’on ne veut pas se faire plumer. Les débats théologiques avaient préfigurés amplement cette espèce de connaissance ethnologique qui se refusait, par paresse, par impuissance, à toucher aux réflexions universelles.
Lorsque plusieurs navigateurs, Christophe Colomb bien sûr, ont découvert le Nouveau Monde, la question s’est très vite posée, concernant l’Amérique du sud, de savoir si ceux qui peuplaient ce continent appartenaient à l’espèce humaine, autrement dit à l’espèce potentiellement chrétienne parce que la Bible avait écrit beaucoup de choses et on pouvait croire à un moment qu’elle avait décrit la création de l’univers, et il se trouve que le nouveau monde lui n’était pas écrit dans la Bible. C’est ce qui donne au terme de nouveau monde son plein sens, ce n’est pas le monde découvert dernièrement, la dernière nouveauté, mais c’est ce qui introduit une nouveauté traumatique dans l’écriture de la Bible. C’est nouveau parce que sans précédent, parce qu’on ne sait pas où caser ces peuples ces espèces animales et végétales dans la Bible encore tenue pour le grand livre de la nature et le grand livre des espèces. Certains penseurs, par exemple le maître de Spinoza, Menasseh ben  Israël (1604-1657), qui, en 1644, s’était trouvé convaincu par Antonio de Montesinos que les Indiens les Andes en Amérique du Sud »étaient les descendants des dix tribus perdues d'Israël.
Pour la chrétienté au fond, ces indiens, faut il les considérer comme des bêtes, comme des hommes ? Bref, ont-ils une âme, et c’est la fameuse Controverse de Valladolid, où sur deux traits seulement, le rire et l’instinct maternel on décida que les humains pouvaient compter en leur sein une légion supplémentaire, celle des indiens d’Amérique du Sud. Ce n’est pas pour autant que l’on arrêta de les exploiter il fallait peut-être, les respectant un peu, très peu, trouver d’autres personnes à exploiter, et ce fut le début de la traite Atlantique.
Donc vous voyez que l’intérêt pour l’autre, ou l’intérêt pour l’humain est toujours pris dans ce vacillement entre l’ambition ou l’illusion archaïque de ramener l’indigène aux canons de l’homme occidental ou celle , plus étoilée, qui consiste à considérer qu’aucune espèce, qu’aucune race culture ou société ne réalise pleinement toutes les possibilités de l’humain et qu’il est donc inconcevable et indécent de ranger les sociétés occidentales comme la raison dans l’histoire, les autres étant si peu historiques ou si peu rentrées dans l’histoire comme on l’a entendu récemment, trop humain peut être pour être hissé au rang du civilisé, c’est sur ce paradoxe réducteur que beaucoup d’anthropologies ont fait leur miel. Avec des moments d’intense réduction de la perception de l’autre, j’en veux pour exemple que si nous parcourions à nouveau les mémoires de St Simon racontant les ambassades de quelque souverain africain à la cour du roi Louis XIV, il n’est fait aucunement mention que ces ambassadeurs seraient de grands enfants. Aucune allusion à la nécessité qu’il y aurait de mesurer les corps, les cranes, peser les muscles, etc. Cette régression sera le fait de l’anthropologie de Broca. L’anthropologie se construit de-ci delà, et même la notion de race, heureusement réfutée par la science, ayant quitté les rangs des académies pour fleurir dans les bas fonds de l’opinion, même ce concept est quelque chose de très aléatoire. Lisez l’ouverture de l’homme de Buffon, il ne fait aucun doute que pour lui s’il y a des noirs et des blancs c’est une question de climat et qu’au fond, on ferait venir un couple d’Africains et on les ferait vivre à Copenhague, ils deviendraient progressivement grisâtres et un peu rose, et leur descendance serait rose à coup sûr. Buffon ne va pas jusqu’à pousser la rigueur de sa démonstration prosaïque ou l’élégance de son style à proposer que l’on fasse venir à établir au bord du fleuve Bakongo des notabilités de la cour de Versailles. Mais sans doute y pensait-il un peu. Alors, tout cela forme un drôle de dédale, un peu comme un écheveau difficile à démêler.
La question est la suivante : qu’est ce que c’est que cette idée de l’universel qui taraude néanmoins l’anthropologie ?
Passons sur la distinction commune, que je rappelle, entre l’ethnologue et l’anthropologue. Cette distinction n’oppose pas deux personnes, mais deux temps de la recherche. L’ethnologue c’est celui qui s’intéresse à une ethnie. L’anthropologue c’est celui qui part de cet intérêt pour essayer de tisser quelques énoncés sur l’universalité de la raison humaine.
Projet donc qu’on appelle à tort projet des lumières, car ils essayaient de faire un roman sensualiste de la création de monde par l’individu, mais projet plus fermement solidaire des valeurs des lumières. Leurs valeurs c’est de considérer qu’il y a un droit naturel  qui est celui de tout être humain e disposer de sa raison. Tous les traités politiques ont une densité anthropologique à cet égard : La république de Baudin, Le Contre un ou De la servitude volontaire de La Boëtie, traitent moins de tel ou tel sujet, ou de tel ou tel type d’organisation, que d’un mode d’idéal, de gouvernement et d’autogouvernement. Ils traitent moins du conditionnel du droit que de l’inconditionnel de la justice.
Alors comment défaire un petit peu cet écheveau composite ? Au départ de l’anthropologie clinique, il faudra prendre la mesure de l’accolement de ces deux termes, au départ l’anthropologie plutôt voisine de la psychanalyse, plutôt pas mal, quoiqu’on en ait dit Malinowski, Malinowski n’est pas un détracteur de Freud, Totem et tabou est plutôt bien reçu, le reste c’est la légende freudienne, c’est la fameuse « Selbstdarstellung », une épopée, où Freud vante sa solitude en exagérant les exclusions dont il a fait l’objet.
Qu’était donc l’anthropologie à la fin du XIXe siècle, au début du XXe ? Qu’était cette science qui s’appelait anthropologie ? Plusieurs réponses.
Un défi : celui de démontrer qu’en dépit de la diversité des mœurs, celle des interdits, des règles d’alliances, des règles d’habitation, il y avait, où qu’il y ait société, non pas caprice, mais raison. Raison qui, selon le principe simple de la raison constituante et de la raison constituée, a donné naissance à des formes divergentes entre elles, mais aucune de ces formes n’était aléatoire si on essayait d’entendre l’intelligibilité de la structure à laquelle ces formes appartenaient. Aussi bien les formes juridiques que mythologiques. L’ensemble des formes institutionnelles. Cette idée est ancienne et date du cœur du XIXe siècle et en particulier a été initiée en Allemagne par Bastian, qui compte dans l’histoire de la psychanalyse un peu par ricochet. Il y a longtemps qu’il était mort mais son nom brillait à Munich et c’est dans un transfert à ce nom que Geza Roheim est parti de la Hongrie pour faire ses premières études d’anthropologie. Idée d’une rationalité des formes juridiques, institutionnelles, mythologiques. C’est un des courants les plus anciens de l’anthropologie, et sans doute un des courants les plus heureusement tenace.
Il y avait toujours balancement entre l’anthropologie du symbolique et celle physique, soit l’anthropologie qui vise à établir les différences corporelles, à partir d’indices moyens de craniométrie, de taille, de poids, etc. Cette anthropologie physique, représentée en France par les travaux du neurologue Broca, est très contemporaine des débuts de la colonisation. Elle est indissociable de son versant grotesque, humiliant, tenace, qui consistait en la fabrication des zoos humains. Il y avait un peu partout en Allemagne, en Angleterre, en France, dans les parcs d’acclimatation, à côté des exhibitions de girafes ou de rhinocéros, des exhibitions de « sauvages ». À Paris on a fait venir des Kanaks qui là où ils étaient en Nouvelle Calédonie, étaient habillés à l’européenne, buvaient le pastis avec les colons, mais qui une fois transférés dans les immenses superficies grillagées du parc d’acclimatation de Paris, étaient peinturlurés, on leur mettait des os dans le nez, des massues qui étaient des fémurs de bœuf directement cherchées chez le boucher du coin et on appelait ça « l’enclos des cannibales ». Alors quand il s’agissait de distraire les hommes les femmes les militaires les bonnes d’enfants et les enfants, on leur demandait d’exécuter des sauts de pousser des cris, des gloussements, d’agiter des os, et ça faisait un effet extraordinaire, c’est une façon d’universel débile qui continua avec l’exposition universelle.
Les zoos humains il y en a partout, les anecdotes aussi, ainsi ces « sauvages » se vivaient-ils comme une troupe de comédiens et ils tenaient à être payés comme des acteurs, se prenaient pour des professionnels, les troupes étaient connues, Barnum voulu son zoo humain, un peu moins pire il y eu Buffalo Bill permettant à Sitting Bull de ne pas mourir ruiné en l’exhibant gâteux sur les pistes de cirque de Piccadilly Circus.
Une anecdote plus drôle parfois, parce qu’après tout parmi les visiteurs se trouvaient des Caldoches amis de ces Kanaks, qui une fois la représentation terminée, leur donnaient des vêtements Européens, les aidaient à passer les grilles qui les séparaient du public, et en bonne compagnie dépensaient l’argent de la tournée dans les cafés ou dans les bordels. Mais très consciencieusement, une fois la fête cuvée, les acteurs revenaient à ces fémurs, à ces peinturlures et à ces pagnes car c’était l’heure de la représentation.
L’anthropologie a essayé de faire un petit pas en avant on l’oublie très souvent, en raison de la médecine militaire.
Des troupes coloniales ont commencées à fonctionner depuis la guerre de 1870, dans celles de 14-18 et de 39-45, elles étaient envoyées en avant, et on rencontre dans la première guerre mondiale un motif de révolte d l’armée allemande : « les français ne savent pas se battre, alors ils envoient des cannibales », ça alimentait la propagande militaire allemande.
C’est ce que De Gaulle a fait aussi avec les tirailleurs sénégalais, on les envoyait se faire tuer les premiers… du c^ôté de la médecine et de la psychiatire des armées il s’agissait de produire dans la presse militaire un certain nombre d’articles sur la psychologie du tirailleur sénégalais, en oubliant qu’il y avait autant de sénégalais que d’enfants du fleuve Sénégal que du Sahel, de N’Djamena, ou de ce qu’on appellera plus tard Abidjan.
Quelles étaient les grandes conclusions de ces traités militaires qu’on lit très vite mainteant avec une sorte de lassitude un peu dégoutée ?
Que c’étaient des êtres loyaux mais immatures, courageux, fidèles, (On ne sait pas très bien si on parle d’humains ou de Saint Bernard), ici l’anthropologie s’évade d’une façon on ne peut plus piètre, de l’anthropologie physique, on s’intéresse au caractère de ces sujets.
L’histoire de l’anthropologie est marquée par un débat politique, qui est de savoir si nous étudions, nous les savants occidentaux, des sujets pour mieux comprendre comment les anoblir en leur demandant de nous ressembler, ou si nous étudions des sujets qui éveillent en nous toute la nostalgie d’un passé révolu, et peut être parfois d’un passé détruit.
C’est déjà, une réflexion anthropologique qui guide Itard à transformer Victor de L’Aveyron, sans doute lâché dans les bois car il était autiste, par une méthode très précise qui était l’apprentissage des signes par les sourds muets – Victor a tenu le coup parce qu’il y avait aussi cette merveilleuse Mme. Guérin qui s’occupait de ces deux là, qui fut la vraie mère adoptive de Victor de l’Aveyron. On l’oublie un petit peu dans nos récits scientifiques, on a tort, si Victor s’est attaché à quelque chose de la présence humaine, c’est quand même sans doute à Mme. Guérin.
Encore la nostalgie du bon sauvage…il s’agit du bon sauvage chétif par exemple, lorsque pour la première fois dans les années 10 un africain a gagné une course de vélo, la société des anthropologues à demandé qu’on l’examine de près car on ne comprenait pas que quelqu’un d’une constitution si chétive, élevé sous le soleil, ça devait vous ramollir de partout, pouvait gagner une course de vélo…
Et puis il y a eu quand même aux Etats Unis quelque chose d’autre, le « sauvage » américain, c’était le rescapé des massacres qui ont accablé les populations amérindiennes ; ils n’ont pas été le chercher en allant au loin, ce n’était pas l’innocent chétif des tropiques, à qui en lui apprenant que nos ancêtres étaient les gaulois on allait donner un peu de la musculature morale, mentale et physique, non, le sauvage c’était le survivant, le rescapé d’un massacre. Et quand l’anthropologie commence aux Etats-Unis, les gens qui en font, Kroeber, Boas, en s’interrogent déjà sur ce que bien plus tard Jaulin  appellera l’ethnologie, et à partir de là l’ethnologue se sent tenu d’aider des cultures à survivre.
Ce qui va alimenter la réflexion d’un Kroeber, c’est Ishi, le dernier survivant d’une tribu indienne de Californie les Yahi, on découvre au début du XX° siècle, en 1991, dans un état de dénutrition, d’errance échouée, prostrée, à Oroville, ce type que personne ne comprend, qui ne dit que quelque mots. On le soigne, on l’aide, et on fait paraître dans le journal les mots qu’il prononce. La femme de Kroeber, qui a étudié les langues indiennes comprend qu’Ishi est un des derniers survivants d’une tribu californienne amérindienne, qu’on pensait entièrement disparue Ils vont aller vers Ishi, l’adopter, ils vont se faire enseigner par lui cette langue qui comptera peut être trois locuteurs dans le monde. Ishi meurt de tuberculose en 1916. Sa langue lui survivra dans les mémoires de ceux qui l’ont protégé et observé.. On perçoit là ce grand rêve de l’ethnologue de se faire le conservatoire des dernières langues, comme Dumézil, le père du psychanalyste, était le dernier à parler telle ou telle langue. Espèce de gloire mélancolique de se dire que quand on va disparaître, une langue va mourir avec soi, espèce de nostalgie maniaque et amoureuse, car cela peut déclencher de l’amour d’apprendre une langue étrangère, certainement pas au collège, certainement pas au lycée, et surtout d’apprendre ça de quelqu’un qui est peut être le dernier locuteur à la parler en maître. Legs testamentaire d’une langue moribonde qui fait de l’ethnologue un « héritier-adopté » du symbolique évanescent d’une culture à jamais ruinée.
Ça c’est une position particulière à l’anthropologie américaine, qui va un peu déborder dans l’Ecole de sociologie de Chicago, qui a donné naissance aux travaux de Becker, où l’on s’intéresse aux migrants, et les disciples américains de Freud, les Kardiner, les Margaret Mead ils font des navettes, ils s’ intéressent à l’évolution de Roheim, à l’Australie, qui a vu arriver un nombre effroyable de savants, mais à côté de ça, ils s’intéressent aux vagabonds. Les grandes monographies de l’Ecole de Chicago proviennent de séminaires avec les psychanalystes comme Kardiner, et elles concernent des types qui « se tapaient le dur » en clair, qui prenaient le train sans payer, les « Hobo » (Louis Armstrong a enregistré une chanson là dessus en 31, c’est vous dire !), ces savants s’intéressaient aux paysans polonais, c’est la première monographie sur la migration (Le Paysan polonais en Europe et en Amérique. Récit de vie d'un migrant (Chicago, 1919). William I. Thomas et Florian Znaniecki). . Le sol « états-uniens », dans les sciences sociales est bien loin de ce uqe va le faire Lévi-Strauss pour qui faire œuvre d’anthropologie c’est étudier l’esprit humain tel qu’il se rend particulièrement lisible du cercle arctique jusqu’à la terre de feu, ça c’est le grand rêve éléatien de Lévi-Strauss. Mais la grande hantise des anthropologues c’est l’histoire, c’est-à-direla dimension et traumatique de la mort des cultures dans l’histoire. Et déjà, loin de tout folklorisme s’ammorcel’œuvre d’un Georges Devereux.
Pour les anglo-saxons, on se posera d’autres questions, leur socle, un peu comme Malinowski, qui débattait avec Jones, et était le seul des jeunes anthropologues anglais à avoir une connaissance des textes de Freud. On parle du grand débat Malinowski, Róheim, mais non. C’est quoi l’anthropologie anglo-saxonne ? C’est une anthropologie qui essaye de voir comment fonctionne les sociétés. La question du contact des cultures est très intense chez Boas, mais chez Kroeber ça n’est pas du tout à l’ordre du jour, ce qui l’est c’est d’essayer de comprendre la rationalité en terme de fonctionnement. Comment une société se donne t elle les moyens de fonctionner ? Ça pose un certain nombre de questions. Qu’est ce qu’elle décrit comme ce qui serait cause de dysfonctionnement ? C’est un peu simpliste. Lévi-Strauss a eu raison de dire que « postuler qu’une société fonctionne est un truisme, supposer qu’une société fonctionne est une absurdité ». Beaucoup des efforts fonctionnalistes échapperaient difficilement à cette remarque courtoise mais extrêmement vacharde. Ce qui intéresse les fonctionnalistes, c’est de savoir comment ça fonctionne, comment ça s’équilibre etc.
Prenons par exemple une notion particulièrement restrictive de l’inceste qui définit l’inceste comme un interdit de convoler avec telle ou telle personne, la prohibition de l’inceste c’est alors beaucoup plus restrictif que chez Lévi-Strauss qui propose une définition beaucoup plus ouverte : « si ma sœur ou ma fille sont interdites à mon commerce sexuel, c’est parce que je m’en prive pour le bien d’un étranger, qui appartient néanmoins à la même totalité culturelle, d’un autre village, à condition que celui-ci accepte de me donner sa sœur si c’est un frère, ou sa fille si c’est un  père. ». C’est la définition de l’inceste chez Lévi-Strauss, donc c’est une définition qui articule ce en quoi elle est profondément psychanalytique, la notion d’interdit avec la notion de promesse.
Mais dans le fonctionnalisme anglo-saxon, c’est beaucoup plus simple : qu’est ce qui est possible ? Qu’est ce qui ne l’est pas, et ça fait des anglo-saxons les fondateurs de l’anthropologie économique.
Or, au moment où la psychanalyse se déplie, l’anthropologie française, elle, commence par la sociologie de Mauss laquelle est directement infiltrée par les thèses de Durkheim ou par les commentaires durkheimiens, d’un Maurice Albwachs. Qu’est ce que c’est que cette grande construction maussienne ? Contenue dans l’Essai sur le don,(je détaillerai), c’est pas du tout, quoi qu’en laisse penser un titre mal choisi, un essai sur le fait de donner, c’est un essai magistral sur les obligations en lesquelles se trouve un sujet dès lors qu’il a reçu quelque chose, c’est ça l’essai sur le don. La question centrale est : « qu’est ce qui se passe une fois que j’ai reçu ? »A chaque fois que j’ai reçu quelque chose, je suis obligé de rendre quelque chose. Le jeu va s’ouvrir : Est-ce que je suis obligé de rendre la même chose ? Au moins la même chose ? Non ! Je dois rendre avec un plus. Est-ce que je suis obligé de rendre à la même personne ? Peut être pas. Et les jeux vont s’ouvrir. Est-ce que dans l’obligation de rendre c’est lié avec le fait que j’enrichi l’autre ? Pas nécessairement. Si quelqu’un veut me défier en détruisant ses biens et me donne en fait cette idée qu’il s’avance vers moi, en m’ayant enrichi parce qu’il s’est appauvri, je fais une comparaison : si A m’enrichit par comparaison qu’il s’est appauvri, je dois pour honorer ce don, détruire plus que ce qu’a détruit A. «
Voilà un mélange opiniâtre, quoique confus de protestation, de puissance, et de respect térébrant de la dette, qui s’appelle les potlatchs. Et l’essai sur le don de M. Mauss n’a rien à voir avec le fait qu’on fait circuler un bon objet entre de sympathique bonnes poires toutes heureuses. C e texte trouve sa rationalité dans l’étude des destructions de l’objet, principe même du comique cher à mes amis d’enfance Laurel et Hardy, mais qui, impliqué dans les structures sociales, voue certaines sociétés à des destins d’autodestruction mélancolique, comme ces sociétés qui ne pouvant plus douter qu’elles allaient périr, étant dans leur précarité, développait l’idée que peut être le grand cargo blanc des blancs allaient venir apporte de la richesse matérielle et symbolique. Le Cargo des blancs, ces blans colonisateurs plus ou moins assimilés à l’esprit des morts, mais de ces morts qu’on ne connait pas, de ces morts qu’aucun chamane n’ira médiatiser dans le petit aréopage des vivants, et bien pour apprivoiser ces dieux lunaires, venants sur des bateaux impossibles, on sacrifie tous les biens.
Voilà ce à quoi aboutit l’essai sur le don de Mauss. Trois termes donc : le donneur, le receveur, et le plus de quelque chose. Plus tard Lacan appellera ça le « plus de jouir », on le verra, on verra si c’est adéquat.
Et cet Essai sur le don propulse l’anthropologie française sur une voie qui ne sera pas ouverte ni par les anglo-saxons européens, ni par les anglo-saxons américains si je puis dire, cette voie qui est de savoir comment les sociétés arrivent elles encore à tisser des étoffes de rêves, des chemins de rêve pour oublier non seulement qu’elles sont mortelles, mais qu’elles sont en train de périr.
Et c’est le grand voyage de Lévi-Strauss dans les années 30 au Brésil, qui lui fit rencontrer l’horreur de la décomposition psychique et physique des sociétés Caduvéo, et qui pourtant va s’intéresser à la grâce, à l’intact, au tatouage de ces femmes, qu’il ne lit pas seulement comme un ornement, mais qu’il lit presque comme un plan de village, comme si au fond la structure de l’organisation transcendantale qui relie le terre sur laquelle on vit à celle à laquelle on a confié les morts, c’est l’espèce de plan, cette cartographie transcendantale, se résorbait, se résumait et refleurissait à son insu dans les tatouages, parages de ces parades érotiques que les femmes Caduvéo excellaient à peindre sur leurs visages et sur leurs mains en exerçant parait il sur toute la région un attrait érotique tel que beaucoup d’indiens d’autres tribus n’hésitaient pas, c’était dangereux, à traverser le fleuve, pour avoir quelques échanges, vous devinez de quel genre, avec ces femmes.
Ce que Lévi-Strauss rencontre donne toute sa portée à sa phrase étonnante, « je hais les voyages et explorateurs », un ethnologue qui dit ça, que fait il ? Il fait de l’anthropologie. Il haïssait cette façon qu’avait l’occident de se repaitre de la folie des autres, de la culture des autres, de la beauté des autres, comme on le fait d’un spectacle.
Lointain lecteur de Mauss il deviendra beaucoup plus proche dans son fameux hommage à l’œuvre de marcel Mauss qui ouvre le deuxième tome de l’anthropologie structurale, Lévi-Strauss s’intéresse à la façon qu’à une société de se rêver. Parce qu’après tout, qu’une société fonctionne ça n’est pas un scoop, qu’une société soit prise dans l’histoire, ça ne devra étonner personne, mais comment habiter le monde aussi par le rêve ? Par le rêve et par la folie ? Lévi-Strauss n’a rien à dire sur la folie, ou si peu, il a des choses à dire sur les chamanes, et ce qui l’intéresse, c’est de savoir comment les constructions symboliques à savoir les mythes, permettent au sujet de rêver le monde, c'est-à-dire de le penser dans  une puissance de métamorphose qui rend au monde sa majesté d’accueil quand bien même la société est à l’agonie.
La route de l’anthropologie est tracée pour Leiris et son Afrique fantôme, et pour Griaule au départ bandit de grand chemin, extorquant sous la menace des herbes ou des masques, pionnier conquis , comme dans une nuit fulgurante, par la puissance de la société Dogon, et se faisant dogon, là où il est enterré en effigie avec son outil de travail. Comme les dogons enterrent leur mort, avec leur outil à la main, avec ce qui permet de conduire le cheval, avec ce qui permet de cultiver le champ, Griaule en effigie est enterré avec un stylo bille. Et il rêve, il rêve avec les dogons, il rêve avec son informateur, peut être semi délirant, préfet, employé colonial, soucieux de bien se faire voir, inventant des choses extraordinaires que les dogons à leur tour finiront par apprendre, et que les jeunes Bambara apprennent pour pouvoir arnaquer des touristes complètement crétins qui pensent pouvoir faire le « dogon  tour » en deux jour à partir de Bamako, et qui vont rencontrer des réalités factices, les dogons vivant bien à l’écart de cette couillonerie ambulante.
Et l’ethnologie française sera sans doute l’ethnologie la plus concernée, bercée, illusionnée par les mythes, les grands récits qui disent le destin et qui ne commandent pas l’histoire. On en vient à supposer alors que ces sociétés sont des sociétés qui ont résisté à la tentation de l’un, de l’unique, de l’état.
Dans une paraphrase éblouissante mais un peu vaine de De La Boétie, Pierre Clastres va parler de société contre l’état. On se demande maintenant comment ces sociétés pourraient être contre quelque chose qu’elles n’ont pas connu. Mais Calstres rejoint là une haute intuition d’Antonin Artaud parlant des tupamaros, et disant que l’essentiel de leur vie psychique était consacrée à fabriquer du divers, de l’hétérogène, c’est aussi ce qui fascine Lévi-Strauss. Que le mythe ne commande pas le monde, que le mythe n’est pas simplement un récit, qu’il est d’abord une structure, qui évite à l’humain d’être pris dans la grande opposition du vivant et de la mort en intercalant entre ces deux positions, l’opposition de la chasse et de l’agriculture, l’opposition du masculin et du féminin, etc.
Et puis à côté de ces directions anthropologiques, qui vont accompagner chronologiquement et conceptuellement l’œuvre freudienne, la nostalgie, le fonctionnalisme et l’institution, les mythes et les rêves, à côté de ça, Freud lit avec passion Darwin , Darwin et sa romance sur l’origine du monde humain. Il lit avec Passion Frazer, c’est 3000 pages Le Rameau d’or, c’est exténuant, 3000 pages de collecte, c’est l’exemple type de l’anthropologue en robe de chambre, il n’a jamais quitté son gentil petit quartier de Londres, et on lui apportait des témoignages de commerçants, de prêtres , de soldats, des extraits d’almanachs, toutes chose lacunaires, futiles et disjointes qu’il essayait de mettre bout à bout en essayant de comprendre la naissance des institutions, la naissance de la royauté etc. Tout cela est fastidieux, mais accapare Freud, il est intéressé par l’étude des folklores. Par le symbolisme du sel. En 1912, il incite Sachs et Rank à prendre les commandes d’une revue dont il sera au fond et jusqu’à sa mort le seul maître à bord à savoir Imago, dotant le monde analytique pour la première fois, d’un principe de bipartition des publications qui réservent la psychanalyse en une discipline thérapeutique : journal international, et une publication qui permettra la psychanalyse appliquée, ou pour appliquer : l’anthropologie, la littérature, le folklore, et curieusement c’est dans cette revue Imago qu’on verra apparaitre, en comparaison avec les dessins de ce qu’on appelait à l’époque les primitifs, certaines des premières analyses des dessins d’enfant, dès 14 15 avec Sabrina Spielren, premières analyses des dessins d’enfants. Dans un même numéro, des textes de Rorschach, des textes sur les peintures et sur les masques. Non pas les premier texte sur l’enfant, il y eu bien sûr Ferenczi et Rank, et la première femme à être admise à la société psychanalytique de Vienne Margareth Hilferding en 191O qui avait, on l’oublie trop souvent initié les premières études et observations directes du nourrisson dès les années 1910, mais peut être n’est il pas un hasard que les premières recherches théoriques sur les dessins d’enfants et les cures d’enfants se soient trouvées dans la même revue que celle qui étudie le primitif. En quelque sorte, Imago, dans sa générosité, dans sa faconde dans sa liberté associative, n’en est pas moins ligotée par un préjugé, une illusion, que Lévi-Strauss dans le Chap. 7 des Structures de la parenté nommera à juste titre « illusion archaïque », celle qui fait équivaloir l’enfant et le primitif.
Voilà à très grands traits l’état des choses et du chantier, qui a vu se  heurter, se chercher se retrouver, se perdre les anthropologues et les  psychanalystes du temps de Freud.
La fois prochaine, on fera quelque chose de plus simple, je rependrai les difficultés qu’il y a à accoler anthropologie et clinique.
Si vous voulez faire des exposés vous le pouvez.

Chapter 2 ; Après la Censure des mes cours à Nanterre, je pus les continuer à PARIS 7. Anthropologie & clinique 2

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Paris 7 - Master 2 Recherche Psychanalyse et Champ social.

Cours d’Olivier Douville : « Anthropologie clinique : buts et Méthodes » 

« Bon, alors on va cheminer un peu aujourd’hui sur les premiers échanges historiques, comme l’autre fois, entre les psychanalystes et les anthropologues. Alors si j’avais pris comme point de départ l’espèce de co-émergence entre l’anthropologie – on va dire : l’anthropologie qui se fonde, qui se fonde dans ses textes, qui se fonde dans ses institutions – et la psychanalyse, c’était pour souligner l’effet explosif, l’espèce « d’excitation somatique » qu’a représenté sur la peau de l’anthropologie « Totem et Tabou ».
Bon, cela étant, l’anthropologie existait en tant que discipline bien avant « Totem et tabou ». Et même il serait exact au fond, en tout cas c’est un raccourci utile de considérer que si « Totem et Tabou » a eu un effet fulgurant, c’est parce qu’il est arrivé à un moment où les anthropologues eux-mêmes étaient loin d’être unifiés, qu’il y avait une certaine crise dans les fondements du savoir anthropologique. Alors bien évidemment si l’on essaye, ça sera toujours très chaotique, très difficile, de dater, non pas la naissance de l’anthropologie, parce qu’à ce moment là on peut se dire que c’est corrélatif de la philosophie non-métaphysique, mais la naissance d’une anthropologie qui se dote d’institutions et de méthodes. Anthropologie non pas comme « concernement » ou comme questionnement mais comme champ académique avec des méthodes.

L’antériorité, j’essaye de la fixer, c’est la « Société des Observateurs de l’Homme », La Société des observateurs de l'homme qui a été fondée par Roch-Ambroise Cucurron Sicard, Louis-François Jauffret et Joseph de Maimieux, dans le sillage de la révolution française, société qui décide d’observer l’être humain dans sa multiplicité, avec cette idée effectivement d’un « universel », qui n’est pas nécessairement l’universel de la raison, qui est plutôt un universel « sensualiste » . Victor de l’Aveyron fut un cas très étudié par cette société. C’est à dire essayer de comprendre au fond qu’est-ce que c’est que la capacité subjective du corps humain ? Qu’est-ce que c’est que cette « machine humaine » qui est capable de jugement, qui doit fabriquer de la pensée à partir du corps et à partir des sensations ? Ce qui est au fond une conception, on peut dire, qui est toujours présente dans nombre de recherches contemporaines.

Comment ça se fabrique de la pensée à partir de la perception : c’est bien une conception freudienne aussi…Comment ça se fabrique, la trace inconsciente, la lettre, la trace à partir du percept, c’est une question qui est au principe même de la métapsychologie freudienne.

Alors c’est vrai que la première institution anthropologique, c’est la « Société des Observateurs de l’Homme », 1799 à peu près la fondation, dans cette société quelqu’un qui s’appelle Gerando, par ailleurs linguiste, tente l’observation morale de l’homme , qui est très proche de Buffon, on peut dire. « Très proche de Buffon » en cela qu’il est pour l’observation, pour l’observation physique, pour l’observation sociale. Et qui est… : au fond est-ce qu’il y a cette idée d’une « coupure entre la coupure entre la nature et la culture » ? C’est pas évident parce qu’il y aurait un droit naturel : il y a une nature de l’homme et un droit naturel, il n’y pas cette idée d’une immense coupure « nature//culture » telle que cette idée est venue bien plus tard avec le « Structuralisme ».

Donc cette « Société » est restée grosso-modo sans suite, sinon, si ce n’est que les lointains héritiers, donc Broca ont dégradé le programme, en observation différentielle des traits physiques.
Ca c’est le goulot d’étranglement de l’anthropologie, de cette anthropologie pionnnière, ouverte par les Lumières. Et puis par le fait que les Lumières, même s’il y a eu effectivement la Terreur, ont tenté une idéologie nouvelle du « bonheur d’être humain ». Quand St Just dit : « Le bonheur est une idée neuve en Europe », c’est pas le bonheur au sens de… je ne sais pas moi, comme on dit maintenant : « Le Fun ! » quoi…
C’est le « bonheur d’être humain », le « bonheur d’être libre et raisonnable », c’est cette idée là qui est une idée neuve en Europe. C’est pas le bonheur d’aller au Mac Do. tous les dimanches, ils bouffaient d’autres choses, toutes aussi dégueulasses bien sur, mais c’est pas ça.

« Bonheur » d’être libre et rationnel : Il se trouve que ça n’a pas « fait école ». Ca n’a pas fait école
dans la mesure où on ne peut pas dire qu’ il y a eu une « formidable » école d’anthropologie française qui serait l’héritière directe de la « Société des Observateurs de l’homme ».

Alors au fond l’anthropologie, elle a commencé en tant que discipline - avec ses académies, ses méthodes, ses objets - elle a commencé dans les pays anglo-saxons. Elle a commencé dans les pays anglo-saxons avec, au fond, deux noms, dans les années 1870, qui sont d’une part Morgan et d’autre part Tylor .
Bon, qu’est-ce qu’ils amènent l’un comme l’autre ? L’un et l’autre. Qu’est-ce qu’ils amènent ?
Et bien ils amènent l’idée qu’une institution qui peut sembler tout à  fait « naturelle », à savoir la famille, est d’abord une institution culturelle. C’est une idée il me semble assez « évidente » . Mais à l’époque, non, elle n’était pas évidente du tout, pas évidente du tout. Encore que pour beaucoup d’esprits, y compris en psychologie, voir en « psychanalyse réactionnaire », ça existe quand même :
« S’il n’y a pas Papa et Maman à la maison, le gosse, psychiquement, est mal barré ! »
Bon. Des gens incultes qui disent ça. Bon. Mais on voit très bien comment ça peut fonctionner dans les services sociaux, etc, etc. : Il faudrait « recomposer » la « famille occidentale nucléaire » pour « donner les meilleures chances d’épanouissement au gamin », « Et voilà pourquoi votre fille est muette » et tout le tintouin…
Bon, l’idée anthropologique c’est qu’effectivement la famille c’est une construction culturelle qui obéit à des règles.
Alors « l’objet » qu’inventent l’un et l’autre (Morgan et Tylor, ndlr), c’est la notion de « parenté «. Le premier objet anthropologique scientifique, et non plus idéologique, c’est la notion de « parenté ». Je veux dire : « non pas idéologique », l’idéologique c’est essayer de trouver la nature fondamentalement rationnelle de l’humain où qu’il soit. Autant la « controverse de Valladolid » c’était essayer de savoir s’il y avait de l’âme humaine chez toutes ces « bizarres créatures », n’est-ce pas, non mentionnées dans la Bible mais qui sont quand même un petit peu de notre miroir, autant les idéologues c’était : « Trouver l’universalité de la raison humaine ». Bon.

Et c’est pour ça du reste que, comme je vous l’ai peut-être déjà dit, « Le Supplément au voyage de Bougainville » écrit par Diderot est un plaidoyer pour l’universalité de la raison humaine puisqu’il fait parler le Roi, le Roi, surtout le vieux Roi, n’est-ce pas, de ces îles de la loyauté, exactement comme un entrepreneur capitaliste ! Le vieux Roi des îles de la loyauté dit que la société fonctionne parce qu’elle produit des richesses, et que sa richesse, en particulier ses enfants qui vont exploiter les choses.
Enfin cette espèce de cousin, de cousin très très lointain, il faut des mois de bateau pour y arriver, c’est l’esprit bourgeois du capitalisme révolutionnaire de la Révolution française. Bon.

Mais quand ça devient autre chose qu’une idéologie, autre chose que l’idée où on va vérifier l’universalité de la raison, l’anthropologie se donne comme premier objet d’étude la parenté comme institution. Le premier objet d’étude de l’anthropologie qui va avoir une succession à l’anthropologie physique, qui elle aura une succession dans le Nazisme, mais l’anthropologie anglo-saxonne qui va avoir de la succession c’est une anthropologie qui va penser le terme d’institution. En particulier le terme d’«institution de la parenté ».

Alors à cet égard, il y a une petite poussée vers un « structuralisme » . C’est à dire que l’anthropologue ne va pas se contenter de faire des « photographies » . C’est à dire que là, par exemple, comme c’est dit si souvent, c’est « l’oncle maternel qui a l’autorité sur le fils de sa sœur », puis là c’est la « famille patriarcale », puis là ce sont des clans ( ?). On ne va pas essayer seulement de faire des photographies, c’est pas comme un herboriste amateur qui met des « espèces de familles » dans un herbier. Comme il met des espèces de plantes…
On va essayer de comprendre les « règles », les règles de la parenté. C’est à dire que poser la question suivante à travers, pas au-delà, mais à travers ces diversités : Est-ce qu’il y a des principes réccurents qui vont donner lieu à des réalités différentes ? Mais est-ce qu’il y a des « principes récurrents » ? Alors ces « principes récurrents » l’anthropologue les trouvera toujours en réfléchissant sur l’interdit.
Sur l’interdit, et c’est pour ça du reste qu’il n’y a pas – et c’est pas du tout Freud qui a inventé ça - il n’y a pas de recherche sur la parenté qui ne soit pas en même temps une recherche sur « l’interdit de l’inceste ».
Parce que c’est en cherchant ce qui est interdit qu’on peut rendre compte de la rationalité des systèmes de parenté. Faut remonter à la question de l’interdit. Et ça, c’est bien avant Freud. Bien avant « Totem et Tabou ». C’est à dire, « bien avant » c’est : une quarantaine d’années. C’est quand même beaucoup. Une quarantaine d’années. Et du reste on n’a absolument pas besoin de la psychanalyse pour parler de l’inceste en terme anthropologique. Dire que « Le petit garçon doit quitter la mère pour aller du côté du clan des hommes » ou que « La fille doit quitter la mère puis le père » : Ce n’est pas du tout un énoncé psychanalytique. On n’a pas besoin de faire « l’hypothèse de l’inconscient » pour dire ça. Absolument pas besoin. Il suffit de tracer les règles qui permettent d’établir les systèmes élémentaires de la parenté.
Donc, dire par exemple qu’ « une fille doit être « lâchée » par son père et par son frère dans l’exogamie » pour pouvoir migrer jusqu’au village d’à-côté, mais pas trop à côté, où elle va trouver un époux - et qu’il y a de l’interdit de l’inceste - n’est pas un énoncé psychanalytique : c’est un énoncé anthropologique. Donc l’énoncé psychanalytique ne touche directement comme ça aux règles sociales. Je veux dire par là qu’on n’a pas besoin de faire l’hypothèse de l’inconscient pour dire ça. C’est pour ça que dire que : « Lacan et Lévi-Strauss tombent d’accord sur le fait que l’interdit de l’inceste fait « coupure » entre la nature et la culture », c’est une banalité qui me semble absolument creuse. Complètement creux.
D’une part bien, avant Lévi-Strauss : Dès qu’il y a une pensée anthropologique sur la parenté, c’est le premier objet anthropologique, il y a nécessairement une pensée de l’inceste. On n’a pas du tout attendu Lévi-Strauss, et d’autre part, et nous allons venir aujourd’hui débusquer ces fameux bavardages généralement ineptes autour de la question de l’universalité de l’Oedipe. L’Oedipe pour la psychanalyse c’est pas « Papa-maman-l’enfant » ! Faut bien le savoir. C’est : « Le corps de la mère, le corps de l’enfant, et la valeur phallique de l’enfant » et ce corps à corps il fait jouer les registres du désir et de la jouissance. C’est pas du tout « Papa-maman-l’enfant », c’est pas ça le « triangle oedipien ». Ca, c’est un « triangle sociologique », c’est pas triangle oedipien. Alors revenons en arrière, mais on arrivera très vite à démontrer ou du moins à développer ce point que j’amène de façon un petit peu abrupt, qui pourra presque sembler provocatrice, mais le premier point ce sont les études sur la parenté.
Alors les « études sur la parenté », qu’est-ce qu’elles entraînent avec elles ? Je crois que c’est assez logique, on peut comprendre que ça se soit déplier de la sorte, des études sur trois dimensions : les échanges, l’habitat et le mythe.

Alors pourquoi ces choses là ? Peut-être le plus simple c’est de parler du mythe. Le mythe donne une réponse à une question, une problématique : « Qu’est-ce qui me permet moi, sujet de telle culture, de te considérer comme mon parent potentiel ? ».
Alors quand je dis « parent potentiel », j’entends tout autant le parent qui m’est prescrit que le parent qui m’est interdit. Si je n’ai pas le droit d’épouser ma sœur « de lait », au Maghreb ou ailleurs, ce n’est pas parce que cette sœur « de lait » m’est étrangère, c’est justement parce qu’elle est d’une certaine façon ma « parente ». Donc la personne qui m’est interdite m’est prescrite en tant que parente interdite. Sinon on y comprend rien. Donc l’interdit est une prescription. Si telle personne m’est interdite, si je ne peux pas, non  seulement copuler, mais convoler avec elle, c’est bien qu’elle m’est  prescrite au niveau du « convolage » en tant que parent interdit. Sinon elle m’est infligée au niveau de la copulation comme objet tabou, ce qui est tout à fait différent, bon.
Et qu’est-ce qui me permet donc de dire : « Telle personne est mon parent », c’est à dire que il est arrangé dans un lien avec moi qui fait intervenir la « loi sexuelle » dans l’ordre des générations. Qu’est-ce qui me permet de dire que telle personne est mon parent ?

Alors on va dire c’est la question de « l’identité ». La « question de l’identité » elle n’est pas ramenée uniquement à des usages, parce qu’après tout ils bougent tout le temps. La question de l’identité va être ramenée à un mythe d’origine. A savoir de quoi sommes-nous « descendants » pour pouvoir affirmer que nous sommes « parents » ? Parent ça veut pas dire qu’on les aime bien, ça veut pas dire qu’on s’aime bien, il n’y a qu’à voir les repas de famille, ça veut pas dire qu’on « s’aime bien ». Bon. Alors qu’est-ce qui fait que je peux me retrouver avec cette personne dans un ensemble plus vaste, qui va donner une identité qui peut être excluante, non excluante, etc. Bon : c’est le mythe. Et ce mythe va répondre généralement, si c’est un mythe, à deux questions. C’est à dire qu’il va « ourler » la question de l’identité : je suis « Bororo », je suis « Yanomami », etc., à la question de l’universalité. Tous les mythes racontent quoi ? : Que l’identité entre guillemets « ethnique » - qui n’est pas du tout un terme sociologique, quand on en fait un terme sociologique ça étouffe tout - est un cas particulier de l’identité humaine. Et beaucoup de noms de peuple ça signifie « être humain », « appartenir à l’humanité ». L’étude de la parenté aboutie ipso-facto à l’étude du mythe qui renseigne sur la qualité humaine.

Renseignant sur la qualité humaine. « Mythe d’origine ». Bon, on les dépouillera un peu les mythes, enfin ils nous dépouilleront plus vite qu’on les dépouillera, mais passons, on en parlera. On voit très bien que cette étude sur les mythes elle va se prolonger, elle va se prolonger chez Griaule , elle va se prolonger chez Leiris , Elle va se  prolonger dans cette résurgence du folklorisme qui a traversé l’anthropologie pour donner les anthropologues férus de mythologie. Un des plus vif exemple c’est Claude Lévi-Strauss. Se prolonger, et assez précisément, elle va se prolonger surtout en France.
Surtout en France que - avant le coup de semonce de Balandier en 1950 disant : « Eh, les amis, votre anthropologue il est quand même aussi pris dans des rapports politiques avec son terrain ! » - mais avant l’anthropologue était un petit peu là…Et je pense que Leiris y est pour beaucoup. Je pense que l’influence d’un Leiris proche de la psychanalyse grâce à Bataille, l’influence de Leiris sur Griaule l’est pour beaucoup, et l’anthropologue il est là pour écouter comment une société rêve. Bon. Le premier champ ça pourrait être ça.
Alors deuxième champ : les échanges. Les échanges parce que la parenté c’est une institution vivante. La parenté ce n’est pas simplement quelque chose qui va être « objectivé » par le généalogiste. Le généalogiste, il fait quelque chose de très simple : c’est à dire qu’il part de vous puis il va chercher à ramifier jusqu’à un passé absolument extraordinaire, n’est-ce pas, tous les responsables de votre « merveilleuse existence ». Bon. Mais ça, c’est pas de l’anthropologie.
L’anthropologie c’est de dire que la parenté est une institution vivante, donc elle est faite de dons et contre-dons.
Donc on va bien sur étudier à ce moment là le mariage, comme un système d’alliance entre des clans. On va s’intéresser à la question de la dette, à la question de la dote.

Donc vous voyez le deuxième objet qui est afférent au fait d’avoir élu comme première matière à penser pour l’anthropologie la parenté : Le deuxième objet c’est l’ensemble des échanges élargis entre deux groupes qu’on va nommer de façon extrêmement simplificatrice, je veux dire algébriquement : je veux dire le groupe « donneur de femme » et le groupe « preneur de femmes ». Sachant que quand on dit ça on distingue des places, et pas des identité de groupes. C’est-à-dire que dans une alliance, le groupe à l’ouest des Yanomami peut être donneur de femmes, et dans une autre alliance il sera « preneur de femmes ». On distingue donc des fonctions, des places logiques. Mais on ne « cloue » pas les sujets masculins ou féminins qui composent un groupe dans la stricte dimension soit du « preneur de femmes » soit du « donneur de femmes ».
Il semblait assez rare que ce soit, dans l’exogamie, les hommes qui partent, qui quittent le corps de la mère pour aller trouver épouse ailleurs. C’est assez rare. Seulement, voilà, ces échanges « preneurs » et « donneurs » de femmes se régulent par autre chose que par le mariage. Le mariage est en quelque sorte un moment « culminant ».

Alors si essaye de comprendre tout l’éventail de ces « autres choses », c’est très large. Mais on pourrait - pour faire une continuité avec le premier sous-objet d’étude subséquent au fait que la parenté a été la première matière à penser pour l’anthropologie - on pourrait considérer que ces groupes « échangent leur mythes ». Ils échangent leurs mythes. Et qu’il est tout à fait exact que pour des cultures qu’on va appeler polythéistes, les dieux s’échangent. Voyez, ce qui n’est pas tellement dans le goût des affrontements religieux monothéistes. C’est le moins qu’on puisse dire, on peut le regretter, mais c’est comme ça. Les dieux s’échangent.
Et il n’est absolument pas scandaleux, abusif, personne n’ira au bureau des réclamations, que un groupe dise : « Tiens, parmi mes dieux ancêtres on va prendre ton dieu ancêtre. » « On va te le prendre » ça veut pas dire : « On va te l’enlever ». Attention. Ca veut pas dire :« On va te le piquer ». Comme si on détroussait ! On va pas détrousser le village d’à-côté des dieux, mais on va trouver qu’ils ont dans leur réserve métaphysique un dieux qui nous irait bien. Alors on l’invite à rejoindre nos dieux familiers. Et généralement les invitations ne sont pas refusées à condition que le groupe qui a invité le dieu d’en face à aller prendre ces quartiers aussi au sein de son « panthéon » ne garde pas jalousement tous ses dieux pour lui et leur donne le goût de la « bougeotte ». De sorte que vous avez comme ça des dieux qu’on va appeler « panthées ». Qui sont au fond des dieux qui se promènent, qui sont à l’aise, à s’échanger comme ça dans le « monde cosmique » de deux groupes  qui par ailleurs échangent des femmes, des coquillages, et parfois, du reste, des castagnes parce qu’il y a aussi la logique de la guerre.
Des emprunts de dieux c’est des choses qu’on connaît bien. Il faut suffit de savoir que dans La Grèce antique la digne veuve d’Osiris, « Isis l’éplorée »’ avant une fonction tout à fait extraordinaire de messagère des dieux. Elle était, comme toutes les bonnes entreprises postales, heureusement nationalisée, mais par la citée athénienne. Il suffit de voir à quel point Héraclès qui migra au-delà de l’Hin dus pouvait être sculpté avec un petit peu de l’art qu’avait les bouddhistes afghans de sculpter leur Bouddha.

Et on trouve des traces - on trouvait, je veux dire - : Au musée de Kaboul, moi j’ai vu - à l’époque on pouvait s’y promener, hein – des traces d’un Héraclès qui avait vraiment un faciès extrêmement bouddhique. Sauf qu’il avait une massue, ce qui n’est pas généralement un accessoire de méditation de Bouddha. Les dieux sont en voyage, les dieux sont en exil, et qu’après tout « c’est ce qui forme leur genèse », d’une certaine façon. Les groupes s’échangent des dieux, voilà.

Et même il y a certains groupes qui vont arriver avec leur dieu un peu en « first aid » :
« Il n’a pas plu chez vous, mais pourquoi ? Ecoutez, votre divinité des pluies elle m’a quand même l’air un peu fatigué, elle m’a quand même l’air un peu usé ! La nôtre, niveau tuyauterie, canalisation, éclaboussage, elle est « tip-top » vous pouvez la prendre un petit peu, ça vous fera du bien ! ». Généralement quand on fait ça, il y a un futé qui voit quand même qu’il y a des gros nuages qui encombrent l’horizon, c’est, évidemment, la déesse qui s’est pointée, tout va très bien, tout va très bien !
On peut échanger des « bouts de mythes ». Alors, effectivement les anthropologues, surtout avec Lévi-Strauss, ne s’intéressaient pas à l’énonciation du mythe. Du reste on connaît tous des traces de mythes : « Tous les hararas sont des Bororos », mais enfin tout ça c’est dit en français. En Amérique du Sud les Indiens ne disent pas « tous les hararas sont des Bororos » pour dire qu’ils se réfugient dans le totem du perroquet. On ne sait pas comment ils le disent du reste. On ne sait pas. Tout ça c’est traduit. Bon. Donc l’énonciation elle en prend un sacré coup.
Mais ce qui est sur c’est que les mythes c’est exactement, si vous voulez une comparaison peut-être plus actuelle : c’est comme le Blues, comme le Blues des Afro-Américains. Le Blues, y a des thèmes fondamentaux : l’inondation, la tromperie, la dèche, l’alcoolisme. Il n’y en a pas 36, des thèmes fondamentaux.
Et puis le mec qui serait mieux à dormir à la maison avec maman mais il a voulu trouver une femme, et puis elle l’a trompé, et puis après il a joué, et puis il a un « dream », et puis il est reçu par le Président des E.U., etc…Bon. Mais enfin y’en n’a pas 36000 des thèmes, bon. Mais en revanche chaque joueur de blues a sa façon « d’y aller », a sa façon de contredire la théorie des 12 mesures en ajoutant une treizième comme B. L. Jefferson, en ajoutant des mesures de « ragtime » comme L. Jordan, etc.

Donc les mythes se racontent avec énormément de particularités locales.

Et si de plus vous avez dans le village, ça arrive, un grand paraphrène – y en n’a pas de petit, c’est comme les paranoïaques – y a des petits obsessionnels, ça vaut mieux, mais des petits paraphrènes ça n’existe pas, c’est toujours du « cinémascope ». Bon. Si vous avez un grand paraphrène qui va complètement vous modifier les données locales, pourquoi on n’intègrerait pas ça ?
Ce qui veut dire que sur des thèmes aussi drastique que par exemple : le fils qui tue son père - c’est pas de chez Sophocle - ou l’oiseleur qui s’égare dans les plus hautes branches des arbres chez Lévi-Strauss, etc etc, vous aurez des variations absolument importantes d’un groupe à un autre. Variations que l’étude structurale va gommer, bien évidemment, mais qu’une étude plus politique ne doit pas gommer. Pourquoi ?
Parce que ces variations s’échangent.

Et parce qu’après tout, de temps en temps, « On a besoin du type du village d’en face qui sait raconter les mythes comme personne, parce que chez nous quand y a le vieux qui raconte un mythe, s’il lisait le bottin on s’ennuierait tout autant ». Bon, donc les conteurs s’échangent. Et c’est ce dont Blanchot du reste s’était déjà aperçu dans son texte sur l ‘amitié, en parlant - c’est complètement fantasque mais ça peut être réel, enfin du moins on va supposer que c’est vrai – en disant qu’au fond les grandes peintures rupestres qui représentent des ours ou des cervidés, peut-être qu’il y avait quelqu’un qui se promenait avec dans sa peau de bête, un replis de sa peau de bête, des petites figurines qu’il avait taillé en os et qui proposait comme modèle aux « peintres sur rocher ». C’est dans « L’amitié » de Blanchot , c’est l’un des rares moments où Blanchot va dans la fantaisie à pleins tuyaux, vu le recul qu’on a vis à vis de cette époque c’est quand même permis, mais au plan d’une anthropologie vivante, c’est à dire : des gens qui vivent, c’est pas du tout idiot. Et moi j’ai vu d’un village à un autre du bas Congo des artistes, avec une certaine façon très particulière de sculpter des masques ou des statues dont on a fort besoin pour certains rituels, et qui se déplaçaient de village en village.
Et c’est peut-être pour ça qu’au Musée Dapper généralement vous voyez, comme il y a au Louvres « Maître de la Nativité », ou Messe  de St Grégoire, vous avez : « Maître de la statue gémellaire ».
Vous vouliez poser une question ?

-Question d’une étudiante : Vous avez dit tout à l’heure que, en s’intéressant aux mythes comme une façon d’une société de « se rêver », c’est ça ? Vous voulez dire alors qu’on pourrait « s’échanger des rêves » ?

O.Douville : Mais on n’arrête pas de « s’échanger des rêves »…

Etudiante : Alors vous faîtes un rapport entre le mythe et le fantasme ?

O. Douville : Oui, je fais un rapport entre le mythe et le fantasme si vous voulez…

Etudiante : Quel rapport il y a entre le mythe et le fantasme ?

O.Douville : Je pense que le mythe inverse le fantasme dans la fiction. C’est ça. J’en parlerai une autre fois. Bon, il y a l’article « Mythe et fantasme » de Valabrega dans « Etudes sur la perversion ». Le fantasme est une façon qu’à l’enfant de répondre à la question de l’origine en ne l’assèchant pas complètement dans les théories sexuelles infantiles. A partir de quoi il y a un lien à faire non pas entre le mythe et le fantasme comme production, mais disons que ça satisfait différemment à la même question. Le mythe satisfait à des questions qui n’ont pas une réponse totale dans le symbolique, le symbolique tel que peut pas y répondre. Par exemple : Pourquoi une femme fabrique un garçon ? : pas facile que le symbolique y réponde. Comment un corps sort d’un corps ? : le symbolique ne peut pas y répondre comme ça. Et je pense que le mythe c’est ce qui permet de « déplier » un certain nombre de contradictions sous forme d’un récit. Alors peut-être que comme le fantasme il offre des assises identificatoires.
Ca j’y reviendrai. Pour l’instant je « déplie » quand même le premier objet et les trois conséquences.

Premier objet : c’est la parenté :

- Première conséquence : c’est l’analyse des mythes,
-
- La deuxième conséquence : c’est l’analyse des relations d’échange. Et ces relations d’échange ne peuvent pas être limitées simplement à la « question de l’économique ». Les sujets échangent des biens ou font du troc, mais on doit trouver une autre réponse à savoir que ce qui s’échange c’est du matériel réel, l’imaginaire et symbolique. La théorie généralisée de l’échange doit selon moi prendre en considération prendre en considération les trois dimensions du réel, de l’imaginaire et du symbolique :
- Bon, ce qui s’échange réellement ce sont des corps.
- Ce qui s’échangent symboliquement, c’est le « bien » dès qu’il est  en quelque sorte calculé. C’est le « bien » en tant qu’il circule d’un groupe à un autre selon des agencement de discours. Ce sont des agencements de discours qui fait que par le discours on est fondé comme « récepteur-créditeur ».
- Et ce qui s’échange imaginairement c’est quelque chose qui est de l’ordre plutôt de la façon dont les sociétés rêvent le mythe, ou rêvent le rêve.
-
On dit que les « rêves s’échangent » : dans beaucoup de villages africains où j’ai pu être, le matin les femmes se réveillent très tôt, avant de faire leur besogne, aller chercher de l’eau ou piler le mil, pendant une heure elles se racontent leurs rêves. Le fait de s’échanger les rêves et de se raconter les rêves, pas simplement « Qu’est-ce que tu as rêvé ? » mais : « Comment j’ai prolongé ton rêve ! ». Je m’explique : J’avais eu le très grand honneur d’être convoqué par plusieurs femmes Dogons le matin - non pas à piler le mil parce que j’aurais salopé le boulot – mais à écouter la façon qu’elles échangeaient leurs rêves. Et c’était tout à fait saisissant : c’est pas « Moi j’ai fait un rêve, moi j’ai fait un rêve, toi t’as fait un rêve, etc.… ». C’était : « Le rêve que tu as dit hier, moi je l’ai visité et je l’ai continué ». C’est ça qui est absolument extraordinaire. Il y a une solidarité imaginaire et symbolique tout à fait formidable !
Bien sur que les rêves s’échangent. Donc le système des échanges doit brasser ces trois dimensions. Reste que pour bien comprendre l’échange – et ça on en était pas là à l’époque de « Totem et Tabou » - je crois qu’il a fallu vraiment que Freud insiste sur la notion de « Tabou » pour qu’on pige quelque chose qui me semble absolument essentiel.
C’est que pour comprendre ce qui s’échange, il faut comprendre ce qui ne peut pas s’échanger. Absolument essentiel. Pour comprendre ce qui se consomme, il faut comprendre ce qui ne peut pas se consommer. Pour avoir une « théorie de la circulation » ou une « théorie de l’épuisement », il faut avoir une pensée très précise de ce  qui est « in-circulable » et de ce qui est indestructible. Or précisément « l’indestructible », qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas forcément le truc dur, solide, comment dire : « incassable ». L’indestructible ce n’est pas « l’incassable ». Je vais vous donner un exemple, et ça rentre dans l’histoire des échanges.
L’anthropologue Stéphane Breton, dans son livre très important qui s’appelle « La mascarade des sexes » qui est paru chez Calmann-Lévi il y a au moins 12 ans - Stéphane Breton qui est un spécialiste, enfin disons qu’il n’y a que lui qui va dans ce coin de la nouvelle Guinée, voilà, Il expliquait quelque chose qui peut étonner. Et surtout les non-anthropologues et surtout les non-psychanalystes, et qui peut étonner ceux qui sont esclaves du « surmoi capitaliste industriel moderne », qui est que :

Deux groupes peuvent échanger leurs ignames – des fois on échange la même chose en plus, parce que ce qui compte c’est pas d’échanger un objet A contre un objet B, mais d’échanger un objet A qui dans sa « mêmeté » même révèle l’altérité puis qui vient de l’autre, donc on échange la même chose – alors on va commencer à échanger les ignames et c’est une foire d’empoigne. C’est pas la « La petite maison dans la prairie », on peut se taper sur la gueule !
Mais à une condition c’est que la plus belle igname on la laisse pourrir. On le laisse pourrir. Et on le laisse pas pourrir dans un coin, comme ça, au rebut, à la déchèterie. Sur un tertre, édifié à cette occasion au milieu de la place du village, on laisse pourrir l’igname. Et si on n’a pas trouvé le « méga igname »…- Alors évidemment ce qui se croient psychanalystes vont dire : « Symbole phallique ! », Comme si c’était de la psychanalyse dès qu’on voit un truc comme ça de dire : « Zizi » - c’est pas de la psychanalyse !
Bon, il faut trouver le « méga igname » . Et cette espèce de valeur, qui ne se monnaye pas, qui ne se fracture pas est vouée au pourrissement, à un éternel pourrissement. C’est un peu sur ce fond, non pas de destruction, mais ce fond où ce qui pourrait, à tort,  servir de « valeur étalon », rejoint dans sa féconde pourriture « l’humus du monde », c’est à dire sur ce fond de re-création « d’humus du monde » que l’on finit par trouver que les autres choses ont de la valeur. On échange quelque chose qui est comme ce qui a chuté de cet « humus du monde », qui n’est à ce moment là pas seulement un objet pourrissant, mais presque la toile de fond de toute l’existence des substances périssables, y compris le corps humain.
Question d’une étudiante : Il n’y a pas une dimension mystique autour de cet objet qu’on a fait pourrir ?

O.Douville : Si c’est pas mystique ce que je vous raconte, moi je sais pas ce que veut dire « mystique ». Mais évidemment, mais la difficulté que l’on a avec votre question – elle est superbe…

Etudiante : Le « sacré », je veux dire.

O.Douville : Non, mais effectivement, c’est que le « sacré » c’est ce que l’on touche par le sacrifice. Mais la difficulté avec laquelle on est, c’est qu’on ne va pas toucher le « mysticisme » au sens absolument ultra rabaché, ça devient du moulin à prière cette affaire, la jouissance mystique, généralement catholique, du sujet qui est pris dans une extase. Voilà. Comme là maintenant tout le monde sait que la Thérèse du Bernin, elle jouit, ça se voit, etc., en plus c’est sur la couverture d’ « Encore » , donc c’est estampillé de vérité de vérité, mais ça m’a l’air d’être un cas particulier de mysticisme.
Donc on échange à condition d’avoir mis en place l’inéchangeable. Et ça c’est tout à fait important. C’est une décision dans certains mondes : tout ne peut pas s’échanger. La valeur repose sur l’idée qu’il y a quelque chose qui est incommensurablement hors du champ de la valeur. Et que ce quelque chose qui est hors du champ de la valeur, c’est pas un fétiche, on n’en fait pas un truc qui fait que le monde va bander. C’est pas un fétiche, c’est quelque chose qui rappelle dans sa dé-matérialisation – c’est pas du tout une dé - substantialisation – la « substance originelle du monde ».
Alors voilà, et qu’est-ce qui ne peut pas circuler ? Ca c’est tout à fait important. Parce que l’exogamie, c’est pas le « libre échange », c’est pas « Tout le monde circule ». Parce que « tout le monde circule », cela s’appelle de « l’errance ».

L’exogamie c’est ce qui articule le fait que le garçon reste au lieu, à l‘endroit du maternel, et que ce sont les filles qui se déplacent. Voilà, grosso-modo, l’exogamie.
Dans l’exogamie, la migration, elle est du côté féminin. L’exogamie telle qu’étudiée par Taylor, par Morgan, puis par Freud, l’exogamie elle marque le féminin du côté de l’exil. C’est tout à fait important. C’est à dire qu’on pourrait penser – ça c’est de la psychanalyse, c’est plus de l’anthropologie - que la femme se « décolonise » du corps maternel en se présentant comme étrangère, elle devient « étrangère », elle n’est plus « pétrie » pas ce corps maternel.
L’exogamie c’est une institution qui permet de « détacher » la fille de la mère. A cela il y aurait du reste quelques piste, en cinq minutes, peut-être quelques illustrations :

Lorsque les systèmes exogamiques ont arrêté de fonctionner, pour des tas de raisons :
Ca peut-être, par exemple, qu’il est plus en plus difficile de se marier parce que c’est de plus en plus cher, dans beaucoup de pays : l’âge moyen du mariage au Mali a reculé de 5//6 ans en à peine 10  années, parce que c’est de plus en plus cher.
Ca peut être que les moments, dans les espèces de petites catastrophes régulières écologiques - tout d’un coup une « mono-culture » là où il y avait une polyculture - c’est particulièrement net au Yémen, au Sénégal aussi. Pour aller survivre, on va quitter la Casamance pour aller à Dakar ou à St Louis. Pareil : pour fuir la sécheresse on quitte le cœur du Niger pour aller à Niémen. Alors là les garçons et les filles vont se marier en ville, on pourrait dire : « C’est de l’extérieur », mais ce n’est plus de l’exogamie au sens très réglementé, dans la mesure où l’exogamie c’est : « aller chercher mari dans le même ensemble mais loin de la localisation familiale de cet ensemble ».
L’ensemble Yanomani, l’ensemble Bororo, c’est ça l’exogamie, on quitte pas son groupe, on quitte son village. C’est différent. Il s’agit pas d’idéaliser un modèle en disant « C’est comme ça qu’il fallait vivre », c’est pas ça que je veux dire.
Maintenant ce que je veux dire, c’est quoi ? C’est qu’à partir du moment où les systèmes d’exogamies ont été brutalement supprimés, pour des tas de raisons, qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce qu’on a observé ?
Et bien on a observé une recrudescence, voir une création, de ce que tous les cliniciens connaissent très très bien en Afrique de l’Ouest, aussi à la Réunion : les psychoses puerpérales.. Qui sont pas des psychoses dissociatives. Et qui sont des bouffées délirantes, peu avant ou après la naissance de l’enfant. Généralement ces psychoses puerpérales c’est pas graves, si c’est soigné. Ca peut être soigné, évidemment, parce que des fois il le faut, par des médicaments qui stoppent l’angoisse, mais enfin ce qui permet de bénéficier du fait que l’angoisse est stoppée c’est la parole. Et très souvent ce qui est un facteur de résolution de ces psychoses puerpérales, c’est quand - on les comprend comme une tentative assez rigoureuse - et je le développerai - que fait la fille pour ne pas être confondue avec le corps de la mère.
Y compris en disant qu’elle ne sait plus qui elle est, etc…C’est comme si l’accouchement – pas pour tout le monde - la mettait trop proche du corps de la mère, et ne la séparait donc pas assez du corps de la mère. Et qu’elle n’était non pas « une parmi d’autres », « une femme parmi d’autres qui est aussi mère » mais qu’elle était engluée dans une espèce de « matrie primordiale ». C’est tout à fait important. Il y a eu un lien – ça c’est de l’anthropologie clinique – très fort entre la lente destitution de la symbolique exogamique et l’éclosions délirantes au moment de l’accouchement.

Donc alors je résume ce que j’ai dit, parce qu’il faut que j’illustre, mais il faut aussi que je résume :

Premier point : on prend une décision qui est de dater l’anthropologie du moment où elle devient une discipline à prétention scientifique, à méthodologie scientifique, à institutions scientifiques.
On y verra, dans une lecture sans doute trop linéaire une première réalité dans « La Société des observateurs de l’Homme », mais véritablement avec la création de la « Chair d’anthropologie » en Grande-Bretagne en 1881, la création d’une discipline qui prend en charge comme premier problème : la parenté .
Ce premier problème de la « parenté » va se subdiviser en trois questions : les échanges réels, imaginaires, symboliques. C’est à dire : les échanges de corps, les échanges économiques, les échanges de rêves, les échanges de mythes. 

Un poème de DU-FU, le plus célèbre des poètes TANG (VIII° siècle)

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Le plus célèbre des poètes TANG (VIII° siècle)

Le vieillard de Chao-ling

Le vieillard de Chao-ling, étouffant ses lamentations, pleurait;
Au retour du printemps, caché sous des habits grossiers, il parcourait lentement les bords sinueux de la rivière Kio.
Hélas ! murmurait-il, elles sont fermées les mille portes du palais, qui se mire dans cette eau limpide.
Les jeunes saules et les roseaux de l’année, pour qui verdiront-ils maintenant ?
Autrefois, dans ce jardin du Sud, on voyait flotter l’étendard du souverain ;
Tout ce que produit la nature s’y parait à l’envi de ses plus belles couleurs.
Là, résidait celle que l’amour du premier des hommes avait faite la première des femmes,
Celle qui prenait place sur le char impérial, aux promenades des beaux jours,
Devant le char, se tenait la gracieuse escorte des jeunes filles armées d’arcs et de flèches,
Montées sur des chevaux blancs qui piaffaient en rongeant leur frein d’or ;
Elles retournaient gaiement la tête, lançaient des flèches jusqu’aux nues,
Et riaient, et poussaient des cris joyeux, quand un oiseau tombait victime de leur adresse.
Où sont maintenant les prunelles brillantes, où sont les dents blanches de la favorite ?
Son âme, souillée de sang, a quitté son beau corps pour n’y plus revenir.
Peut-être les flots silencieux qui coulent vers l’Est ont-ils vu celui qui la pleure ;
Mais, du fond de ces défilés et de ces vallées, qui nous dira ce qu’il est devenu ?
De telles douleurs arrachent des larmes à tout homme dont le cœur n’est pas insensible.
Hélas ! le règne de ces jardins verdoyants et fleuris est-il donc fini pour toujours ?
Chaque soir, s’abattent sur la ville des nuages de poussière soulevés par les cavaliers tartares.
Tel est le trouble de mon esprit que je pensais aller au Sud et j’ai marché vers le Nord.

Un petit tour dans la mémoire de Louis Vuitton

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Un petit tour dans la mémoire de Louis Vuitton










PETITION EN FAVEUR DE L'EQUIPE DE RECHERCHE « Clinique psychanalytique du sujet », axe 2 du LCPI (EA 4195) de l’Université de Toulouse Jean-Jaurès

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http://www.petitions24.net/petition_en_faveur_de_lequipe_clinique_psychanalytique_du_sujet

PETITION EN FAVEUR DE L'EQUIPE DE RECHERCHE « Clinique psychanalytique du sujet »,
axe 2 du LCPI (EA 4195) de l’Université de Toulouse Jean-Jaurès

Depuis le mois de novembre dernier, l’équipe de recherches « Clinique psychanalytique du sujet » (ex- Équipe de recherches cliniques dirigée successivement par Michel Lapeyre, Marie-Jean Sauret et Sidi Askofaré), qui regroupe au sein du Laboratoire de Cliniques Psychopathologique et Interculturelle de l’Université de Toulouse - Jean Jaurès des Enseignants-chercheurs orientés par la psychanalyse, subit des attaques institutionnelles et politiques ( exclusion du LCPI de ses deux Professeurs et directeurs de recherche, fragilisation de ses doctorants, et des Maîtres de conférences et enseignants non statutaires, mise en cause du poste de MCF attribué initialement à cette équipe en vue de son renforcement, etc.,).

Nous, enseignants – chercheurs des universités, chargés d’enseignement à l’université, Collèges des psychologues praticiens des Hôpitaux, psychologues cliniciens en charge des stages de professionnalisation des étudiants, psychanalystes d’appartenances institutionnelles diverses, anciens étudiants de l’université de Toulouse Le Mirail, étudiants actuellement en formation à l’UT2J, citoyens soucieux de la recherche et de l’enseignement de la psychanalyse à l’Université :
  • Exprimons notre surprise et notre indignation face à la violence et à la maltraitance – indignes de l’institution universitaire – dont sont victimes les enseignants-chercheurs de cette équipe et, à travers eux, les étudiants et doctorants dont ils ont la charge ;
  • Demandons au Président de l’Université de Toulouse –Jean Jaurès et aux instances compétentes (Conseil scientifique et Conseil d’Administration) de prononcer l’illégalité et l’irrecevabilité de l’exclusion par le LCPI des deux professeurs ;
  • Soutenons le maintien et le développement des recherches et des enseignements en psychanalyse en vue de contribuer à la formation pluraliste des psychologues, cliniciens notamment ;
  • Engageons le Président de l’UT2J, le Conseil d’Administration et le Conseil de l’UFR de Psychologie à maintenir l’attribution du poste de Maître de Conférences en Psychologie clinique du sujet et du lien social initialement attribué à cette équipe ;
  • Invitons les instances de l’UT2J, de l’UFR de Psychologie et du Département de Psychologie clinique du sujet  à trouver, le plus rapidement possible, les voies et moyens pour trouver une issue à ce conflit, réinstaurer le dialogue entre les parties, et restaurer, pour les enseignants-chercheurs, les doctorants et les étudiants, les conditions de sérénité et de confiance nécessaires à la poursuite de leurs missions et de leurs travaux.


Signatures sur : http://www.petitions24.net/petition_en_faveur_de_lequipe_clinique_psychanalytique_du_sujet

Chronologie de la psychanalyse, IV : 1901-1905, L'université, les échos américains, le mot d'esprit

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Chronologie de la psychanalyse,  IV : 1901-1905, L'université, les échos américains, le mot d'esprit




1901

A Vienne, le médecin Max Kahane (1866-1923), un des premiers fidèles de Freud, est le premier à présenter, dans un manuel de médecine, l’usage thérapeutique de l’interprétation des rêves (Grundriss der inneren Medicin, Deuticke, page 580)
Allemagne : Lowenfeld Leopold (1857-1923) psychiatre à Munich publie Uber der Traum (sur le rêve) de Freud dans la Grenzfragen des Nerven-und Seelenlebens collection,  en collaboration avec H. Kurella. Fera ultérieurement des références détaillés et exactes à   la psychanalyse dans certains de ses livres dont le chapitre « Die Methode psychoanalystische » (La méthode psychanalytique)   Die psychischen Zwangserscheinungen (L'obsession psychique), Wiesbaden, 1904.
États-Unis : Stanley Hall cite les travaux de Freud devant ses étudiants.
Parution de Variety of Religious Experience de Williams James où il approuve la cure mentale qu’il tient pour une rupture avec le victorianisme.
France :  Au cours d’une séance de la Société de neurologie, Joseph Babinski affirme que la caractéristique des manifestations hystériques est que l’on peut les reproduire et les faire disparaître chez certains patients par la seule méthode de la suggestion. Ne prenant pas en compte la psychologie de ces personnes, Babinski propose de substituer au terme d’hystérie celui de « pithiatisme » (du grec  peitho, persuader, et iatos, curable ).  Freud et Janet sont alliés dans l’opposition à cette réduction a-psychologique.
Paul Hartenberg publie Les timides et la timidité chez Alcan (réédité en 1904 et 1910) et La névrose d'angoisse, ce dernier ouvrage est riche de citations de Freud.
Pierre Janet et Georges Dumas (1866-1946) qui est aussi le  fondateur de L’université de Sao Paulo,  créent la « Société française de Psychologie ».
Henri Bergson dit se rallier aux observations de Freud sur les restes diurnes dans sa conférence sur le rêve donnée à l’Institut psychologique, le 26 mars.
Suisse : Bleuler, extrêmement impressionné par L’Interprétation des rêves, invite Carl G. Jung (1875-1961) à la clinique du Burghölzi à donner une conférence sur cet ouvrage. Jung avait franchi les portes de la clinique le 10 décembre 1900. Bleuler, et non Jung, introduit la psychanalyse au Burghölzi où il recrute une équipe de collaborateurs ouverts à la psychiatrie dynamique. Bleuler, vivait au milieu de ses patients, partageant leur repas et leur vie quotidienne. Très peu de temps avant l’arrivée de Jung, Bleuler avait publié un article dans lequel il démontre que ce qu’il nomme les « mécanismes freudiens » se retrouvent non seulement dans les rêves ou les symptômes de la névrose mais encore dans les symptômes et les productions de la schizophrénie. (« Freudische Mechanismen in der Symptomatologie von Psychosen ». Psychiatrisch-Neurologische Wochenschrift, 8). Son vif intérêt pour les thèses de Freud provient en bonne part de l’importance qu’il donne, à la suite de Kraepelin, de l’origine psychologique de la démence. Jung entreprend des expériences visant à mettre en évidence l’existence de « complexes idéationnels inconscients » qu’il poursuivra jsuqu’en 1902 et lui apporteront une renommée enviable. 

1902

Freud est nommé Professeur extraordinaire (premier grade universitaire, c’est-à-dire professeur sans chaire), dès l’année 1897 Nothnagle et Kraftt-Ebing avait proposé le nom de Freud à un tel poste. Le décret est signé de l’empereur François-Joseph, le 5 mars.  Après sa nomination Freud  écrit à Fliess : « Les félicitations et les fleurs pleuvent de toutes parts, comme si le rôle de la sexualité avait soudain été reconnu officiellement par Sa Majesté, l’importance du  rêve confirmé par le Conseil des ministres et la nécessité d’une thérapie psychanalytique pour l’hystérie adoptée au Parlement avec une majorité des 2/3 ».
Octobre : création à Vienne de la Psychologische Mittwoch Gesellschaft(Société psychologique du mercredi). Le médecin et sexologue Wilhem Stekel (1868-1940) fut, selon Ernest Jones (1879-1958), à l’initiative de ces réunions. Stekel a travaillé dans la clinique médicale de Krafft-Ebing avant de soutenir sa thèse en 1893. il a rédigé en 1895  un des premiers textes qui mentionnent l’existence d’une sexualité chez l’enfant : « le coït chez les enfants ».  Première société psychanalytique au monde, elle réunit notamment, outre Stekel, Rudolf Rietler (1865-1917) un compositeur qui fut selon, Ernest Jones, le premier à pratiquer la psychanalyse après S. Freud ; Max Kahane,  Ludwig Jekels (1861-1954) ; Hugo Heller (1870-1923), éditeur ; Alfred Adler (1870-1937) ; Paul Federn (1871-1950) ; Eduard Hitschmann (1871-1957) ; Max Graf (1875-1958), musicologue ; Hanns Sachs (1881-1947) ; Otto Rank (1884-1939), ouvrier métallurgiste, initié à la psychanalyse par le médecin de sa famille, Alfred Adler (1870-1937). Wihelm Stekel en relate les discussions chaque semaine dans l’édition du dimanche du Neues Wiener Tagblatt (Nouveau Quotidien Viennois) non sans s’y donner une grande importance. La composition et le fonctionnement de ce groupe ont quelques analogies avec les cercles intellectuels viennois, masculins et organisés autour d’un homme, dont le mouvement Sécession qui tourne autour du peintre Gustav Klimt (1862-1918), la composition musicale dodécaphonique  avec  Arnold Schoenberg (1874-1951), ou encore l’asscemblage de talents qui entoure Karl Krauss (1874-1936) et son journal Le Flambeau. Freud exige de chacun qu’il prennne la parole, l’ordre étant déterminé par  tirage au sort. Il était hors de question de parler à l’aide de notes écrites par avance. Nombre des proches de Freud sont des sociaux-démocrates et il en est de même d’une bonne partie des premières analysantes dont Emma Eckstein. 
 Etats-Unis  Adolph Meyer (1866-1950), psychiatre suisse émigré aux Etats-Unis en 1892, devient directeur de l'Institut de Pathologie de l'État de New York où il formera une grande partie de la psychiatrie américaine en se référant aux thèses de Kraepelin concernant la classification des pathologies mentales et aux travaux de Freud pour ce qu’il en est de la sexualité et de l’éducation des enfants.
France : dans une conférence donnée à l’Institut Général de Psychologie, Henri Bergson (1859-1941) fait référence à la Traumdeutung et cite, au côté de Robert et Delage, le nom de Freud. On mentionne brièvement Freud lors du Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de Grenoble. Paul Hartenberg, publie La névrose d’angoisse, (recueil d’articles publiés l’année précédente dans la Revue de Médecine), ouvrage dans lequel il expose la conception freudienne tout en critiquant son étiologie purement sexuelle.
Les Professeurs de médecine Albert Pitres et Emmanuel  Jean-Baptiste Joseph Régis (1855-1918), qui en 1897, au XII° Congrès International de médecine de Moscou avaient produit leur célèbre rapport intitulé « Sémiologie des Obsessions et des Idées Fixes », publient  Les Obsessions et les Impulsions(Octave Doin Paris 1902, Bibliothèque internationale de Psychologie Expérimentale normale et pathologique) où l’on recense plus de 15 références à Freud, parfois des pages entières. Les textes freudiens auxquels ils se réfèrent sont l’article "Obsessions et Phobies" paru le 30 janvier 1895 dans la Revue de Neurologie et "La Névrose d’Angoisse" de 1895. Le  chapitre de synthèse contient une discussion qui réfute le facteur causal du sexuel. Parlant de Pitres, Hesnard regrettera chez lui le peu d’intérêt pour « la subjectivité qui préside ce qu’il y a de vécu dans chaque individu ».
P. Londe dans un article sur « De l’angoisse » publié dans le Revue de médecine en 1902, mentionne la conception freudienne de cette névrose.
Japon : Ôgai Mori (de son vrai nom Mori Rintarô, 1862-1922, écrivain le plus connu de l’ère Meiji) fait mention de la théorie freudienne de la sexualité dans un article de médecine. Ôgai Mori est le  fils d’un médecin de province et c’est un médecin de formation ayant achevé ses études de médecine à l’âge de dix-neuf ans. Il part, en 1884, pour l'Allemagne en tant que boursier du ministère des Armées. A Berlin  il a poursuit ses recherches sur la prophylaxie, en même temps qu’il découvre la société occidentale et s’initie à ses œuvres : Sophocle, Halévy, Dante, Hartmann, mais aussi la peinture et le théâtre. A son retour au Japon en 1888, il deviendra  haut foncionnaire militaire et un des plus fameux roman aura pour titre Vita Sexualis (1909). Tout en menant une carrière médicale, il consacrera une part importante de sa vie à la littérature. Il fonde des revues, dont Shiragami-zôshi, en octobre 1889, écrit des pièces de théâtre et traduit Calderon, Daudet, Lessing, Hoffmann, Strindberg et Schnitzler, mais surtout Henrik Ibsen.
Suisse : dans le livre que Jung publie en 1902 sur les phénomènes occultes, se trouve déjà une première référence à L’interprétation des rêves. Ce livre, imprimé à Leipzig est tiré de sa thèse « Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes » soutenue devant les Professeurs de l’Université de Médecine de Zurich et riche en références à Jean-Martin Charcot, William James, Théodore Fllurnoy et Eugen Bleuler ; figurent aussi deux brèves allusions à la Traumdeutung de Freud, livre qu’il reconnut n’avoir compris qu’après une seconde lecture.

1903

Autriche : La parution de Sexe et caractère du philosophe et écrivain autrichien Otto Weininger  (1880-1903) introduit auprès du grand public l’idée de bisexualité.  L’auteur, se référant à ce qu’il comprend de Kant essaye de prouver scientifiquement que tous les êtres humains sont composés d'une association entre une substance masculine et une substance féminine, la composante masculine étant proche selon lui de l’impératif catégorique kantien. Weininger avait rencontré Freud l’année précédente autour de sa thèse Eros et psyché. Freud ne le recommanda  à aucun éditeur.
Freud répond  au journal Die Zeit de Vienne qui lui demande son avis alors au moment où une personnalité de la vie économique autrichienne vient d’être traduite en justice pour fait d’homosexualité : « L’homosexuel ne relève pas du tribunal et j’ai même la ferme conviction que les homosexuels ne doivent pas être traités comme des gens malades, car une orientation sexuelle perverse n’est pas une maladie. Cela ne nous obligerait-il pas, en effet, à caractériser comme malades de nombreux grands penseurs et savants que nous admirons précisément en raison de leur santé mentale ? ». Freud restera fidèle à cette argumentation notamment dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, parudeux annnées plus tard, où il récuse les prétentions de la psychiatrie à pathologiser l’homosexualité et à en faire un signe de dégénérescence.
France : Dumas et Janet fondent le Journal de Psychologie normale et pathologique
Japon : Sasaki écrit une série d’article dans une revue de philosophie à propos du psychologue zurichois G.W. Störring où est évoqué le cas d’Elizsabeth von R. dans les Etudes sur l’hystérie.
Suisse : Théodore Flournoy rédige une note pour les Archives de psychologie, sur La Traumdeutung, première recension en français de ce livre. Cette rencesion est encadrée de deux autres portant sur l’onirologie, Claparède résumant le travail de Sante de Santis, I sogni, et présentant l’opuscule de Vashide et Piéron, paru en 1902, sur le r^ve.
Dans la Chronique médicale, publiant sur le cas de Thérèse Humbert, Auguste Forel fera pour la première fois en français usage du terme de « psychopathologie ».

1904
Freud dans son article sur « La psychothérapie » explicite la différence de nature entre cure par hypnose et cure analytique  (conférence faite au collège des Médecins, à Vienne le 12 décembre, publiée dans la Weiner Medizinische Press l’année suivante): « J'ai remarqué que l'on confondait très fréquemment cette méthode avec le procédé hypnotique par suggestion. Le fait m'a frappé parce qu'il arrive relativement souvent que des collègues, qui ne me témoignent ordinairement pas leur confiance, m'adressent des malades — des malades réfractaires naturellement — en me demandant de les hypnotiser. Or j'ai cessé depuis huit ans environ de faire usage, en thérapeutique, de l'hypnose (sauf pour quelques expériences particulières), de sorte que je renvoie ordinairement ces patients en leur conseillant de s'adresser à un adepte de l'hypnose. C'est qu'en réalité le plus grand contraste existe entre la technique analytique et la méthode par suggestion, le même contraste que celui formulé par le grand Léonard de Vinci relativement aux beaux-arts : per via di porre et per via di levare, La peinture, dit-il, travaille per via di porre car elle applique une substance — des parcelles de couleur — sur une toile blanche. La sculpture, elle, procède per via di levare en enlevant à la pierre brute tout ce qui recouvre la surface de la statue qu'elle contient. La technique par suggestion procède de même per via di porre, sans se préoccuper de l'origine, de la force, et de la signification des symptômes morbides. Au lieu de cela, elle leur applique quelque chose, la suggestion, et attend de ce procédé qu'il soit assez puissant pour entraver les manifestations pathogènes. D'autre part, la méthode analytique ne cherche ni à nier ni à introduire un élément nouveau, mais, au contraire, à enlever, à extirper quelque chose ; pour ce faire, elle se préoccupe de la genèse des symptômes morbides et des liens de l'idée pathogène qu'elle veut supprimer. C'est en utilisant ce mode d'investigation que la thérapie analytique a si notablement accru nos connaissances. J'ai très vite renoncé à la technique par suggestion et, avec elle, à l'hypnose, parce que je désespérais de rendre les effets de la suggestion assez efficaces et assez durables pour amener une guérison définitive. Dans tous les cas graves, j'ai vu la suggestion qu'on leur appliquait être réduite à zéro et le même trouble ou quelque autre, resurgir. En outre, j'ai un autre reproche encore à formuler à l'encontre de cette méthode, c'est qu'elle nous interdit toute prise de connaissance du jeu des forces psychiques ; elle ne nous permet pas, par exemple, de reconnaître la résistance qui fait que le malade s'accroche à sa maladie et, par là, lutte contre son rétablissement ; pourtant, c'est le phénomène de la résistance qui, seul, nous permet de comprendre le comportement du patient. »
Emma Eckstein rédige une monographie d’inspiration psychanalytique sur La question sexuelle dans l’éducation des enfants. Freud s’intéressa de près à  l’écriture de ce dernier texte, et  donna accès à sa bibliothèque à son auteure. Ce texte d’E. Eckstein, ainsi que l’attitude bienveillante de Freud, renseigne sur l’audience inconstestable de la psychanalyse et de son inventeur dans les milieux intellectuels, fortunés et socialistes de Vienne. Freud sera ainsi lu avec une attention plutôt bienveillante par des pionnières du féminisme telles Marianne Hainisch, Else Federn ou Rosa Mayreder –laquelle s’inspirera  également  de certaines thèses d’O. Weininger sur la bisexualité de chaque individu  puis écrira sur le caractère de Freud des mots féroces après son insuccès de la cure de son mari, l’architecte mélancolique  Karl Mayreder.
Freud reçoit la visite du jeune poète suisse  Bruno Goetz (1885-1954) qui souffre de violentes crises de névralgies faciales. En 1952, le poète détaille cette première rencontre. Freud  qui connaissait quelques textes de Goetz l’écoute une grosse heure parler de son père, capitaine au long cours, et de ces histoires d’amour malheureuses. Loin d’exiger des honoraires, Freud qui prescrit un médicament et donne de solides et simples conseils d’hygiène offre deux cent couronnes au jeune poète pour « la joie » que lui a procuré la lecture de ses poèmes. Goetz retrouvera Freud en 1905 qui le mettra en garde contre la grande tentation d’hindouisme et le risque d’anéantissement de la conscience que la plongée dans la Bhagavad-Gita pourrait provoquer. Laissons à Gotez, décrivant ces deux rencontres près d’un demi-siècle plus tard, les derniers mots: « l’homme Freud, que j’ai connu, et avec qui les entretiens que j’ai eus à Vienne, pendant mes années d’études, ont gardé pour moi une très grande signification. Cet homme était plus vaste, plus riche et, Dieu merci, plus contradictoire en lui-même que ses doctrines… Lorsqu’au moment de nous séparer il me tendit la main, il me regarda dans les yeux et je vis, une fois encore, la bonté si affectueuse et mélancolique de son regard. De ma vie je n’ai oublié ce regard »

Allemagne :Parution de la somme dirigée par le psychiatre Léopold Löwenfeld (1847–1924): Die psychische Zwangserscheinungen. Auf klinischer Grundlage dargestellt (les faits psychiques obsessionnels), Bergmann, Wiesbaden. L’ouvrage de référence en allemand sur la névrose obsessionnelle avant Freud rédigé à partir de l’observation de 200 patients "anancastiques". Le contexte familial y est finement détaillé. Freud dans une contribution anonyme y expose pour la première fois la méthode des associations libres: « Die Freudische psychoanalytische Methode » pages 545-553. Son texte est suivi d’un commentaire de Löwenfeld  portant comme sous-titre « examen  comparatif de cette méthode et de l’hypnothérapie ». Il est vraisemblable que la contribution de Freud ait été rédigée  l’année d’avant.
Emma Eckstein fait éditer une brochure sur La Question de la sexualité dans l’éducation des enfants dans laquelle et se référant aux théories freudiennes elle préconise de ne pas brîmer la sexualité des enfants qui peut très tôt se manifester.
Indonésie : Fin du voyage de Ernst Kraepelin à Java: l'amok et le latah sont rattachés à l'épilepsie psychique et à l'hystérie.
Argentine : José Ingenieros (1877-1925), psychiatre et criminologue, publie un article où est mentionné le nom de Freud. Ingenieros est directeur de la revue Psiquiatría y Criminología, il voyage en Europe où il donne des conférences. Il sera président de la Société médicale argentine en 1909.
États-Unis : Stanley Hall coordonne un ouvrage en deux volumes (1373 pages), Adolescence. Ce recueil de textes américains et européens, mêle sexologie, neurologie, psychologie de l’enfant et psychiatrie. S’y invente la notion moderne d’adolescence. Hall se réfère à de nombreuses reprises à l’étude des traumas selon Freud. Tout comme Janet il situe l’évolution critique de la personnalité dans la puberté. Première invitation de Janet à faire des conférences à l’institut Lowell de Boston.
France : le philosophe et psychologue Henri Delacroix (1873-1937), élève de H. Bergson, propose, dans La revue de métaphysique et de morale,  une lecture de deux textes de Freud sur le rêve :  la Traumdeutung et  Sur le rêve . S’il accepte l’idée que le rêve peut traduire un désir secret, il refuse la généralisation de la théorie du désir réalisé dans tout rêve, et avance que Freud ne tient pas suffisamment compte de la diversité des types de rêves, des manières de rêver, et des singularités des rêveurs.
Italie : Cesare Lambroso (1835-1909), célèbre pour ses mesures physionomiques pratiquées dans le but de construire une typologie humaine comme celle du « criminel type » ou de la prostituée, a fondé en 1880 les Archives de psychiatrie science pénale et anthropologie criminelle (chez Bocca, à Turin). Cette revue ne s’est jamais ouverte à la psychanalyse à l’exception d’un  très court texte une demi-page rédigé par le directeur de la revue Mario Carrara à propos de la Psychopathologie de la vie quotidienne de Freud (1901). Carrara qui se veut bienveillant passe totalement à côté du texte freudien tant il confond le lapsus avec l’erreur.
Russie : une des premières traductions d’un texte de S. Freud, Über den Traum(1901) paraît dans le numéro cinq du supplément du Courrier de Psychologie, d’Anthropologie légale et d’Hypnotisme aux éditions Brokhaus/Efron Encyclopédie.
Le prix Nobel Ivan Pavlov (1849-1936) publie son article décisif sur la sécrétion psychique des glandes salivaires et commence à correspondre avec Pierre Janet à propos des névroses expérimentales.
Suisse : Freud apprend par Eugen Bleuler, qui débute une correspondance avec lui, que la psychanalyse est appliquée à la clinique du Burghölzli par C. G. Jung. Karl Abraham (1877-1925), esprit créatif, polyglotte (il parle huit langues), spécialiste de la philologie,  est assistant de Liepmann, histopathologue du cerveau et directeur de la clinique psychiatrique de Berlin-Dalldorf. Afin de parfaire sa formation en psychiatrie, il arrive au Burghölzi en décembre alors qu’en part Riklin (un des inventeurs de la méthode d’association des mots systématisées par Jung)
Dans une recension critique du livre de Leopold  Löwenfeld Psychic Obsessions, Bleuler fait un portrait très élogieux de Freud, affirmant que les recherches du psychanalyste sur l’hystérie et sur le rêve étaient capable de révéler « une partie du monde nouveau, à défaut de sa totalité ».

1905

Publication chez Deuticke du Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient(Der Witz un seine Beziehung zum Unbewissten, notions de « troisième personne » de « trouvailles et de « surprise », plus tard commentées par Reik puis Lacan ) et des  Trois essais sur la théorie sexuelle  (Drei Abhanlungen Zur Sexualtheorie,  qui admet pleinement l’existence d’une sexualité infanile auparavant méconnue, déniée ou admise avec réticence dans les milieux médicaux et psychologiques, ce livre sera un des plus controversés de l’ensemble des textes de Freud et critallisera refus et résistance à la psychanalyse) ; les deux textes furent rédigés dans le même laps de temps, voisinant sur une table et une autre du bureau de Freud, de leur proximité  surgi le tripode sexualité / langage / transfert.  Dans le   Monatschrift für Psychiatrie and Neurologie, paraît « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) » (« Bruchstück einer Hysterienanalsye »).Cette revue prestigieuse compte parmi ses rédacteurs Theodor Ziehen (1862-1950), psychiatre humaniste et érudit, bon connaisseur des grands philosophes. Son hostilité à la psychanalyse ne l’empêche pâs de faire publier ce texte majeur de Freud. Ultérieurement, il se montrera plus offensif à l’égard d’Abraham en 1908, dénigrant alors la méthode freudienne réduite, par lui, à de la suggestion.  La parution de deux derniers écrits de Freud transforme la réception que les milieux scientifiques et intellectuels se font de sa découverte :  d’explorateur et de déchiffreur des rêves, il devient aussi et surtout le promoteur d’une nouvelle théorie de la sexualité humaine. De nombreux  et rapides signes d’estime et de reconnaissance de la nouveauté qu’apporte le psychanalyste peuvent être lus dans les recensions parues dans les revues médicales de l’époque. C’est toutefois peu après la parution de ces écrits que les thèses de Freud vont connaître leurs premières critiques et réfutations (cf. infra).
Printemps, Otto Rank (de son vrai nom Otto Rosenfeld, 1884 - 1939)  âgé de 21 ans remet à Freud le manuscrit d'un petit livre qui s'intitule L'artiste. Tentative audacieuse d'application de la démarche psychanalytique à des faits d'ordre culturel. Rank travaille comme serrurier le jour et comme écrivain la nuit.
La revue d’inspiration pamphlétaire, Die Fackel (Le Flambeau), cite les Trois essais sur la sexualité infantile.
Fritz Wittels (1880-1950), écrivain et futur psychanalyste, fait la connaissance de Freud parce qu’ils étaient tous deux partisans de la législation de l’avortement. Il sera l’auteur prolifique d'ouvrages psychanalytiques et littéraires au point de se muer en  un biographe controversé du père de la psychanalyse. Wittels  inaugure «  le culte de la femme-enfant », Irma Karczewska, dans un article qu'il lut à Freud en privé, avant de le publier et qui trahit et son intérêt et celui des psychanalystes pour le demi-monde viennois. 
Allemagne. Fondation du Bund für Mutterschutz (« Association pour la protection des mères « ) qui se donne pour un de ses objectifs majeurs de protéger les mères célibataires et leurs enfants contre les risques économiques et moraux et les  préjugés dont elles sont victimes. Max Weber (économiste et sociologue, 1864-1920), Werner Sombart (économiste allemand, 1863-1941) et Freud sont des alliés de ce Bund.
L’étude considérable d’Iwan Bloch, portant sur les mœurs sexuelles est présentée et débattue dans un groupe de discussion psychanalytique à Berlin. Bloch (1872-1922), dermatologue et sexologue exerçant à Berlin, est considéré avec Havelock  Ellis (1859-1939) comme un des premiers sexologues en date. Il retrouvera le manuscrit « Les Cent Vingt Journées de Sodome » du Marquis de Sade, qui était considéré comme perdu, qu’il a publié en 1904 sous le pseudonyme de Eugène Dühren dans une version où fourmillent les erreurs de transcription.
France : Marcel Proust (1871-1922) est soigné dans un « établissement hydrothérapeutique » par Paul Sollier  (1861-1933). Elève de Désiré Magloire Bourneville (1840-1909) puis de J.-M. Charcot, exclu de la voie universitaire, Sollier est l’auteur d’une oeuvre profuse et variée abordant, entre autres, la mémoire, les émotions, l'hystérie, l’inintelligence.   Il se révèlera un médecin militaire avisé et très humain face aux traumatismes de guerre, lors du premier conflit mondial. Partisan de l’étiologie organique de l’hystérie, il proposera, dans cette optique une modélisation importante de l’inhibition.  Il ne fait pas de doute que son diagnostic concernant son patient célèbre  est celui d’une hystérie.  Son approche thérapeutique fait alors appel à la réminiscence émotionnelle en favorisant l’émergence d’une mémoire involontaire que provoquent des sensations. Appel à une mémoire inconsciente donc. Dans le Carnet de Proust daté de 1908, le nom de P. Sollier  apparaît juste à côté de la première mention du phénomène de mémoire involontaire, si particulier (« les pavés irréguliers »), réminiscence qui débouchera sur la clé même de La Recherche, dans Le Temps Retrouvé.
La bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris acquiert, en ocotbre,  Les 3 essais sur la vie sexuelle
 Inde : The Psychological Bulletinévoque l’existence de la psychanalyse.
Norvège : Ragnar Vogt (1870-1943) rend justice à la psychanalyse dans son ouvrage de psychiatrie Psykiatriens Grundtraek, tenu par Freud comme le premier ouvrage de psychiatrie à parler de psychanalyse. Vogt, psychiatre spécialisé dans le soin des malades alcooliques, deviendra un partisan de l’eugénisme et écrira, dès 1914, des thèses d’un racisme anti-noir virulent.
Pays-Bas : August Stärke (1880-1954) a découvert la psychanalyse à la lecture des textes de Freud dont, surtout, Le Rêve (1901), il pratique la psychanalyse en privé, non loin d’Utrecht, et commence à publier sur la psychanalyse, ce que Freud apprendra avec surprise six années plus tard. On lui devra après un court texte mais fort important se rapportant à  la façon dont un récit de rêve peut contenir des ferments d’interpétation d’un rêve précédent (« Un rêve qui semble réaliser le contraire d’un accomplissement de désir, en même temps un rêve interprrété par un autre rêve », Zentralballt, 1912, 2, 86-88)

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Un texte de Michel Rotfus : Quelques ressorts subjectifs du passage à l’action violente

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Quelques ressorts subjectifs du passage à l’action violente : Djihadisme, Freud et Richard II

Par Michel Rotfus

Les âmes perdues du djihadisme expliquées à mon premier ministre.

Non ! Expliquer n’est pas excuser.
Notre premier Ministre s’est mis à croire qu’il entrait dans ses attributions de s’en prendre aux sociologues et à leurs analyses concernant l’engagement de jeunes dans le djihadisme, en leur reprochant de pratiquer une culture de l’excuse. On pourrait penser qu’il prend la suite de Ronald Reagan qui en 1983 reprochait à la « philosophie sociale » de présenter «les criminels comme des produits malheureux de mauvaises conditions socioéconomiques» ; ou bien celle de Nicolas Sarkozy, qui dénonçait l’analyse sociologique des violences dans les banlieues : «quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable.»[1]
On pourrait croire ainsi à la soudaine montée d’un anti intellectualisme, d’une sorte d’obscurantisme d’Etat. En fait, oubliant ses responsabilités d’homme d’Etat, et les limites à ne pas franchir, il est intervenu à plusieurs reprises pour blâmer Michel Houellebecq, ou faire l’éloge d’Elisabeth Badinter, en protagoniste du débat intellectuel.
Loin de  faire taire les sociologues, il a suscité des réponses multiples sur l’intérêt, voire la nécessité d’expliquer et de comprendre[2]. Même Marcel Gauchet, a cru devoir sortir de sa modération, en déclarant ce propos «ahurissant» et en rejoignant la sagesse du grand stratège Sun Tzu : « Pour bien combattre un adversaire, il faut le connaître, le comprendre et expliquer sa nature».

Approches de la subjectivité du héros salafiste.

Les héros grecs étaient le plus souvent emportés par leur démesure, - par leur ubris -, et les dieux n’étaient pas pour rien dans leurs exploits. Homère a montré qu’Achille avait son « caractère ». Ainsi, sa colère contre Agamemnon, coupable à ses yeux de lui avoir pris sa belle captive Briséis, a eu des conséquences néfastes sur le sort des guerriers grecs et sur celui de la guerre contre Troie, causant la mort de son ami et amant Patrocle. On ne s’embarrassait pas alors d’explication par des causes profondes.
La psychanalyse, et l’anthropologie qui s’en inspire, plus encore que les sciences sociales, nous aide à comprendre que les « caractères » des êtres humains résultent d’un processus de construction psychique. En particulier, que le temps de l’adolescence, est une période cruciale de remaniements psychiques intenses parfois difficiles et douloureux où sont bouleversées les différentes dimensions de l’existence,   les relations aux autres et au lien social. Confronté à la réalité du monde et à ses exigences,  chacun doit composer avec ses idéaux, son rapport au manque, au désir et à la frustration.

Certains s’y fourvoient.

Encore faut-il comprendre ce qui agit en eux et comment ceci s’opère, quels sont les ressorts subjectifs qui les amènent à se radicaliser et à passer à l’action violente ? [3] 
L’approche que je tente ici, progressera en interrogeant des strates successives.

*****

L’enquête anthropologique, dessine le profil de ces jeunes qui s’embrigadent dans le djihadisme armé. Il ne peut s’agir ici d’entrer dans l’analyse des divers courants de l’islam ni de leurs subdivisions, ni même dans celle du djihadisme,  dont la forme violente  n’est que l’une des composantes. Il est bon d’avoir constamment en tête que ses manifestations violentes, aussi meurtrières et spectaculaires soient-elles, sont proportionnellement inverse à son importance numérique.
Le djihad européen a commencé en 1995 en se réclamant d’une lutte contre l’impiété incarnée par les mœurs occidentales, et contre l’hérésie des musulmans,  apostats en ce qu’ils ne se reconnaissent pas dans cet islam intégriste. A la suite de la guerre civile en Syrie en 2013, il s’est étendu des « jeunes des banlieues », c’est à dire en fait des cités,  aux jeunes issus des classes moyennes. Aussi bien chez les uns que chez les autres, ce djihadisme de la violence cultive et exalte la figure du héros.

 Cela vérifie, dans la façon dont cette subjectivité héroïque se construit, qu’on se pose en s’opposant. Omnis determinatio est negatio[4] : toute détermination est négation. Ici, cela se produit par l’intériorisant d’une représentation binaire : d’un côté le monde rejeté avec ses valeurs, de l’autre, celui qu’il prône avec ses contre-valeurs. Comme le triangle qui est triangle que parce qu’il n’est ni cercle, ni carré, ni trapèze.
La société occidentale est sécularisée, fondée sur la Déclaration des droits de l’Homme   et du citoyen, la religion y est séparée du pouvoir politique. Le héros, à l’opposé, prône une société théocratique où la charia, - la loi islamique -, le « chemin pour respecter la loi [de Dieu] » codifie tous les aspects publics et privés de la vie dans  les mœurs et les usages du quotidien comme dans les différents aspects des relations sociales. L’ensemble des normes sont tirés du Coran et sont regardés comme émanant de Dieu. Elles s’opposent aux Droits de l’Homme qui lui sont  incompatibles.
Face à l’autonomie et à la responsabilité du citoyen et du peuple comme fondement des lois, le héros veut imposer les lois divines.
Le non recours à la violence est un principe fondamental, son seul usage légitime est exercé par l’Etat. Le héros combattant salafiste, exerce la violence absolue jusqu’au massacre de masse comme moyen d’arriver à ses fins au nom du Sacré.
La liberté sexuelle est reconnue, autant pour les femmes que pour les hommes, pour les homosexuels que pour les hétérosexuels. Pour le héros combattant, la sexualité est régulée par la morale religieuse salafiste intégriste ultra- puritaine.
L’égalité entre les femmes et les hommes est un principe de droit. Le héros la refuse et cherche à refonder une hiérarchie où les rôles entre hommes et femmes sont dissymétriques et où celles-ci sont soumises à la tutelle masculine.
L’individu autonome est promu. Lui se fond dans une communauté qui le prend en charge. Il y est appelé à fonder une nouvelle communauté des croyants, -une Umma salafiste-, où l’individu est subordonné au respect de la charia et à la préservation des valeurs sacrées.

Les héros salafistes ont ainsi acquis un « kit » de solutions et de réponses : ils vont se retrouver et partager les mêmes « croyances » et les mêmes rituels. Là, on a raison contre tous ceux qui habitent le monde qu’on a quitté, on n’y connait plus l’ échec mais au contraire, on s’y affirme. Dans ce nouveau monde, on apprend à vivre selon les Règles, à être « pur » : à prier correctement, à manger correctement, à s’habiller correctement, à avoir une pilosité correcte, … La sexualité y est réglée, organisée, les femmes sont fournies. Les héros partagent un entre-soi avec  ceux qui « savent », qui ont atteint, ou vont atteindre, le point culminant, Dieu et dont ils exercent par délégation le pouvoir de vie et de mort.
Leur vie psychique et affective s’est considérablement allégée et simplifiée : ils n’ont plus, à supporter l’angoisse du doute qui assaille, de la mise en question des certitudes acquises depuis l’enfance, du risque de l’échec et de la faille narcissique  dans la recherche de soi propre à cet âge,

Un héros paradoxal qui se réalise par son anéantissement.

Sur un mode  imaginaire ou réel,  les héros salafistes, vont affronter la mort, pour se réaliser, pour refaire le monde et le purifier. Dans les années 1980, ces mêmes jeunes auraient probablement flirté avec la mort en jouant à la roulette russe avec l’héroïne, les risques d’over dose et les seringues souillées. On peut penser qu’aujourd’hui, la radicalisation des jeunes dans l’islamisme salafiste en est une variante et fonctionne d’une manière comparable à ces conduites ordaliques[5].
En opposition totale avec le sens médiéval qui désignait une procédure de justice religieuse appelée aussi « jugement de Dieu », la conduite ordalique  manifeste un fort désir de valider son existence en la risquant jusqu’à la mort, tout en transgressant la Loi au nom de sa Loi.

Le sujet, en général adolescent, s’y considère comme maître de son destin. S’il s’engage, de façon plus ou moins répétitive, dans des épreuves comportant un risque mortel, il ne s’agit ni de suicide, ni de simulacre. Dans le fantasme ordalique, il s’en remet à l’autre, au destin, à la chance, à un être transcendant, pour en être l’élu et, par sa survie, prouver son droit à la vie, son caractère exceptionnel, et même son immortalité.
Cette conduite a deux faces : celle d’un abandon ou d’une soumission au verdict du destin et celle d’une tentative de maîtrise, de reprise du contrôle sur sa vie.
Ce qui implique une relation subjective très particulière au risque, doublement paradoxale.
Premier paradoxe : on s’en remet totalement à l’autre, mais avec le sentiment de le maitriser de façon magique, de telle sorte que sa propre mort signifie aussi son auto-engendrement.
Deuxième paradoxe : la prise de risque ordalique, est aussi une façon d’invalider  la loi et ses dépositaires. Le simple fait de risquer la mort place le sujet au-dessus de toute règle. Ainsi, l’attrait de drogues interdites tient à l’interdit lui-même, qui en rajoute au plaisir de transgresser des  valeurs sacralisées comme le corps, la santé, la jeunesse. En même temps, cette transgression est une affirmation de la Loi, mais d’une loi supérieure qui abolit et remplace la loi commune transgressée. Cette Loi nouvelle dont on se réclame condense toute la légitimité, et le caractère excessif du risque démontre la transcendance et le sacré de cet autre au nom duquel on se sacrifie.

Les écrivains et les poètes savent ce qu’est l’inconscient. Ils ont une connaissance endopsychique de l’âme humaine.

Pour avancer dans cette réflexion, je m’aiderai des considérations de Freud sur le personnage de Gloucester,le futur roi Richard III, dans la pièce de Shakespeare Richard III.
Alors qu’il se propose d’examiner certains caractères psychologiques à la lumière de la psychanalyse, réticent à présenter les cas de certains de ses patients et poussé par le scrupule d’en respecter la confidentialité, il se tourne vers les poètes qui, explique-t-il, ont une connaissance profonde de l’âme humaine.
Ce n’est pas là une simple facilité de circonstance. L’œuvre de Freud est toute entière est adossée à la littérature, à ce point que les deux s’interpénètrent, les écrivains découvrant à ses yeux les détours et la complexité de l’âme humaine, et lui-même devenant écrivain comme eux, écrivant le roman de la psychanalyse, avec un talent qui lui fut reconnu de son vivant.
Lecteur cultivé,  passionné des livres, il se qualifiait lui-même de Bücherwurm, « vers de livres » – version allemande du « rat de bibliothèque ». Les livres et l’écriture l’accompagnèrent toute sa vie, en particulier Homère, Sophocle, Shakespeare, Rabelais, Goethe, Heine, Ibsen, Flaubert, Zola, Diderot, Boccace, Oscar Wilde, Bernard Shaw, Dostoïevski, Molière, Swift, Homère, Horace, Le Tasse, Hoffmann, Schiller, Mark Twain, Aristophane, Thomas Mann, Stephan Zweig, Hebbel, Galsworthy, Cervantès, Hésiode, Macaulay[6]…
Dès ses premiers écrits, et d’une façon constante, il a fait appel à la démarche romanesque et poétique pour donner corps à ses intuitions théoriques. Non seulement, comme ce fut le cas pour la Gradiva de Jensen, leur  description psychologique est juste, mais elle est plus pertinente encore que ce que la science peut en dire, explique Freud en paraphrasant Hamlet :
« Les poètes et le romanciers sont de précieux alliés, et leurs témoignages doit être estimé très haut, car ils connaissent entre ciel et terre, bien des choses que notre sagesse scolaire ne saurait encore rêver. Ils sont, dans la connaissance de l’âme, nos maîtres à nous, hommes vulgaires, car ils s’abreuvent à des sources que nous n’avons pas encore rendues accessibles à la science. »[7]
La conviction de Freud est telle, qu’il ne se contente pas d’avoir recours à eux et à leurs personnages. Il procède lui même à leur façon, bien meilleure ironise-t-il que le diagnostic fondé sur des réactions électriques :
« Le diagnostic local et les réactions électriques n'ont aucune valeur pour l'étude de l'hystérie, tandis qu'une présentation approfondie des processus psychiques à la manière dont elle est présentée par les poètes me permet, par l'emploi de quelques rares formules psychologiques, d'obtenir une certaine intelligence dans le déroulement d'une hystérie »[8].  Il écrit à Arthur Schnitzler : « Je me suis souvent demandé avec étonnement d'où vous teniez la connaissance de tel ou tel point caché, alors que je ne l'avais acquise que par un pénible travail d'investigation, et j'en suis venu à envier l'écrivain que déjà j'admirais».[9]
  Bien plus tard, il lui avouera : « Une question me tourmente : pourquoi, en vérité, durant toutes ces années, n'ai-je jamais cherché à vous fréquenter et avoir avec vous une conversation ? […]. La réponse à cette question implique un aveu qui me semble par trop intime. Je pense que je vous ai évité, de crainte de rencontrer mon double»[10].

Dans la lecture de ces œuvres littéraires résonne pour Freud sa quête de lui-même comme celle du psychisme humain. Il y découvre leur proximité avec les phénomènes psychiques inconscients tels que le drame œdipien, la problématique de la castration, la scène primitive, les « fantasmes originaires »  qui  sont tout autant au cœur des productions artistiques que des rêves, des symptômes, et des conflits de la psyché humaine. Il y admire leur déploiement, et la fécondité des créations de l’esprit pour résoudre et dépasser ces conflits entre désirs et défenses, principe de plaisir et principe de réalité et combien elles participent de ce travail d’élaboration auquel la condition humaine est contrainte. Il va découvrir au cœur de la vie psychique, distincts des processus secondaires (qui caractérisent le système préconscient-conscient et s’expriment dans les activités de la pensée vigile, de l’attention, du jugement et du raisonnement, ceux qui président à la rationalité du travail de création), les processus primaires qui tendent à permettre aux contenus inconscients de contourner la censure jusqu’à produire des représentations comme le rêve où les productions artistiques dans un travail psychique – selon la condensation, le déplacement, et la  symbolisation  -,  inlassablement poursuivies dans leur élaboration.
Dans ce travail psychique,  l’identification joue un rôle essentiel pour le plaisir aussi nécessaire au lecteur qu’au créateur.

Freud et Richard III.

Ainsi à propos de Richard III, il écrit :
« (…) il faut que le poète s’entende à créer chez nous un secret arrière-fond de sympathie pour son héros si nous devons sans protester intérieurement, éprouver de l’admiration pour sa hardiesse et son adresse, et une telle sympathie ne peut se fonder que sur la compréhension, sur le sentiment que nous pourrions avoir en nous quelque chose de commun avec lui. » [11]

Une œuvre est d’autant plus grande qu’elle ne dit pas tout, elle  comporte des blancs, des vides, elle est d’une certaine manière inachevée et cet inachèvement est la condition même qui nous permet d’effectuer une démarche d’identification au héros en la complétant : nous prenons conscience de ce que nous avons de commun avec lui, « même pour le scélérat ».

Dès le début de la pièce, celui-ci se présente :
Mais moi qui ne suis pas formé pour ces folâtres jeux
Ni fait pour courtiser un amoureux miroir ;
Moi qui suis marqué au sceau de la rudesse
Et n’ai pas la majesté de l’amour
Pour m’aller pavaner devant une impudique nymphe minaudière;
Moi qui suis tronqué de nobles proportions
Floué d’attraits par la trompeuse nature
Difforme, inachevé, dépéché avant terme
Dans ce monde haletant à peine à moitié fait…
Si boiteux et si laid
Que les chiens aboient quand je les croise en claudiquant …
Et bien moi en ce temps de paix alangui à la voix de fausset
Je n’ai d’autre plaisir pour passer le temps
Que d’épier mon ombre au soleil
Et de fredonner des variations sur ma propre difformité
Et donc si je ne puis être l’amant
Qui charmera ces jours si beaux parleurs
Je suis déterminé à être un scélérat »[12]
Le sinistre duc de Gloucester est un affreux bossu qui se décrit lui-même comme  « tronqué…, difforme, inachevé, dépêché avant terme…,… Si boiteux et si laid
Que les chiens aboient quand je les croise en claudiquant » et qui souffre de ne pouvoir  séduire. Il désire la royauté mais le trône ne lui revient pas. Il en est séparé par ses frères et ses neveux qui hiérarchiquement y accèdent avant lui. Pour être roi, il va devoir les tuer. Sourire aux lèvres, il va prouver qu’il est un méchant  « rusé, fourbe et traître », qui assassinera frères et neveux, neutralisera ses ennemis politiques et épousera la veuve de son frère assassiné.

Ainsi, aussi abominable soit le personnage de Richard, nous pouvons nous identifier à lui. Comme lui, nous ressentons que nous avons subi un grave préjudice : nous avons été frustrés des formes harmonieuses qui conquièrent l’amour des humains, des boucles blondes de Baldur,- le fils d’Odin, dieu de la beauté et de l’amour-,  du visage avenant de tel autre, d’une naissance aristocratique… Ou bien nous avons été marqués par d’autres blessures rencontrées dans notre prime enfance et plus tard. Comme lui, nous exigeons un dédommagement et nous allons nous l’octroyer. Comme lui, nous éprouvons que nous pouvons être une exception et que nous pouvons passer outre les scrupules qui peuvent en arrêter d’autres. Parce que nous sommes exceptionnels, nous éprouvons que nous pouvons commettre des injustices pour nous dédommager des injustices dont nous avons été victimes. Effectuer ce dédommagement nous autorise à  pouvoir transmuer l’injustice en Justice et le mal en Bien. À aller au-delà de la morale commune en réécrivant la table des valeurs.
Nous entrons dans cette logique où s’enchainent préjudice - exigence de dédommagement – transmutations des valeurs par laquelle le crime devient Justice et Bien.
Cependant, si chacun de nous est un Richard potentiel, nous ne nous dédommageons pas nous mêmes en devenant criminels : les forces de la conscience morale nous l’interdisent. Nous avons généralement accepté la frustration de ces désirs par l'éducation morale, condition de sortie de l’adolescence. Ces désirs ont été remplacés par d’autres, socialement reconnus, acceptés et valorisés.

En revanche, par la rencontre des thèses de Daesh, certains entrent dans une logique délirante de légitimité où l’idéal se met au service de la mort.
Ils proposent  la réparation du désordre préjudiciel initial et l’établissement de l’Ordre par la destruction et l’anéantissement de ceux qui incarnent désormais à leurs yeux la négativité même. Ils  retournent en Bien ce mal absolu qu’est le meurtre de masse et érigent en un nouveau type de héros cette pratique de la criminalité aveugle.
Telle est la Loi de ce Dieu qui vient d’être trouvé, au nom de qui s’effectue cette transmutation des valeurs.

«…exploiter de façon conséquente une idée, avec la curiosité de voir où cela mènera ».

Si Freud s’est heurté au positivisme des « scientifiques », il s’est aussi affronté à son propre attachement à l'objectivité scientifique. Puisque l'inconscient toujours se dérobe, il s’agit en l’écrivant de trouver une forme à l'informe, une figure à l'infiguré et de rendre perceptible, visible, palpable, en même temps que pensable, le savoir insu de l'âme humaine. Désir qu’il  exprime  à Arnold Zweig :
« Par la brèche de la rétine, on pourrait voir profondément dans l'inconscient ».[13]
Au risque d’être reçu du côté de la fiction plutôt que de la théorie, Freud invente une nouvelle manière de faire de la science. Ecrire et de la science et de la littérature. En s'appuyant sur le Faust de Goethe, - « Il faut donc bien que la sorcière s'en mêle » -, il précise : « Entendez la sorcière métapsychologie. Sans spéculer ni théoriser pour un peu j'aurais dit fantasmer, métapsychologiquement, on n'avance pas ici d'un pas »[14]. Dans Au-delà du principe de plaisir, un de ses textes majeurs, il prévient le scepticisme   de son lecteur en l’avertissant que « Ce qui suit est spéculation, une spéculation remontant souvent bien loin et que tout un chacun prendra en compte ou négligera selon sa disposition particulière. C'est aussi une tentative pour exploiter de façon conséquente une idée, avec la curiosité de voir où cela mènera »[15].
C’est ainsi que l’écriture métaphorique de Freud déroule ses métamorphoses pour suivre celles de l'inconscient pour autant qu’elles soient atteignables. C’est pourquoi il nomme mythe scientifique sa théorisation des processus psychiques individuels ou collectifs. Ainsi ose-t-il écrire, non sans provocation ni grandeur, « Les pulsions sont des êtres mythiques, formidables dans leur imprécision. La théorie des pulsions est pour ainsi dire notre mythologie. Nous ne pouvons dans notre travail psychanalytique, faire abstraction de ces êtres mythiques un seul instant et cependant, nous ne sommes jamais certains de les voir nettement. »[16]Par ces constructions de la théorie analytique qu’il nomme fictions théoriques[17]  il tente de cerner et de rendre pensable cette obscurité qui appartient à la nature même de l'objet psychique.
Il va de soi que ce recours à Freud ne convie quiconque à s’identifier à ces assassins. Aucun Orphée ne chantera leurs exploits « Salut, enfants de Zeus, donnez-moi un chant qui ravisse, pour glorifier la race sacrée des Immortels toujours vivants (…). Contez-moi ces choses, Ô Muses, habitantes de l’Olympe, en commençant par le début (…) »[18]
Si d’une certaine manière, ils sont  semblables à Richard, un gouffre cependant les en sépare. Autant le passage par la fiction shakespearienne peut nous amener à comprendre les processus qui agissent en l’âme humaine, autant les meurtriers de Charlie, de l’hyper Casher, des terrasses et du Bataclan suscitent l’horreur. Loin d’être ceux par qui l’ordre du Monde s’organise en sortant du Chaos, ils sont les pourvoyeurs d’un nouveau Chaos.
Comprendre ce qui agit en eux, c’est peut-être surtout parvenir à  comprendre combien la part obscure de nous mêmes nécessite à la fois cette tension sans cesse renouvelée de l’esprit, en même temps que cet effort pour rendre actifs les effets de la culture qui par l’éducation, tente de dresser ses frontières et ses barrages à la barbarie toujours possible en chacun.

[1] Discours  à New York à l'occasion de la 63ème Assemblée Générale des Nations Unies du 22 au 24 septembre ; (Appeal of Conscience Foundation), le 23 septembre 2008
 http://discours.vie-publique.fr/texte/087002977.html
[2] On pourra lire la réponse de plusieurs sociologues dans l'article paru dans Liberation.fr  du 12 janvier 2016 : "Culture de l'excuse". Les sociologues répondent  à Valls.
Ou ici :  http://www.liberation.fr/debats/2016/01/12/culture-de-l-excuse-les-sociologues-repondent-a-valls_1425855
[3] Je renvoie à  l’ouvrage collectif dirigé par Fethi Benslama :
 L’idéal et la cruauté. Subjectivité et politique de la radicalisation. Ed. Lignes. 2015
[4] Spinoza, Lettre 50 (du 2 juin 1674 à Jarig Jelles), Garnier, 1966.
et Hegel, Leçons sur l'Histoire de la Philosophie, Tome 6, Vrin, 1985, p. 1454.
[5] Le Pr. A. Charles-Nicolas, qui a participé à la création de l’hôpital Marmottan, est à l’origine du concept   de conduite ordalique.
Voir : A. Charles-Nicolas, Les conduites ordaliques. In : Cl. Olievenstein, La vie du toxicomane. Paris, PUF, 1982.
Et : M. Valleur, Les addictions sans drogue et les conduites ordaliques. L’information Psychiatrique, 2005 ; 81 : 423-8.
[6] Grace au travail de Sarah Kofman qui a recensé ces auteurs dans  L'enfance de l'art, (Payot, 1970)
[7] Sigmund Freud, Délires et rêves dans les « Gradiva » de Jensen. Idées-Gallimard, p.127
[8] Sigmund Freud, Etudes sur l'hystérie, 1895, Paris, PUF, 1956, p. 127-128.
[9] Sigmund Freud, Lettre à A Schnitzler du 12 janvier 1906, in Correspondance 1873-1939, Gallimard, p. 370.
[10] Idem. Lettre du 14 mai 1922.
[11] S. Freud, "Quelques types de caractère dégagés par la psychanalyse" dans L'inquiétante étrangeté et autres essais (Gallimard, Essais). P.144.
[12] Richard III acte 1, scène 1. Traduction Jean-Michel Déprats
[13] Lettre du 10 septembre 1930, in Correspondance S. Freud-A. Zweig, 1927-1939, Paris, Gallimard, 1973,    p. 48.
[14] Sigmund Freud, 1937, L'analyse avec fin et l'analyse sans fin, in Résultats, idées, problèmes. II ,PUF, 1985, p. 240.
[15] Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, 1920, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, p. 65.
[16] Sigmund Freud, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Folio-Essais, Gallimard, 1984, p. 129.
[17] Freud emploie l’expression « fiction théorique » en référence à la philosophie des sciences. C’est un modèle nécessaire à la poursuite de la recherche, afin de pouvoir se représenter des systèmes complexes échappant à l’observation directe. Freud donne l’exemple de la façon dont la psychanalyse avance dans la connaissance de l’activité psychique à la faveur de la fiction théorique dès L’interprétation des rêves : « Nous avons adopté la fiction d’un appareil psychique primitif » trad. I. Meyerson, révisée par D. Berger, Paris, P.UF., 1980, pp. 508-509.
[18] Hesiode, Theogonie, v.105-115. Fayard, 2014.

Jean-Jacques Moscovitz commente le film SALAFISTES de François Margolin et Lemine Ould Salem,

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Jean-Jacques  Moscovitz (psychanalyste) commente le film SALAFISTES de François Margolin et Lemine Ould Salem  


Au début, l’action se passe en 2012, avant l’opération Serval au nord du Mali, c’est un film documentaire sur la guerre menée par Daesch et que la France livre début 2013 au Nord du Mali et ailleurs. Elle a lieu comme on sait dans de nombreux pays du Moyen-Orient. 

Premières images après le générique, un blues de Ali Farka Touré accompagne la tournée de la police islamique dans un village. Cette musique strictement interdite situe d’emblée de quel coté réalisateurs et nous-mêmes nous nous trouvons. Cela n’a rien d’une propagande pour l’islam radical comme certains veulent nous le faire entendre !
C’est que la culture de l’image a changé depuis 30 ans et plus, et son éthique se soutient d’une transmission de ce qui se passe dans notre monde qui exige d’affirmer sans ambages et très ouvertement, les violences dont la presse papier et télévisuelle nous abreuvent. Donc nous sommes très avertis de ce dont il s’agit dans ce film, nul besoin de se poser en vierges innocents de son ignorance.
Cette situation est sans doute due à un usage intensif et débridé de la vidéo, du filmique, du «smartphonique», des réseaux sociaux. Le cinéma, celui qui intéresse la jeunesse se doit dés lors d’inventer des plans séquences, surtout d’actualité, qui montrent au spectateur de façon prompte et sans détours le sujet du film. Sans pour autant laisser pour compte le jeu, le vide, la surprise entre les images. 
Le très grand film Le fils de Saul de Lazlo Némes est à ce titre exemplaire car il nous fait suivre la caméra comme dans une série vidéo, celle placée sur l’épaule du réalisateur, mais qui ici ne permet pas au « regardant » de jouer avec les personnages…. Là le séquençage des images du film est l’œuvre du seul metteur en scène.
Dans Salafistes, la rapidité des plans évoque un usage presque identique de la camera. Et la technique vient jouer sa partie d’une façon qui mérite d’être précisée. Le tournage des plans tournés au Mali, s’organisait depuis Paris : François Margolin n’ayant pas le droit d’aller en terre islamique, c’est par skype et téléphone que Lemine Ould Salem mauritanien, musulman, journaliste mais non cinéaste, se trouvant sur place, reçoit les consignes de mise en images. Vertiges et prodiges du numérique au service du cinéma d’aujourd’hui. C’est ainsi que nous nous nous retrouvons en 2012 à Gao, à Tombouctou au Mali, à Sousse en Tunisie, à Nouakchott en Mauritanie… Le quotidien se déroule, un «magazine du salafiste moderne» détaille les 18 objets indispensables pour partir en Syrie, comment ne plus du tout regarder les filles dans la rue, comment acquérir le tout dernier Smartphone, les derniers Nike… 
Des visages d’hommes jeunes. Leurs propos décrivent calmement, parfois de façon savante, une foi infinie en leur religion, une religion de l’extrême dont la mort donnée/reçue , est l’arme, le «sabre» qui évoque le non encore humain, l’avant de l’homme[1] le retour à l’avant vie où un tel Dieu, celui des jjihadistes reprendrait par leur action tout ce qu’il aurait donné.
Un débat est-il possible dés lors que le spectateur est plaqué devant de telles images de jeunes hommes dont les mots s'érigent en certitude si compacte que l'on ne perçoit aucun recul, aucune faille. Et le film, dans son mode d’approche fait miroir à ce trop plein, à l’insu des auteurs peut-être, mais signé du style de l’actuel changement dans le cinéma qui va s’accentuant. 
SAVOIR cela dés lors pose une question : voir ce film et en débattre, s’agira-t-il d’un...non débat...! Aborder cette matière filmique, c’est accepter sa mise en scène établie de façon très neutre et cela pour nous faire témoins des immenses cruautés que cette guerre déploie. Les auteurs du coup s’engagent et chacun de nous, un par un, à se dé-saisir de tout doute sur l’enjeu des cruautés. Jean Amery dans son immense ouvrage « Par delà le crime et le châtiment, comment surmonter l’insurmontable » [2], affirme que le nazisme n’utilisait pas la torture comme moyen de faire avouer ses victimes, il était la torture, le cruauté comme telles, le pouvoir en usait pour établir une haine à l’échelon de l’Etat… Nous y voilà, le pouvoir des djihadistes type Daesch est dans ce mouvement, et il faudra le juger tel : « Islamo-nazisme ». Salafistes le dit à chaque moment. Violemment, crûment. Maladroitement, comment être adroit devant ces carnages d’État… Ainsi dans les documents de propagande de l’EI, insérés par les réalisateurs, le mode filmique de Daesh, est très rapide. Il montre cette cruauté comme seul but de l’action politique dominée par la destruction en tant que punition. Par exemple un homme, homosexuel - parce qu’homosexuel-, est jeté du haut d’un immeuble. La caméra nous montre dans un premier temps la scène depuis la rue, puis elle place le spectateur en tant que témoin, puis dans le plan suivant c‘est lui qui participe à pousser l’homme attaché, cagoulé, dans le vide… Le voila complice des meurtriers.
MALADRESSES
Nous y voilà, le pouvoir des djihadistes type Daesch est dans ce mouvement, et il faudra le juger tel : « Islamo-nazisme ». Salafistes le dit à chaque moment. Violemment, crûment. Maladroitement, comment être adroit devant ces carnages d’État…  Fallait-il que Margolin et Salem mettent ces vidéos dans le film ? Moi-même, dois-je écrire ce que j’en ai perçu ? si aucun écart, aucune énonciation ne sont permis  au spectateur ? voilà une critique entendue : ce film est inadmissible car la parole est dans le désarroi, dans le hiflozigkeit nous dit Freud, nous sommes sans recours face à cette cruauté d’Etat. Dont témoigne ce film, témoigne , mais n’agit pas ! N’allons pas confondre la représentation de l’acte de meurtre avec le meurtre lui-même, tout comme les assassins des journalistes de Charlie-Hebdo ont vu dans la caricature, un morceau de papier, Mahomet lui-même…. ! 
Chute de la métaphore….
Lors de la projection en avant-première au Regard Qui Bat…, la présence des réalisateurs était essentielle pour que de la parole, un écart, un …débat advienne. Notons aussi que tous les rendez-vous des réalisateurs avec les médias ont montré la nécessité de « parler » le film… D’où des commentaires des auteurs auraient-ils été souhaitables, malgré l’immense quantité d’informations dont nous sommes envahis ? Certains le disent, notamment le Ministère de la culture qui de par cette absence-là pose la censure très haut avec l’interdiction au moins de 18 ans, dont on sait les conséquences : pas de diffusion sur les chaînes de télévision. Une insert aurait elle pu éviter une telle interdiction, celle de donner la parole aux jeunes, séduits, captés par un tel idéal de pureté où toute critique est abrasée, je parle de ceux qui reviennent de Syrie… Ainsi à Lunel, « quinze jeunes gens sont partis en Syrie rejoindre l’EI en 2014. Huit y ont péri. Un drame qui hante le quotidien de cette bourgade de l’Hérault. »[3]
Continuons la lecture du film permet d’en préciser la perspective. L’enchaînement des plans l’un après l’autre, montrent de la parole, certes des mots entendus, mais qui seraient lestés par l’imminence de l’acte moteur, qui collent leur corps à leur arme… Où détruire et punir sont équivalents… Cela s’entend au grand jour en affirmant, sans rien cacher, une violence où le dedans de leur psychisme se confond avec la « motricité » de leurs proférations. La violence originaire au-dedans du psychique, la voilà également au dehors non en pensée mais tout en acte moteur. «Affirmationnisme» dirons-nous, d’une parole «motricisée», ordonnatrice du social.. 
TRANSMISSION ET PSYCHANALYSE
En tant qu’analyste, avons-nous à nous porter témoins du vacarme et des turbulences du monde ? Qu'est-ce qui nous y engage… Oui nous y sommes engagés car cela fait écho à la fameuse « prophétie » des années 1950 attribuée à André Malraux : « Le XXIe siècle sera religieux (ou spirituel) ou ne sera pas » ( ce serait la Bombe ?). Nous savons combien il prévoyait que l’Occident allait en découdre avec l’Islam et le monde arabo-musulman, au point qu’il dise vers la fin de sa vie (1975) que le monde « commençait à ressembler à mes livres ». Et en 1953 il avait soutenu: « Depuis cinquante ans la psychologie réintègre les démons dans l’homme. Tel est le bilan sérieux de LA PSYCHANALYSE. Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connu l’humanité, va être d’y réintroduire les dieux. ».
Nous sommes engagés. Du fait de la perte de repères et la mise en place d’autres repères très dangereux pour certains, qui deviennent alors des avant-djihadistes en partance pour l’extrême. Y a t-il d'autres repères plus accessibles - espérons-le - où l’entrée dans la violence prend quelque temps et marque le pas devant l’histoire actuelle, pour moins l'abolir. Pour que L'INFANTILE en chacun de nous ne disparaisse pas tout entier dans des actes dont notre époque nous fait témoins ? Tout se passe comme si le devenir adulte se fait très vite, trop vite, et dés lors va brusquement régler les comptes avec cet adulte qu’il est devenu, et le suicider en tuant ? par l'acte kamikaze sans même que l’on puisse reconnaître l'existence d'un trauma fondateur de l’actuel d’avant l’acte ?
Où s’ évoquerait trop aisément un rejet du passé parental, un rejet de l'histoire de l’Islam, pour valoriser une unique auto-référence à leur Islam ? Aucune anfractuosité dans le discours où un registre individuel ferait conflit psychique partageable, datable. Le traumatisme n’est que collectif : la CHARIA ne peut que s’appliquer toute entière et nécessite « le sabre » de la loi pour triompher de tout sur tous et toutes. C’est repérable, c'est ce qui se produit sans cesse dans le collectif qui noie toute subjectivité dans des actions violentes sur les CORPS à anéantir. Tout devient embrouillé entre les temps originaires et celui de l'histoire présente, de l'actuel où nous sommes. Où l’origine se retrouve équivalente à la fin des temps.
La mort équivalente à la vie. L’une vaut l’autre. Dans une violence sans fantasme. Où le corps du moudjahidin devient un objet moteur qui doit agir sans cesse, identique à son arme. Tout se passerait comme si le moment où le Moi d’un humain enfant va naître, il va peut-être ne pas advenir, retourner au néant où l’origine et la fin de la vie se jouxtent pour se détruire. Comme si dans la montée de ce djihadisme, la fin de l’humanité parlante et son origine, l’avant-vie, prennent le pas sur toute vie sociale.
Déperdition de la métaphore qui ne nous donne plus un recul ouvrant sur une pensée. Ici il n'y a plus la possibilité de dire le mot comme, signifiant de toute métaphore humanisante… Aragon qualifiait ce mot d’être le plus beau mot de la langue française, et il l’est dans toutes les langues probablement. 
RECUL DEVANT LA CERTITUDE
Deux plans dans Salafistes nous font espérer une identification humanisante, un recul devant la certitude des propos des assassins. Ils sont en fin du film, lorsque le Touareg dans sa magnifique robe bleue s’oppose verbalement au groupe de moudjahidines qui lui prennent sa pipe, lui interdisant de fumer en le menacent. Il sait leur répondre et ils lui rendent sa pipe, c‘est le dernier plan du film, c’est l’affiche dans l’annonce qui est trait d’une ouverture vers la vie « normale », à nouveau possible un temps. De même, le plan de cette veille dame édentée (ancienne danseuse du Crazy Horse à Paris, retournée au Mali) qui dit, face caméra, combien ici il n’y a plus rien, où la mort est partout , le vie est partie….
ADOLESCENTS ET JEUNES ADULTES….OU VIE ET MORT ÉQUIVALENT
La référence à leur nouvelle religion s'avère seule à avoir quelque valeur. Dans la mesure où toute religion réclame d'être responsable de l'origine de l'humain et de l'humanité, celle à laquelle nous avons à faire réclamerait d’être la seule parmi toutes les religions, y compris celles en islam. D’être le seul mouvement qui puisse avoir cette propriété, cette appropriation de l'origine . Et du coup le corps apparaît comme le lieu d’un règlement de comptes permanent s'effectuant à ce niveau-là. Où victimes et bourreaux sont confondus. Nous sommes dans l’a-humain comme le qualifiait Vladimir Jankélévitch après la Shoah. 
QUE VOUS A T-ON FAIT VOUS SI JEUNES ENCORE POUR SORTIR AINSI DE L’HUMAIN. 
Serait-ce que vos pères auront fauté, à l’instar des États totalitaires des pays de l’axe nazi, rappelons-nous, où pour réparer les fautes de leurs pères, Bande à Bader, en Allemagne, Armée rouge japonaise, Brigades rouges en Italie, et d’autres encore, répétèrent leurs fautes sans le savoir. Vos pères n’auront pas renouveler leur islam, trop soumis et trop corrompu ? au point que pour les réparer vous les exacerbez à l’extrême aujourd’hui ? Comment repérer cet actuel au niveau individuel, où des ado et jeunes adultes risquent de succomber. Comment dés lors essayer de les comprendre pour arrêter la marche vers l’abîme ? où ils de se laissent fasciner par l’horreur où vie et mort se valent et ne valent plus rien. La parole là n’a plus cours. Ces jeunes « savants » vus dans le film, imberbes et entourés de livres, de fait ne parlent pas, ils affirment sans recul leur certitude où le hors monde a vidé leur monde intérieur. Plus d’intériorité psychique. D’où la fascination dés lors de ne plus avoir à faire de la place aux excitations sexuelles ou agressives, à la condition de se mettre au diapason imposé dans la violence masculine et la jouissance du meurtre de masse mis en scène collective reprise dans leur propagande. 
QUEL LIEU POUR LA PAROLE 
Le cinéma est-il à la hauteur de défendre la parole qui court le risque de sa disparition ? … « Habituellement », pour que le monde de la parole ait lieu, il lui faut une scène : monde, scène, lieu de la parole. Mais il faut que l’immonde reste en dehors de la scène, pour qu’il n’ait pas lieu… Et un jour l’immonde re-monte sur le scène et oblige la parole à faire un petit tour bien spécial, dans les meurtres… L’immonde est ce sur quoi de la parole trouve se cause… à condition d’être séparé du Monde… La haine d’État brouille à mort une telle séparation. Dés lors qu’un djihadiste va user de son arme, il y a un changement radical, de la causalité habituelle, genre c’est la social occidental qui l’aura bien cherché. Certes dans l’accueil possible de jeunes adultes, cela reste vrai. Mais il y un saut, un changement du monde jour à jour dés lors que le modèle collectif jihadiste s’instaure. Et évidemment c’est la guerre confondue avec la cruauté.
Un des chefs maliens nommé par lui-même barbe rousse, a teint sa barbe pour qu’elle ne soit ni comme celle des juifs ni comme celle des chrétiens. Enfin le mot comme, mais dans quel contexte ! Son propos annoncerait en 2012, l’attentat du 13 novembre 2015 à Paris, en affirmant que le « sabre » a supprimé les discothèques, les lieux de débauche où il y a de l’alcool, de la bière… de la musique.
Tout le dedans de l’humain est passé au dehors et instaure l’immonde en agent des échanges moteurs, tueurs. Ce qui est en cause au plus profond de soi, chez chacun, ce qui nous fait nous penser comme sujet, le voilà chez certains adolescents se faire engloutir dans le collectif meurtrier. Où la pratique de soi, de soi-même, court le risque de massification de la subjectivité de certains jeunes dés lors en terrible danger de succomber au pire. Ave l’horreur des meurtres l’acte de parler, de dire un Je fait retour à la compacité du réel, du collectif. Cela se perçoit dans une scène planétaire qui usant de l’immonde envahit nos pensées, c’est celle du couplage bourreau victime lesté par la mort/meurtre, couplage sans cesse jeté à notre regard. Et les médias sont toujours trop là pour nous fixer au rendez-vous. Regard qui pour nous au jour à jour, n’a pas à s’absenter mais prendre la mesure du réel pour préserver quelque chance pour un moi parlant et vivant. Et tenter de le désembourber des actions de génocides…
Alors reposons la question : des inserts dans le film permettraient-elles de montrer SALAFISTES dans nos écoles ? Où ce film se suffit-il à lui-même aujourd’hui, vu la teneur de son propos ? Aux spectateurs et citoyens responsables de le dire…
Jean-Jacques Moscovitz

[1] Projeté et débattu au cinéma le St Germain à Paris 6e , dans le cadre du « Regard qui bat… » le 24 janvier 2016 en présence de François Margolin
[2] Violence et Islam, d’Adonis et Houria Abdelouhaed, Le Seuil novembre 2015
[3] éd ACTES SUD 1968
[4] in la Matinale du Monde 25 JANVIER 2016 
http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/01/27/les-enfants-perdus-de-lunel_4854729_1653578.html


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