Quantcast
Channel: Le Blog d'Olivier Douville
Viewing all 1672 articles
Browse latest View live

Danielle Treton : Docteur Jacques Lacan, ancien chef de clinique, ses présentations à l'Hôpital Saint Anne

$
0
0


Docteur Jacques Lacan, ancien chef de clinique : présentations Danielle Treton


Résumé
Dans un style allégorique l'auteure retrace aprés coup son propre parcours hospitalier lors des présentations de malades de Lacan à l' Hopital Saint Anne il y a plus de 25 ans, dans un protocole a trois temps. L'enseignement de la clinique est là dérouté d'un diagnostic vers quelques vignettes langagières, soulignant le coté littéral de la parole au psychanalyste, en auditoire profane de la psychiatrie hospitalière, mettant en cause le sujet représenté.
Mots clés
Psychiatrie ; psychanalyse ; présentation de malades.
Summary
With the help of an allegoric style, the writer re-traces her own personal course through Lacan's formal presentations of patients at Ste Anne's Hospital 25 years ago. Following a threepoint rythm, the clinical lecture is being displayed and diverted from diagnosis to (resonance?)of words when addressing the Psychoanalyst ; witnessing also an audience unfamiliar with hospital psychiatry,and involving the subject
Key-words
Case presentation ; psychiatry ; psychoanalysis.

"C’est comme ça que j’opère, que je me débrouille avec cette fameuse présentation ; cette présentation, bien sûr est faite pour quelqu’un ; quand on présente, il faut toujours être au moins trois pour présenter quelque chose ; naturellement j’essaie le plus possible de tamponner les dégâts, à savoir de faire que les personnes qui m’entendent ne soient pas trop bouchées, et c’est ce qui nécessite que je fasse un tout petit peu attention."
Jacques Lacan, Journées de l’École freudienne de Pari : Les mathèmes de la psychanalyse, paru dans les Lettres de l’École, 1977, n° 21. 

Participer aux présentations de malades du Dr Lacan ne se fait pas sans préparation, même si l’on ne sait pas, durant celles-ci, où cela nous mènera, d’en parler après coup. C’est dire aussi comment on y est venu, là où on en est, les antécédents, vingt-cinq ans après et ce dont on se souvient. Passer par les études médicales et par un concours d’internat des hôpitaux psychiatriques vous donne un rang sur une liste qui permet de participer à un choix de postes. Ce fut mon cas, après plusieurs postes de faisant fonction, dans d’autres disciplines dont anatomie pathologique neurologique et obstétrique. Puis, après un début de maîtrise en analyse numérique, j’échouai à faire valoir la création de l’informatique médicale. Entre mathématique et médecine, ça ne marchait pas comme entre science et vérité, alors pour me payer une psychanalyse, je m’en fus faire fonction en psychiatrie.
Quatrième année d’internat des hôpitaux psychiatriques de l’Ile de France, en 1977/78, passionnée par la théorie de la psychiatrie de secteur – je venais de faire mon film-thèse sur Le dés-aliénisme et la détresse : le secteur – fréquentant le séminaire de Maud Mannoni à l’EFP sur les psychoses depuis quatre ans, le choix était facile : le service du Dr Daumézon qui dirigeait l’hôpital Henri Rousselle, une enclave dans Sainte Anne ; le pavillon Pinel en faisait partie, le Dr M. Czermak y organisait les présentations de malades du Dr J. M. Lacan. En reprenant ici le titre dont Lacan signe son article sur Les complexes familiaux dans l’Encyclopédie en 1938 : ancien chef de clinique à la faculté de médecine, les présentations font partie de cette fonction. Le cliniquat, est en médecine, l’endroit où la clinique est enseignée à partir du lit des malades, en psychiatrie la présentation de malades est une épreuve clinique du discours, que Lacan continuera d’exercer par la suite, et il gardera son titre, ancien chef de clinique, même sur l’annuaire téléphonique des postes.
Resituer dans l’espace du temps cette époque : les Ecrits étaient déjà lus par certains et le Séminaire Encore tout juste publié, les présentations étaient courue, l’on s’y pressait, chacun tentant d’appliquer un discours sur une structure. Les mots plus de joui et pousse à la femme, des entendus, comme a et A. J’avais ri quand au Séminaire Les non dupes errent Lacan avait écrit comme une résolution du théorème de Fermat, mine de rien, puisqu’il ne fut démontré qu’en 1995. En prenant un point de vue cavalier, je participai au premier voyage d’étude sur la psychiatrie en Chine, 1977, je croyais en la poésie comme politique, Mao venait de mourir, la bande des quatre allait disparaître. La Section Clinique, gouvernée par J. A..Miller, issue de l’Université de Vincennes, s’exerçait à Saint Anne depuis un an.
Trois temps à ces présentations avec Lacan: un entretien (en général individuel) préliminaire, Le médecin et le Docteur Lacan, la présentation elle même, entrée et dialogue du malade et du docteur devant un public choisi, puis, en l’absence du patient, discussions/questionnements, le public participant ou non. Leurs durées sont variables, le premier temps court, le second le plus long, parfois 90 minutes. La discussion se poursuit dans les couloirs, quand il s’agit de mon malade, j’ai l’impression qu’ils (ceux du public) n’ont rien compris, mais je m’étonne quand la discussion a été longue et que les pontes de l’Ecole viennent me serrer la main à tour de rôle, et me dis in petto « Ce n’est pas un enterrement ». Des paris se prennent à quatre contre un, c’est une psychose, je cherche la petite bête névrotique qui se prend pour une grande, l’hystérie de Freud ressemble à nos schizophrènes, Lacan vient d’en faire un discours, de l’Hystérique, entre quatre. Les didascalies, ici bruits de couloirs, font partie du récit, l’on apprend que Lacan vient de dire « Enfin j’me suis sevré », l’on n’employait pas ce terme alors pour arrêter de fumer mais pour l’arrêt du sein et le passage au biberon, et à l’heure actuelle le complexe de sevrage n’a plus guère cours, par contre le sevrage tabagique est de rigueur. Cela ne se faisait pas de s’inscrire dans l’annuaire du téléphone comme psychanalyste, d’ailleurs « le Docteur Lacan y est noté comme chef de clinique ». Nous en sommes à une loi réglementaire de psychothérapies dynamiques, selon laquelle les psychanalystes se doivent d’être en règle avec leurs institutions. Sables mouvants et leur dilatance : la pression augmente l’espace entre les grains de sable.
Premier contact lors d’une réunion préparatoire à propos des présentations d’Henri Rousselle dans la salle Magnan avec les chefs. Lacan est silencieux, puis à la fin, me regarde et me dit : « Freud croyait en la transmission de pensée, c’est pas rassurant ! » sourire goguenard. Reprise donc du temps sur le temps, pas sans se préparer, comment annoncer à son malade hospitalisé que l’on désire lui faire rencontrer le Docteur Lacan. Je vous avoue que je présentais ainsi le Docteur Lacan : « Le moment de poser votre question à quelqu’un comme le Docteur Freud, un grand psychanalyste, un spécialiste de l’inconscient, ce que l’on ne sait pas que l’on sait mais qui vient parfois en parlant, il discutera devant ses élèves, vous leur apprendrez leur métier ». La première présentation, j’assiste à l’entretien préliminaire d’un malade que je soigne, le diagnostic erre entre psychose sensitive et paranoïa, le malade, lui, plaide pour post-traumatique. Il a été reconnu traumatisé de guerre et veut que son acte agressif et jaloux soit reconnu au titre de la guerre 39/45. J’opte, vu les soins dont je ne parle pas, pour névrose obsessionnelle en acte d’échec, ce n’est pas moi qui présente. Lors de la deuxième présentation que je prépare, l’entretien se fera en présence de M. Czermak, je pose ma question comme je l’aurais posée à Freud : pourquoi le délire énonce-t-il un souvenir hystérique traumatique de viol par le regard du père ? Cela ne signe-t-il pas plus la névrose que la psychose ? Lacan commencera son questionnement à la patiente par : « Est-ce un homme ou une femme ? ». Il se faisait dans son apostrophe question même, voix incarnée de « l’identité de qu’est ce qui dans le discours fait ». Toute la présentation, cette patiente restera les yeux fixés sur moi, en parlant à travers Lacan.
Estomaquée je fus par la suite aussi. Après une longue discussion, l’on vint me serrer la main. Je n’ai pas les sténotypies de ces présentations, pas mêmes celles de mes propres paroles ou de celles de Lacan, celles que j’ai aidé à retranscrire avec la sténotypiste. Lacan me les avait proposées et, connaissant les trois personnes qui les avaient, j’ai pensé pouvoir leur faire confiance. Quand j’ai voulu les retravailler, à l’initiative de A. Rondepierre, sept ans plus tard, j’ai eu trois réponses, du style « le chaudron était déjà percé, c’est trop tôt, on ne vous l’a jamais prêté, on vous l’a rendu … ». Donc je parle avec les oublis dociles, de mémoire.
Beaucoup ont déjà écrit sur les présentations de malades de Lacan, je l’ai appris par la Toile, ce medium moderne qui n’existait qu’entre matheux pour cette époque dont je rapporte mes souvenirs. Extrayons, de sites internet, trois bribes, de M. Czermak : « par les fenêtres » ou parler fait naître, de C. Dumézil : « les petits bouts de la vraie croix » que chacun croit s’approprier, et « le manteau de loup ou de lapin, révolutionnaire » que nous dit G. Pommier. Une récente publication de l’association Psychanalyse et Médecine La Lettre, recense une bibliographie abondante, sous la plume de Francine Humbert, sur ce sujet des présentations de malades ; j’y ai trouvé à la lecture des textes accessibles, des vérités croisées, parfois je reconnais mon propre chemin. Ailleurs je ressens l’exclusion du présenté ; mais au juste était-ce le présentateur, le malade, le public choisi, ou Lacan lui-même en re-présentation ?
Ces petites choses rapportées sont comme des didascalies – écritures en marge des dialogues de théâtre – qui ne sont pas prononcées, indications scéniques, elles sont les marques du temps, se résument en instants. Ainsi que précision est l’instant : « ce qui fait et rencontre et rupture : il y a un avant et un après » (G. Bachelard).
Je prendrai un exemple, d’après avoir présenté pendant un an, puis d’avoir assisté dans le public les année suivantes cela m’a menée à une pratique hospitalière que je ne savais pas m’échoir. En parlant de ces moments, je ne peux dire, pour la pratique de Lacan, autre chose que de ce qui m’en est échu. Ce choix d’être présentateur ou présentatrice, devant ce qui semblait une cour ou un chœur, n’empêchait pas de poser sa ou ses questions. Ainsi l’on a pu me dire que j’avais été en contrôle en public avec Lacan, mais aussi, l’on m’a questionnée : « Pourquoi vous parle-t-il ? Avec nous il est de pierre ! ». Le moment crucial était le temps de déroulement de la présentation elle même. Lacan savait rendre le dialogue particulier, chaque fois, pratiquement secret, rendre le chœur insignifiant et, d’une parole renouvelée selon les jours ou les personnes, éloigner les indiscrets présents d’un « ça les intéresse » ou d’un « ils n’écoutent pas » ou « n’y prenez pas garde » ; sa manière de rendre la parole à la personne présentée était, face au public, un exploit d’attentive attention. Un colloque singulier en public, sur une estrade, deux chaises face à face, propices à la réflexion et à la perplexité du parterre : un dispositif qu’il rendait sacré, secret. En terminant, suivant les cas, il conseillait de se réadresser à celui qui en avait la charge, un retour à l’envoyeur, une poursuite de l’impossible qui venait de se mettre en question : sortir ou non de la folie. La position tierce questionnée en retour dès la sortie du présenté, là l’envoyeur était interrogé : « Alors c’est cuit ? »… « Monsieur je ne peux parler que de ma place, dois-je signer la sortie qu’il demande ? », demandais-je (sous-entendu le renvoyer à ses démons, celui qui se comportait comme dans une prison. Parfois une induction « Alors, faut le psychanalyser ? ». « Faut un bon psychanalyste ». Brouhaha dans la salle et en aparté : « Ils sont tous bons … », lâché d’un ton de commisération. Après coup, l’on se demande qui était présenté. Formellement, c’était Lacan en présentation qui tenait le choc de ses élèves, au troisième temps. Prolongations en discussions vives de ces retours d’Ecole, le noyau psychotique, auquel répondait le fameux le symptôme c’est la structure. Les thérapies familiales débutaient, et l’on exposait le contexte, non sans penser aux « complexes familiaux [qui] remplissent dans les psychoses une fonction formelle », dans cette introduction, de L’Encyclopédie Française (1938) où l’ancien chef de clinique cite le vocabulaire neurologique et héréditaire, parlait, tout comme Freud, de dégénérescence. Mais là où Freud s’est arrêté avec la psychose, l’écrit sur l’écrit de Schreber, Lacan repart, et vient se coltiner, comme il dit aux Entretiens de Sainte Anne, avec les discours des hospitaliers et des hospitalisés, les psychotiques qui « jouient » du signifiant sont surnommés psychoses lacaniennes par les auditeurs. « C’est dans leur discordance même de venir en trahir la loi interne » écrivait-il en 1938. La loi du Signifiant désenchaînée ou Le savoir du psychanalyste ? « L’amur », dit-il dans la chapelle en 1972, « je parle aux murs », à ces mêmes disciples hospitaliers.
Il savait faire rire avec son style, comme le rapporte J. A. Miller, dans Ornicar n°10 en 1977 : « Mais qu’est-ce que c’est une formule Un ? ». Dans cette présentation, il n’a jamais été question de deux, ajouterais-je. Pertinence de la question au-delà du rire provoqué durant la discussion, car il n’avait été question ni d’un savoir ni de savoir, juste des affirmations, des formules et la réponse fut triviale : « Monsieur, ce sont des voitures ». Redoublement de rires. « Il ne savait pas », est-il écrit dans cet article et je me souviens de l’avoir trouvée à double tranchant, cette formule.
A rejoindre l’anecdote didactique. Sur la fin, lorsque du public j’assistais aux présentations, Lacan me passa la parole sur une de ses questions double, car énoncée ainsi, il dit : « C’est une asthénie de Ferjol ? » d’un ton rigolard, pour cette infirmière jouet/jouant des médecins, et de la salle je lève le doigt pour dire : « Lasthénie, Monsieur le prénom, pas «une», «la» d’un geste de la main il me passe l’auditoire. Bizarrement j’avais relu l’affaire, le roman de Barbey d’Aurevilly de 1880 Une histoire sans nom peu de temps auparavant. Et j’avais discuté la veille avec une amie de cette bizarre congruence, de l’hypnose et de l’absence du père dans ce roman. Du signe de la faute, qu’une mère cherche à faire avouer à sa fille, un masque de grossesse. De la culpabilité silencieuse de celle-ci, qui se meurt d’aiguilles dans le cœur, et de la révélation finale par une bague portant un sceau, prélevée sur un doigt coupé d’un voleur, qui révèle à la mère, et sa culpabilité et l’innocence de sa fille, enterrée à coté du bébé. Le violeur, sous la forme d’un moine, avait hypnotisé la fille, piqué la bague du père, et laissé une grossesse sans nom. Le nom de ce syndrome, celui de Lasthénie de Ferjol, épinglé en 1967 par l’hématologue Jean Bernard, concerne ces infirmières qui s’auto-prélevaient le sang et consultaient leur médecin pour anémie. Cela date de l’époque où la dépression ne s’appelait plus anémie cérébrale. Etonnant, ce prénom, inusité maintenant, Lasthénie, et pour notre propos, étonnant aussi, ce qu’une proche est venue me demander juste après : « Lacan ne connaît pas cet auteur, quel est le nom de l’éditeur, que je le lui offre pour son anniversaire », j’ai ri, « Lacan est facétieux il vérifie qui connaît Barbey d’Aurevilly, ne le connaissez vous pas ?… presque un Flaubert, c’est en poche ! ». Une histoire sans nom, c’était en 1980, le rapport avec la patiente plus délicat, l’histoire était longue, il n’y a pas eu d’autre discussion. J’en garde l’idée que sur le tard, Lacan s’exprimait par énigmes de ce type, « une asthénie » pour une « La », préservant son discours de ceux qui le disait lacunaire, parlant à mots comptés. Elliptique. Enigmatique. « Lacunuïté ».
La geste de Lacan. Habituellement, il levait la séance en se levant lui-même, et d’un clignement, vous faisait continuer à parler, en somme au doigt et à l’œil. Une autre anecdocte, pendant les vacances de Noël, pour la messe, ainsi que ça se disait au pavillon Pinel, le vendredi matin des présentations. J’étais seule, les confrères en congé. Au travail, je recevais une nouvelle future présentée, une psychose lacanienne ? Elle entendait dans les bruits de son chauffe-eau, ce que je ne peux traduire à l’écrit, dans les toussotements du gaz et de la flamme : « touff-touffouff… nous-te-vou-lons ce petitboutdevolonté ». Etait-ce une intoxication au gaz carbonique et un syndrome d’hallucinose ou l’interprétation des bruits de l’appareil qui « fabriquaient l’écoute » ainsi que j’avais déjà pu dire à quelqu’un qui entendait parler sa tondeuse à gazon ? Dans le couloir, des éclats, une rumeur : « On se fout de moi ! » hurle Lacan dans le pavillon. Je sors, j’affronte et dis : « On se calme, je travaille pour vous » et nous sortons du service. Penaude, je marche vers Magnan. A quelque distance derrière, j’entends « teuff-teuffeuff », un essoufflement, et ralentis, cherchant à m’excuser : « Je ne suis pas habituée… ». Et je me coupe, j’allais dire... « à être en retard ». Or, comble, je suis régulièrement en retard, depuis ma naissance, et je ne me sens à mentir, je voulais dire « pour les présentations, je ne suis pas en retard », et là m’apparaît que c’est Lacan qui était en avance. Il me rejoint « Hein, hein ! » et le mot messe me fait compléter : « habituée à ces cérémonies ». Voilà qualifiée la colère, nous ralentissons le pas. Nous arrivons à la porte, et me traverse l’esprit : qui passe en premier du vieil homme ou de la dame ? Il me semble que le protocole est inversé par l’age, je suis en tête et marque un court arrêt, Chambranle logique, nous nous heurtons épaule contre épaule, comme si nous avions deux ronds blancs dans le dos, il me laisse passer et dit « Je ne sais même pas si c’est un homme ou une femme ». Je souffle, « Voilà, c’est une femme ». Nous-nous asseyons, en fait c’en étaient deux : une fille et sa mère. Reprise après une incise : le temps de l’entretien que j’ai dit préliminaire à la présentation. « S’exposer » en public, ou comme l’écrivait R. Tostain, « poser le sexe », convient bien à ces présentations, c’est du moins ce que je peux en dire, la parole pose le sexe d’abord, au départ, en présentation publique, fût-elle en regroupement analytique, comme nos présentations à nous, comme ici. L’objet de la psychanalyse, poser la sexuation comme une partition, où l’on procède ou non de la nature en discours. Nature de la psychose qui pose les thèses par rapport à Dieu ou à ses saints, mais alors nous dirions délires, une vraie croyance, la rigueur des certitudes, peut-être une anticipation du réel : « Je suis déjà mort ». Rigueur de l’écrit sur l’oral, de l’écrit qui règle les syllabes qui s’évadent dans le phrasé, « Je ne suis pas poâte assez » dit Lacan dans L’insu que sait… Et Jean Tardieu dit du mot poète : « Je n’aime pas la diphtongue » mais c’était un prof de traits d’esprit, l’inventeur du Professeur Frœppel, celui de La redistribution des mots. Potasser les souvenirs. Nous parlions en public d’élisions dans les mots, avec/sans les présents. Une question de « dit-latence » du temps, en parler après tout.
De fait c’en était deux, de femmes, mère et fille. Cette dernière, hospitalisée après moult examens médicaux et physiques, était raide, se plaignait de sa raideur forcée, malgré elle droite, hospitalisée contre son gré. Figée, elle refuse, au moment de la séance de présentation de venir s’asseoir, mais sa mère (prévenue ?) tombe à pic, s’assied à sa place en face du Dr Lacan, celle-ci pallie l’absence en présentation de sa fille. Je reste dans le public à coté de ma patiente, debout dans la salle. Elle assiste à sa présentation par sa mère, et me demande : « C’est qui cet homme-là ? ». Pendant ce temps, Lacan demande à cette dame après les présentations d’usage, le contexte familial qu’elle représente, quel était son métier, elle réponds fière : « Couture, je faisais l’homme, gilet-veste-pantalon , en couture. Mon mari était tailleur ». Cela n’a pas guéri ma voisine de salle, mais cela m’a donné une leçon qui ne cesse : j’écoute les mères, aussi devant leur enfant. De plus, Lacan m’a dit que j’étais « merveilleuse », je ne m’en suis pas remise : je pratique encore en hôpital, pire – maintenant, en pédopsychiatrie – le nouveau titre est praticien hospitalier. A l’impossible l’analyste est tenu, car j’ai cru à cette parole de Lacan : « La chance, si la psychose se déclare dans l’enfance », là, je crois parfois pouvoir y être convoquée, au sens du moment fécond. En voulant accentuer ce qu’il en était de l’étude de cas, on a dit que Lacan, contrairement à Freud, n’en aurait pas fait état. Pourtant sa thèse ne parle que d’une certaine Aimée et de ses écrits. Et ces présentations ont nourri ses Séminaires. Et pour la folie, il reprend la succession de Freud sur les mécanismes homosexuels : son coté féminin ne peut être démenti par Schreber, « éviré » malgré lui ; « Toutes les femmes sont folles », ce n’est pas moi qui le contredirai, « Les pires d’entre elles sont les hommes ». Et lalangue qui nous affecte : non, tous les jeux de mots ne sont pas troués, mais il serait fou de ne pas y replonger. 

este dans le public à coté de ma patiente, debout dans la salle. Elle assiste à sa présentation par sa mère, et me demande : « C’est qui cet homme-là ? ». Pendant ce temps, Lacan demande à cette dame après les présentations d’usage, le contexte familial qu’elle représente, quel était son métier, elle réponds fière : « Couture, je faisais l’homme, gilet-veste-pantalon , en couture. Mon mari était tailleur ». Cela n’a pas guéri ma voisine de salle, mais cela m’a donné une leçon qui ne cesse : j’écoute les mères, aussi devant leur enfant. De plus, Lacan m’a dit que j’étais « merveilleuse », je ne m’en suis pas remise : je pratique encore en hôpital, pire – maintenant, en pédopsychiatrie – le nouveau titre est praticien hospitalier. A l’impossible l’analyste est tenu, car j’ai cru à cette parole de Lacan : « La chance, si la psychose se déclare dans l’enfance », là, je crois parfois pouvoir y être convoquée, au sens du moment fécond. En voulant accentuer ce qu’il en était de l’étude de cas, on a dit que Lacan, contrairement à Freud, n’en aurait pas fait état. Pourtant sa thèse ne parle que d’une certaine Aimée et de ses écrits. Et ces présentations ont nourri ses Séminaires. Et pour la folie, il reprend la succession de Freud sur les mécanismes homosexuels : son coté féminin ne peut être démenti par Schreber, « éviré » malgré lui ; « Toutes les femmes sont folles », ce n’est pas moi qui le contredirai, « Les pires d’entre elles sont les hommes ». Et lalangue qui nous affecte : non, tous les jeux de mots ne sont pas troués, mais il serait fou de ne pas y replonger. 

Trajets de la mélancolie dans le bassin méditerranéen ; Olivier Douville

$
0
0

Mélancolie et Méditerranée

Je vais entreprendre l’évocation partielle d’une histoire qui intéresse la clinique et la philosophie, c’est l’histoire de la mélancolie autour de la méditerranée pendant quelques dix siècles. Remontons, c’est juste, au berceau de la clinique, soit la période grecque classique.
Dans son livre sur « La mélancolie » du 10ème siècle de notre ère, 3 siècles et demi après l’hégire, Ishâq Ibn Imrân, commentant  Rufus d’Ephèse, qu’il appelait comme de juste  Rufus El Alfasi, notait que le terme de mélancolie désigne à la fois le nom de la maladie et le nom de la cause. Effectivement en grec, mélancolie veut dire « bile noire ». Le mot  grec μελαγχολία (melankholía) est omposé de μέλας (mélas), « noir » et de χολή (khōlé). La bile noire, ou du moins son excès résiduel serait la cause de la mélancolie. Dans un premier temps je vais donc  tenter de dessiner  l’histoire de la bile noire, une des quatre humeurs. Déjà le chiffre 4 nous intrigue par sa signification ésotérique. C’est qu’avec Pythagore, une figure géométrique très simple, le tétraèdre, que nous appelons le carré, permet d’envisager qu’on puisse découper le monde en quatre composantes. Les  quatre éléments furent déjà repérés par Empédocle en leur état de nécessaire composition, lors que pour des philosophes antérieurs un seul élément était tenu pour la cause de tous les éléments ; il en fut ainsi pour Héraclite qui donnait prééminence au feu ou pour Thalès qui pensait que l’eau était l’élément premier. Ces éléments sont encore les nôtres : terre, air, feu et l’eau  - dans d’autres cultures, comme la Chine par exemple, il y a cinq voire six éléments, le bois et le métal. A ces éléments correspondent  quatre saisons et quatre âges de l’homme. Au sein de ce tétraèdre la pensée grecque antique qui va de Pythagore à Empédocle va loger quatre composantes : le sang, les deux biles (la noire et la jaune) et le flegme. Ce bouclage du tétraèdre pythagoricien se fait sur l’alliance du microcosme, soit  l’homme et son corps, avec le  macrocosme, le cosmos. IL ne sera achevé que par Empédocle. Vient ensuite le fait que ce modèle très fixiste et  qui durera  bien longtemps, ouvre plus de questions qu’il n’en résout.

"Faut-il médicaliser la dépression?" DEBAT PUBLIC SUR LA PSYCHIATRIE D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN

$
0
0

DEBAT PUBLIC SUR LA PSYCHIATRIE D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN



UNE PREMIÈRE






Plusieurs dizaines de professionnels et d'usagers de la psychiatrie parient sur une série de débats publics pour relancer les questions les plus cruciales posées à la psychiatrie, aujourd'hui et  demain. Trois débats par an sont prévus sur le modèle des « Maudley's debates » de Londres avec des débateurs  représentatifs des différentes positions éthiques, scientifiques ou politiques.

Nous tenons à des débats argumentés, informatifs et ouverts, avec une éthique de la discussion. Nous optons pour l'accessibilité la plus grande avec entrée gratuite et enregistrement des débats. Nous souhaitons que cette initiative, inédite en France, améliore la qualité des échanges entre les différents acteurs de la psychiatrie, peu habitués à se parler. A terme, nous pensons que la prise en charge des patients et de leur famille bénéficiera de ces rencontres et s’en trouvera améliorée.





FAUT-IL MEDICALISER LA DEPRESSION ?





VENDREDI 9 OCTOBRE A 21H



AMPHI DENIKER - CENTRE HOSPITALIER SAINTE ANNE

1 rue Cabanis, 75014 Paris



 Nombre de places limitées. Entrée gratuite
Inscriptions par mail : s.laffont@ch-sainte-anne.fr



Avec la participation de :



Pierre Henri CASTEL,  Pr Bernard GRANGER,   
Pr Pascal Henri KELLER,

Pr Jean Pierre LEPINE,  Pr Antoine PELISSOLO,  
 Pr Gérard POMMIER







Comité d’organisation :

Patrick BANTMAN, Mireille BATTUT, Hervé BENTATA, Hervé BOKOBZA, Guy DANA, Fernando de AMORIM, Jean-Pierre DRAPIER, Olivier DOUVILLE, Georges FISHMAN, Tristan GARCIA-FONS, Nicolas GOUGOULIS, Pascal Henri KELLER, Simon Daniel KIPMAN, Rhadija LAMRANI, Patrick LANDMAN, François LEGUIL, Emmanuel PELON, Dominique TOURRES-LANDMAN, Alain VAISSERMAN, Elie WINTER, Laure WOESTELANDT








Extrait des Entretiens de Confucius

$
0
0
Extrait des Entretiens de Confucius

Iuen Seu dit : « Celui qui ne marche pas dans la rivalité, la vantardise, la rancune et la convoitise, doit-il être considéré comme pleinement humain ? » Le Maître répondit : « Il pratique le plus difficile. Est-ce là être pleinement humain ? Je ne sais. »

John Donne - Aucun homme n’est une île (No Man is an Island, 1624)

$
0
0

John DONNE 
Aucun homme n’est une île
(No Man is an Island) 1624

Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ; si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire, le manoir de tes amis ou le tien ; la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne.

Lecture d'un ancien numéro du Coq Héron tout consacré au psychanalyste oublié Imre HERMANN

$
0
0

Le Coq Héron, 188, 2007 « Imre Hermann et la théorie de l’agrippement », Erès, 142 pages


Comme elle le fait souvent, la revue Le Coq Héron livre un dossier dévolu à un psychanalyste des temps héroïques. C’est ici Imre Hermann qui fait l’objet de onze articles, l’ensemble étant organisé par Juliette Dupont.
Trois axes d’importance du travail théorique d’Hermann   font de lui  un défricheur, peut-être pas toujours un pionnier. Sa théorie psychanalytique de l’antisémitisme, une des premières tentatives de cet ordre, puis sa volonté de modéliser mathématiquement la vie psychique, sa conception de l’agrippement, préforme des théories ultérieures de l’attachement, enfin.
Hermann qui est né  à Budapest en 1899, où il est mort en 1984, est médecin et neurologie de formation. Il a connu les persécutions antisémites, les bombardements de la guerre, puis la chape de plomb du stalinisme. Souvent confiné dans un isolement étouffant que brisait à peine la consolation que lui apportait la fréquentation de ses élèves ou la compagnie de ses livres, il du à sa longévité d’avoir vu refleurir quelques espoirs pour la psychanalyse dans les pays dits de l’ « Est ».
Il était encore étudiant lorsque Ferenczi  qui enseignait à l’Université le convia à rejoindre  la Société hongroise de psychanalyse.  Agé à peine de 20 ans, il en vint à exercer comme psychanalyste. Cette discipline était à l’époque aussi un sport de jeune. Ces temps nous semblent loin !
Freud, nous apprend André Haynal, aimait  surnommer Hermann « notre petit philosophe ». Ce n’était pas strictement l’accabler de compliments quand on sait toute l’ambivalence que nourrissait le père de la psychanalyse vis-à-vis de la démarche philosophique. Il est vrai qu’Imre Hermann manifesta, toute sa vie durant, et dans une pétillance de pensée que l’âge n’entama point, une curiosité des plus vives et des plus résolues alliée à une dilection particulière pour la remise en question des dogmes. Et il déploya cette gourmandise de réflexion dans maints essais qui prirent comme objets la vie mentale et les formes et directions de la pensée.
Loin de se réduire à une suite de post-scriptum des écrits majeurs de Sandor Ferenczi, maître vis-à-vis duquel il montra réserver et respect, selon les codes de l’Europe centrale du début du siècle passé, les premiers articles d’Hermann le montrent tout entier plongé dans l’étude des liens entre structures logiques de la pensée et orientation sensorielle.
Une recherche des fondements de la pensée analogique et un goût minutieux pour les hypothèses développementales lui donnent une grande latitude pour configurer autrement que ne le fit Freud les deux principes de la vie mentale : les processus primaires et secondaires. Disons le assez net, et prenant alors une distance par rapport au ton constamment hagiographique de cette tomaison du Coq-Héron, Hermann fera surtout œuvre de psychologue et ne prendra pas la mesure de la hardiesse des théories psychanalytiques sur le dualisme pulsionnel et le clivage. Comme est étrange cette mode d’aujourd’hui qui fait passer pour des dissidents novateurs quelques psychanalystes du temps de Freud qui, souvent, se situèrent en deçà de l’exigence décapante de la révolution freudienne !
Hermann propose une conception pyramidale de la vie de l’esprit, où la pensée métaphorique, va, par paliers, s’organiser et se déplier selon une logique de plus en plus pure, conforme aux exigences de la raison. C’est d’une certaine façon reconsidérer toute la théorie des pulsions sous un angle psychologique et même moral qui fait de la vie de l’esprit, une orbe où le psychisme devenant mature  progresse des confusions instinctuelles jusqu’au clair soleil de la raison. Une telle épopée reconduit le mirage du sujet transparent à lui-même. C’est toutefois en raison de son excès de linéarité que le travail d’Hermann intéresse encore tant nous y trouvons toute la source, encore fraîche, bouillonnante presque, de ce qui fut au principe des études de John Bowlby et de son élève Mary Ainsworth sur l’attachement. Durant les années 1920, Hermann s’intéresse au comportement des primates et met en lumière un montage instinctif d’agrippement des petits anthropoïdes cramponnés  à la fourrure de leur mère. Il y voit un l’instinct primordial de l’espèce humaine, thèse qu’il développera à loisir dans son livre Les instincts primordiaux de l’homme (1943).
Jean-Claude Sempé dans son article « Singe, mon prochain, mon miroir, mon double, mon cousin » (on ajouterait volontiers « mon frère » à ce titre pour faire rase mesure) évoque un parallèle fort intéressant entre le corpus d’Hermann et celui de Nicolas Abraham. « L’agrippement »,  « l’unité duelle (mère-enfant) », l’ « instinct chercheur » sont comme des ponts entre ces deux pensées de l’archaïque et des subjectivations précoces.
Serait-ce faire preuve d’une ironie par trop déplacée que de se demander, à la suite de l’article de Georges Gachnochi et Ouriel Rosenblum « Hermann nous aide à penser à Clotilde », si Hermann observateur n’est pas, in fine, un meilleur guide pour la compréhension des troubles précoces de la subjectivité que le théoricien trop systématique dont les textes précédents ont brossé et lustré le portrait ?  Car enfin, ce psychanalyste ne manque ni d’intuitions ni de faconde métaphorique. Et ce qu’il avance quant à la construction du visage humain mérite d’être lu et médité. Le visage  est le lieu de toutes les méditations pour Hermann, mais de ces méditations qui tout en s’écrivant laissent un sentiment de présence, de compagnonnage d’exception d’avec les enfants les plus égarés dans la quête de leur premier miroir. Il reste alors dans l’écriture d’Hermann un ton pathique d’une véracité poignante et qui aide à ressentir, puis penser la clinique. Lorsqu’il souligne, en 1943 la prégnance d’une unité « bouche-mains-yeux » dans la construction d’un soi, qu’il indique également comment  la composante agressive de l’agrippement tend à réduire l’autre à une stricte bi-dimensionnalité, il ouvre bien à une topologie essentielle pour saisir les embarras du lien à l’altérité dans la psychose symbiotique et situer les confusions des orificialités pulsionnelles qui s’y observent.  D’autres articles, moins incisifs, car enfin ce numéro est loin d’être exempt de redondances, pourraient nous amener à rouvrir les textes d’Hermann dans ce sens de l’observation clinique (Anna Vincze, Livia Nemes).
En ce sens, ce dossier est fort bien venu.
Là où, en revanche,  il déçoit, c’est que nous manquons d’un article didactique d’ensemble, comme c’est souvent le cas avec ce genre de bouquet garni qui oscille entre la succession d’hommages et le franc exposé critique des idées de l’auteur retenu, qui fonctionne plus à coups d’encensoirs que de réelles dispositions à l’épistémologie.
Nous devons alors souligner la belle qualité du travail de Ferenc Eros : « L’antisémitisme selon la conception de Hermann et la psychologie sociale ». La première parution de La psychologie de l’antisémitisme date de 1945, année de la libération de la Hongrie et, en même temps, début de la longue période de bannissement de la psychanalyse de la vie intellectuelle de ce pays, comme de bien autres Etats voisins. Le livre d’Hermann, fort documenté sur la littérature antisémite des premiers siècles chrétiens jusqu’au début du XX° siècle laisse un sentiment de malaise tant il ne dit presque rien de la seconde guerre mondiale et de l’antisémitisme nazi. Hermann cherche la clef de l’antisémitisme dans la psychologie de la haine, de la projection, des formes d’identification à l’agresseur. Le siècle agissait autre chose.
Un autre aspect de la pensée d’Hermann est négligé par les auteurs et qui est sa volonté de rendre lisible par les mathématiques sa théorie de la psychogenèse. C’est pourtant là que résident et l’os de sa méthode et le plus original de ses apports. Situé en dehors de cet axe, Hermann s’effiloche, son importance s’évanouit, son influence devient improbable. Nous ne pouvons que regretter la portion congrue réservée à ce domaine que le bon travail de Sara Klaniczay : « Espace et psyché » ne suffit pas à  arpenter.
Le lecteur désireux de mieux connaître  les théories mathématiques d’Hermann se reportera au livre essentiel de son auteur, Parralléismes[1],  qu’éclaire le passage que lui consacre  Marc Darmon dans ses Essais sur la topologie lacanienne[2]et qu’expose l’article formidablement documenté mais partial de Nathalie Charraud « Les pathographies mathématiques d’Imre Hermann »[3]. L’idée centrale d’Hermann consiste à faire correspondre des géométries à des tableaux cliniques. La géométrie euclidienne serait celle de la normalité, la géométrie sphérique (ou elliptique) coïnciderait avec la mélancolie, lors que l’hyperbolie serait typique de la manie, la schizophrénie étant, elle, le résultat d’une spatialité où la courbure positive, deviendrai tcatastrophiquement négative à certains endroits. Si l’analogie semble plaquée, la référence à la géométrie intrinsèque des surfaces a depuis fait, avec Lacan, un bon bout de chemin.

Ce numéro du Coq Héron séduit, vaut donc pour une introduction parcellaire et sympathique à la personne et à la pensée d’un psychanalyste créatif, mais pas toujours aussi novateur qu’il nous est présenté en ces pages.





[1]Parallélisme, Paris Denoël, 1980
[2]Ed  de l’Association Lacanienne Internationale, 2004, pages 227 à 230
[3]in Psychologie Clinique, n°13, « Recherches cliniques en psychanalyse », Paris, L’Harmattan, 2002 pages 123 à 141

Un court Poème d'Erik Satie dédié à Claude Debussy. Idylle

$
0
0

Idylle

À Debussy

Que vois-je ?
Le Ruisseau est tout mouillé ;
et les bois sont inflammables et secs comme des triques.
Mais mon cœur est tout petit. 
Les Arbres ressemblent à de grands peignes mal faits ;
et le Soleil a, tel une ruche, de beaux rayons dorés.
Mais mon cœur a froid dans le dos.
La Lune s’est brouillée avec que ses voisins ;
et le ruisseau est trempé jusqu’aux os.

Groupe d'élaborations autour des pratiques cliniques dans des contextes trans et interculturels

$
0
0

Groupe d'élaboration clinique autour des pratiques cliniques dans des contextes trans et interculturels, ouvert aux praticiens et stagiaires.

Première séance le mardi  3 novembre 2015, par la suite une réunion une fois par mois jusqu'en juin, tous les premiers mardi de 21H15 à 22H45.
Une suite de réunions d'échanges sur nos pratiques est proposée par des psychanalystes d'Espace Analytique : Edith Campi, Catherine Saladin, Olivier Douville et Guy Sapriel
Beaucoup parmi nous travaillent ou sont en stage dans des lieux de soin qui reçoivent des personnes dont la vie est marquée par les ruptures sociales et culturelles, souvent violentes. Les questions se posent aussi pour des adolescents qui héritent des migrations et des exils de leurs parents. Elle se précise avec les exodes massifs d'hommes, de femmes et d'enfants, en attente d'un hypothétique statut de "réfugié"
Nous rencontrons les questionnements que les migrants et leurs enfants posent  à nos institutions.

Loin des commodités folkloriques de l'ethnopsychiatrie, ou de son apologie stérile et mièvre du métissage généralisé, nous  tenterons de construire dans l'échange, le témoignage et le débat, la problématique de l'accueil, de l'écoute et du soin de ces personnes marquées par la violence économique et politique.

Une participation régulière est vivement recommandée

Première séance le mardi  3 novembre 2015, par la suite une réunion une fois par mois jusqu'en juin, tous les premiers mardi de 21H15 à 22H45.

Lieu
Espace Analytique, 12, rue de Bourgogne 75007 Paris (métro Invalides ou Assemblée Nationale)

Entrée libre
On s'inscrit en m'envoyant un mail : douville.olivier@yahoo.fr ou par tél  : 0677692451


Présentation et discussion du livre, La parole oubliée, de Karima Lazali,

$
0
0
Présentation et discussion du livre, La parole oubliée, de Karima Lazali,

Éditions érès,



Par Martine Ménès et Olivier Douville, Psychanalystes



Le dimanche 11 octobre 2015 à 16h



Librairie Tschann

125 boulevard du Montparnasse
Paris VIe







Selon quelles modalités s’effectue le nouage entre corps, parole et inconscient, dans la cure analytique, mais aussi dans le champ social ? Par quels tours et détours dans le trajet du parlêtre se produit la transmission du savoir inconscient vers le réel du corps ? Comment penser le potentiel politique de la parole et ses effets au un par un et dans le lien social ?

Pour répondre à ces questions, l’auteur visite l’envers du décor, à savoir les lieux de panne de la parole qui ouvrent à différentes formes de ravages, meurtres et autres destructions à l’échelle du psychisme singulier et du collectif. L’expérience de la psychanalyse en Algérie puis en France dans les différentes institutions et en cabinet conduit Karima Lazali à s’interroger sur les conditions politiques de l’exercice de la psychanalyse.

La fermeture actuelle des institutions soignantes et/ou éducatives au discours analytique et le peu de place existant dans le champ social pour la psychanalyse en Algérie ne peuvent que frapper la psychanalyse de clandestinité. Et pourtant, c’est dans cette ombre que la parole trace les sillons de l’altérité invitant analystes et analysants à arpenter les différents chemins de l’hétérogène et de l’histoire, de l’altérité, de la souffrance, de la douleur et de la nécessaire créativité.



 

Rainer Maria Rilke, extraits des Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)

$
0
0
Rainer Maria Rilke
Extraits des Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)

Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas ( c’était une joie faite pour un autre ), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.

le 15 octobre parution du Dictionnaire Freud sous la direction de Sarah TERQUEM

$
0
0

 le 15 octobre parution du Dictionnaire Freud sous la direction de Sarah TERQUEM, collection BOUQUINS, Robert LAFFONT




Présentation de l'éditeur

" Pour comprendre la psychanalyse, déclarait Freud en 1922, le mieux est encore de s'attacher à sa genèse et à son développement. " C'est ce principe d'une confrontation constante entre les origines d'une pensée et son évolution que les auteurs de ce dictionnaire ont à leur tour voulu privilégier, en se situant résolument par-delà toutes les querelles de chapelle. Leur but est de proposer aux lecteurs d'aujourd'hui de découvrir, de mieux connaître ou d'approfondir la pensée de Freud en suivant tout à la fois sa fabrication, la manière dont elle s'est imposée et développée, les échanges dont elle s'est nourrie et la postérité qui est la sienne. Sarah Contou-Terquem, qui a conçu et dirigé cette entreprise ambitieuse, se réfère à deux maîtres en la matière, Laplanche et Pontalis, auteurs d'un Vocabulaire de la psychanalyse qui fait autorité, pour expliquer sa propre démarche consistant à " instaurer une manière vivante de lire les concepts freudiens, de les retravailler dans la poursuite de Freud ". Elle rappelle que cette œuvre est elle-même une fabrication à la croisée de plusieurs traditions, un héritage " radicalement innovant par son contenu (l'inconscient et la réalité psychique) et par sa forme (un cadre clinique et une théorie métapsychologique) et dont la méthode se synthétise dans un esprit scientifique. Mais cette spécificité, souligne-t-elle, se nourrit autant des humanités que de la découverte proprement scientifique. " Ce dictionnaire montre comment Freud se sert aussi dans sa réflexion de la littérature, de l'histoire, de l'anthropologie, de la philosophie et de la linguistique. Des références multiples qui ont " produit sa nouveauté ", la psychanalyse fondant aussi ses réflexions sur l'expérience de l'époque dans laquelle elle s'est constituée, ses croyances, ses mœurs et ses mentalités. Le livre comprend cinq " catégories " d'entrées : Notions, Points critiques, Biographies, Cartographies et Filiations. La première présente les grands concepts freudiens tels que " Complexe d'Œdipe ", " Fantasme ", " Hystérie ", " Inconscient ", " Pulsion de vie-Pulsion de mort ", " Sexualité infantile "... La deuxième catégorie regroupe des articles apportant un autre éclairage sur chacune de ces notions. Les Biographies sont celles des personnalités ou institutions marquantes dans l'œuvre et le destin de Freud. Les Cartographies permettent de situer les lieux qui ont jalonné son itinéraire, tels que Vienne, Rome ou Paris. Dans la dernière de ces catégories, les auteurs montrent les rapports que la pensée de Freud a entretenus avec celle de ses prédécesseurs ou de ses contemporains, ainsi qu'avec ses héritiers, continuateurs ou critiques... Cet ouvrage offre ainsi autant de points de repère et d'analyses approfondies permettant d'avoir une vision d'ensemble de cette pensée et de la rendre accessible au plus grand nombre.

Biographie de l'auteur

Sarah Contou-Terquem est psychanalyste et chercheuse en philosophie à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle est spécialiste de l'œuvre de Freud et de ses relations avec les sciences humaines et sociales. Une équipe de 75 spécialistes de l'œuvre de Freud, français et internationaux (Allemagne, Canada, Grande-Bretagne, États-Unis...), faisant une grande place à la nouvelle génération universitaire (université Paris I, université Paris V, université Paris VII, EHESS, université de Strasbourg, université de Chicago...) ainsi qu'aux disciplines qui accompagnent l'œuvre de Freud depuis sa création (philosophie, littérature, histoire, histoire des arts, linguistique, anthropologie) a été spécialement réunie sous sa direction.

Aux sources de la violence Françoise HERITIER (entretien avec O. DOUVILLE, paru dans Psychologie Clinique, n° 30)

$
0
0
Aux sources de la violence
 




Françoise Héritier


F. Héritier : Je me suis intéressée à comprendre, à voir s’il était possible d’établir de façon, là aussi universelle, des lois qui permettraient de comprendre comment la violence vient aux hommes. Et je pense que la nature de l’homme ne porte pas nécessairement à la violence, à la compétition, à prendre la main sur autrui, et que ce sont des interstices entre différents types d’obligations, qui ont été portées par des lois sociales. Il y a toujours des interstices où la violence prend sa source. Moi, ce que j’ai cherché à mettre en évidence c’est ce qu’il y avait de commun, d’abord pour l’homme et l’animal, et ensuite de plus en plus pour l’homme tout seul, ce qu’il y avait en commun que l’on pouvait mettre en évidence dans toutes les organisations sociales.
Celà va des besoins les plus élémentaires, le besoin de se nourrir et de nourrir ses proches, le besoin de se reposer en confiance, qui est une chose extrêmement importante, et donc de faire confiance à des gens ; et qui s’accompagne toujours de leurs doublets négatifs. Si vous faites confiance à certains vous serez entraîné à ne pas faire confiance à d’autres, donc chaque fois que vous avez la face positive, il y a une face négative qui va apparaître. Si vous réservez la nourriture à vos proches, vous allez la refuser à d’autres qui ne sont pas vos proches.
A coté de ces besoins très fondamentaux, qui sont ceux aussi bien des espèces animales, il y en a d’autres, partagés pour beaucoup aussi par les animaux, qui sont le besoin de conformité non seulement dans son Etre et son paraître, mais également dans son avoir, le besoin d’être semblable. C'est-à-dire avoir comme les autres, ce qui amène aussi tous ses contraires, l’envie, la jalousie et la compétition, mais qui viennent encore une fois comme des envers. Dans ces besoins spontanés, il y a aussi le besoin de protéger et d’être protégé qui est un besoin fondamental, qui explique le rapport parent/enfant, où les cadets ont besoin de protection, mais ce besoin de protection se pervertit en autoritarisme aussi. Et puis vous avez le besoin de justice, d’égalité… j’en oublie, mais je pense que de proche en proche ont peut énumérer toute une série de besoins qui sont des besoins absolument fondamentaux.

O. Douville : Oui, c’étaient là les besoins qui sont invariants de l’espèce humaine  sociale. On peut parler de nature humaine à ce moment-là ?

F. Héritier : On peut parler d’une nature du vivant, parce que l’on s’est aperçu dans des expériences menées auprès d’animaux, notamment des singes, des petits singes, qu’ils avaient une conscience très forte de l’équité par exemple. Une conscience très forte : désolée je ne veux pas dire que je crois que les singes aient la moindre représentation de l’équité, mais que leurs actions montrent qu’ils refusent l’iniquité.
Je disais des interstices entre ces besoins fondamentaux, quand ils sont régulés par la loi, qu'ils ne peuvent pas réguler toutes les articulations et la violence naît dans ces articulations. Ce besoin de protéger ses enfants par exemple, j’ai dit qu’il peut se transformer en autoritarisme, et dans certaines conditions ça peut être des heurts à un autoritarisme d’une très grande violence, et la révolte qui s’en suit peut être également d’une très grande violence. Chaque société établit ses propres normes de ce point de vue, mais en tout cas il reste que ce sont des besoins fondamentaux qu’on ne peut pas a priori désigner comme bons ou mauvais, ce sont les besoins qui appartiennent à l’espèce humaine comme aux autres espèces, que j’appelle les besoins du vivant.

O. Douville : Votre anthropologie est vraiment centrée sur cette dimension du corps ?

F. Héritier : …et sur les affects.

O. Douville : C’est-à-dire sur ce que signifie le fait   d’avoir un corps parmi d’autres…

F. Héritier : C’est-à-dire ce que c’est que d’avoir un corps, qui est un corps sensible. C'est-à-dire ce corps sensible il réagit et les émotions, les affects, font irréductiblement partie du corps.

O. Douville : Cet éclairage qui est le vôtre sur les phénomènes de violence, est-ce que vous pensez que l’anthropologue que vous êtes, ou l’anthropologie, la discipline, a un regard particulier à porter sur le social et le politique aujourd’hui ? Je sais que c’est extrêmement vaste…

F. Héritier : Moi j’ai toujours pensé que oui, que nous avions une réflexion et un apport à faire. Difficile, hein ! Difficile parce que les politiques sont fort peu, de tous bords confondus, je ne fais pas ici de différence, les politiques ne sont pas des chercheurs et ils ne sont non plus des spécialistes en sciences sociales, en sciences humaines. Ils visent l’efficacité, et l’efficacité à court terme en plus à notre époque, ce sont des discours qu’il est parfois très difficile de leur faire entendre. Parfois, d’ailleurs curieusement, c’est même ne pas faire entendre mais faire comprendre, comprendre là où se trouve un problème.

O. Douville : Vous avez essayé ?

F. Héritier : J’ai essayé, je me souviens d’un ministre, une femme en l’occurrence, il y a longtemps, plus d’une vingtaine d’années. Elle me disait, c’est formidable avec les nouveaux modes de procréation, nous avons inventé des nouveaux modes de filiation. La filiation, qu’il faut entendre au sens strict, c’est des règles sociales qui permettent d’inscrire un enfant dans une ou plusieurs lignées. Hors le fait que nous soyons sexués, qu’il faille un père et une mère pour faire des fils et des filles, fait que de quelque manière que vous vous y preniez, la combinatoire n'offre que six possibilités ; et ces six possibilités elles ont déjà été inventées, on ne peut pas en ajouter une. Bon, ce que l’on peut changer, c’est des formes de famille. Mais inventer de nouveaux modes de filiation non, là je crois qu’elle n’a pas compris.

O. Douville : Là le structuralisme nous dit, voilà le jeu c’est six combinatoires, il y a une limite à ce jeu de combinaisons ?

F. Héritier : Mais c’est mathématique, il y a des cas où il y a une limite mathématique tout simplement, logique et mathématique c’est tout. C’est extrêmement difficile de parler aux politiques, mais enfin quand même on doit pouvoir y arriver et je sais que pour ma part j’ai essayé, à plusieurs reprises, en acceptant de participer à des conseils, le conseil sur la famille, le conseil sur la francophonie, le conseil économique et social, le conseil consultatif d’éthique évidemment, et puis alors surtout le conseil national du Sida, c’est là où j’ai eu le plus de rapports avec les ministres, avec le Président de la République et autre,s et où j’ai eu le sentiment véritablement de pouvoir être entendue sur des bases anthropologiques par François Mitterrand pour ne pas le nommer, et d’obtenir des résultats qui étaient des résultats concrets.

O. Douville : En ce qui concerne, l’enfant ou les enfants et votre participation à divers comités, ou vos travaux, est-ce que vous auriez envie de nous dire quelque chose sur la situation de l’enfant dans nos mondes contemporains et en quoi celle-ci intéresse aussi l’anthropologie actuellement ?

F. Héritier : Alors je n’ai pas, je n’ai jamais travaillé directement avec des enfants ! C’est-à-dire j’ai travaillé un petit peu avec les enfants de mes propres terrains et en fonction, disons, de leurs connaissances et compétences. Parce que les enfants sont des grands vecteurs de littérature orale notamment, et puis ils vous apprennent beaucoup de choses par leurs jeux. Puis on voit aussi le rapport qui existe entre leurs frères et sœurs, entre leurs aînés, enfin on voit à travers le prisme de l’enfance comment se constituent les hiérarchies. C’est d’ailleurs un des points qui est assez intéressant sur la constitution de la valeur différentielle des sexes. Là je ne généraliserais pas sur toutes les sociétés, je parle uniquement des Samos. En disant que chez nous nous avons des comportements du même type et que vraisemblablement on pourrait en déceler dans bien des sociétés.
J’avais remarqué assez vite, que les femmes se comportaient différemment avec leurs bébés, qu’elles portent dans le dos, quand ils pleuraient. Alors, elles ont des activités multiples, elles portent du bois, elles vont chercher de l’eau, elles pilent, elles écrasent le mil, elles font la cuisine...etc. Et de temps en temps elles arrêtent instantanément ce qu’elles font pour donner le sein au bébé qui pleure, et puis à d’autres moments elles ont l’air de pas s’en soucier et même parfois d’être énervées par les pleurs du bébé, elles s’en défaussent sur un enfant qui passe à coté. Et en y regardant de plus près, je me suis aperçue avec une constante, mais sans aucune exception, que c’étaient les petits garçons qui pleuraient qu’on nourrissait immédiatement, et les petites filles quand elles pleuraient qu’on faisait attendre. Donc je me suis interrogée sur la question, et j’en ai parlé aux femmes en leur demandant mais pourquoi vous faites ça ? Et elles m’ont répondu, là aussi une constante parfaite, que les petits garçons ont, alors l’expression locale c’est le cœur rouge, c'est-à-dire le cœur violent, donc elles pensent qu’il y a une essence du masculin qui les rend violents et ayant le cœur rouge et donc porté à la colère. Ils risqueraient de s’étouffer et de mourir de colère si on ne les satisfaisait pas tout de suite, on leur donne tout de suite le sein. Alors, cette réponse, qui est essentialiste pour les garçons, devient culturaliste pour les filles. Pour une fille, elles disent alors qu’elle devra, qu’elle doit apprendre très vite la patience car elle devra être patiente et attendre toute sa vie avant d’être satisfaite, donc on ne doit pas lui donner tout de suite pour lui apprendre la patience, la frustration.
Ça revient à dire aux uns la satisfaction immédiate des désirs, aux autres la frustration, et moi j’appelle ça la création culturelle dès la naissance, dès le premier jour, que j’appelle « deux races d’humains », la race des hommes à qui on dit vos pulsions, vos désirs sont légitimes et peuvent être satisfaits immédiatement et celle des femmes à qui ont dit c’est la frustration qui sera votre lot. Donc ce n’est pas naturel vous voyez tout ça, c’est culturel et que ce soit source de violence ça ne m’étonne pas. Je ne dis pas que j’ai un regard tendre sur la nature humaine, je dis qu’elle n’est pas fondamentalement toute mauvaiseté, elle a des possibilités de passer de l’autre bord. Mais on ne peut pas prétendre qu’elle est fondamentalement, et dès l’origine uniquement tournée vers la prédation.

O. Douville : Mais vous dites que ce n'est pas avec les lorgnons du manichéisme qu'on peut réfléchir sur la nature humaine.

F. Héritier : Non on ne peut pas réfléchir avec les lorgnons du manichéisme, simplement je dis qu'il y a toujours cette possibilité de devenir un prédateur, mais que tous les hommes ne naissent pas prédateurs.

O. Douville : D’accord, mais là ce que vous nous avez amené, c'est qu'il y a l'argument anthropologique, qui consistera toujours à dire que la nature humaine est beaucoup plus complexe que ce à quoi on la réduit pour légitimer les rapports de domination et des injustices. C'est cela au fond qui est peut-être la pierre de touche entre trois thèmes, l'anthropologie, la politique et l'éthique.

F. Héritier : Oui, la nature humaine est nécessairement plus complexe, l'éthique là, pour moi c'est effectivement la recherche de ce niveau où tous les humains peuvent s'entendre en disant que certaines choses sont admissibles et d'autres inadmissibles, que certaines choses sont tolérables et d'autres intolérables. Il y a un certain nombre de points, sur lesquels, un consensus universel pourrait être atteint.

O. Douville : Et l'anthropologie à-t-elle là une part à jouer ?

F. Héritier : Je pense !

O. Douville : Quel serait son argument pour jouer son rôle dans cette partition ?

F. Héritier : Alors là, je ne sais pas. Je ne sais pas si vous entendez son rôle institutionnel, elle n'en aura jamais, bon pas plus que les autres disciplines demandent un rôle institutionnel. Je veux dire de s'inscrire dans la politique, mais peut-être des individus avec des ambitions et des idéaux politiques. Donc, l'anthropologie ne sera jamais partie prenante sur le plan politique pour la création d'une éthique universelle. Mais elle peut faire entendre sa voix, ça veut dire faire état de ses connaissances, pour montrer justement les absences. Les présences sont très faciles à envisager, ce qui est beaucoup plus difficile, c'est les absences.

O. Douville : Les présences ?

F. Héritier : Prenons, par exemple, je parlais au début des systèmes de parenté. Les systèmes de parenté s'accompagnent de toute une série d'autres règles, notamment dans la résidence. Des résidences, vous pouvez avoir, par exemple des résidences patrilocales chez le père, virilocales chez l'époux, l'uxorilocal ça arrive, avunculocal chez l'oncle maternel, mais vous n'avez jamais de résidence chez la tante paternelle. Mais il y en a jamais chez Amita, la sœur du père, ça peut paraître anecdotique, ce n'est rien, mais moi mon problème, c'est pourquoi est-ce que ce n'est pas possible.
Donc, la chose intéressante du point de vue de l'anthropologie, c'est d'une part qu'elle rend compte de ce qui existe, mais elle essaye d'expliquer pourquoi certaines possibilités, comme les fameuses possibilités logiques de la filiation, certaines possibilités dont j'ai parlé tout à l'heure n'existent pas. Les raisons pour lesquelles elles n'existent pas sont celles qui vous font comprendre pourquoi le reste existe.
J'ai été vraiment entourée d'enfants, je n'ai pas vu dans les villages où je travaillais, je dis bien, moi je vivais dans les sociétés traditionnelles, dans les villages, j'ai rarement vu des formes de violence collective, par exemple d'enfants qui s'acharnent sur un autre. Ce que j'ai vu c'est sous la forme ludique, c'est-à-dire des jeux dont on ne voit pas particulièrement l'agrément, mais bon ce sont les jeux locaux comme on en avait nous quand on était gosses. Vous êtes en groupe par exemple, puis selon les règles du jeu, il y en a un qui, un peu comme nos chaises tournantes, il y en a un qui va se trouver exclu et tous les autres vont lui donner un coup de badine. Alors c'est de la violence, mais c'est de la violence ludique, parce que celui qui a reçu le coup de badine à ce tour du jeu sera aussi celui qui donnera le coup de badine au tour d'après. Ce n’est pas toujours le même qui est exclu du jeu. Je n'ai pas vu, ni de grande bagarre entre enfant, ni de violence parent/enfant, et encore moins d'enfant sur les parents, là ce serait vraiment des modes impensables. Ce serait comme si la rivière remontait son cours.
Alors il se trouve que les choses sont extrêmement réglées, et que notamment on leur apprend très tôt la lutte, mais la lutte ça fait partie de ces domaines de prestige où l’on doit exceller. On ne peut défier que dans sa catégorie d'âge, mais dans sa catégorie d'âge il peut il y avoir des différences de poids, alors la différence de poids est moindre. On la prend en considération, c’est-à-dire que si un grand costaud s'en prend à un petit maigre ça serait mal vu, mais du fait qu'ils soient dans la même catégorie d'âge, c'est sur trois ans, disons que ça pourrait passer. Donc on apprend les règles pour se défier, la façon de se présenter, la façon de tourner autour de l'adversaire, la façon de conduire la lutte, de se relever… enfin il y a tout un rituel autour, qui d'une certaine manière, j'allais dire qui canalise des formes de violence, parce qu'ensuite c'est peut-être des individus qui ne s'aiment pas qui vont se défier, mais ça va passer par un canal qui est un canal extrêmement codifié et en présence d'un public.
Parce qu'on a perdu le sens du collectif, ça me paraît vraiment quelque chose d'extrêmement important. Il n'y a plus que l'individu, livré à lui-même, ou livré à son entourage propre, proche, c'est-à-dire le conjoint et l'enfant, et donc il n'y a plus cette immersion dans le groupe. Quand je vous disais de ces enfants africains, Samos, qui sont éjectés de la couche de leur mère quand naît le suivant, ils sont jaloux mais, ils vont être prit en charge par une trentaine d'enfants qui vont les entraîner avec eux dans leurs occupations de tous les jours.

O. Douville : Donc ils ne se sentent pas détruits.

F. Héritier : Ils ne sont pas détruits. On a obtenu que des mesures sur l'individu et la famille élémentaire, et pas du tout favorisant la famille élargie. C'est extrêmement difficile de trouver des appartements où vous pouvez vivre avec les grands-parents. Donc on a tout fait, tout fait depuis des générations pour appuyer dans ce sens là. Je ne pense pas que ce soit une évolution irréversible. Parce que je vous dis, le propre de l'humanité, c'est de créer de nouvelles institutions, et quand elle court à sa perte avec des institutions qui ne conviennent pas, eh bien elle les change. Je pense qu'il y aura des élans de sagesse, peut être qui se produiront, mais je suis très optimiste de nature.

Martine MENES : La verlangue prend-t-elle la psychanalyse à l’envers ?

$
0
0

La verlangue prend-t-elle la psychanalyse à l’envers ?*





Martine Menès[1] 



 





Une nouvelle langue ?



J’emploie ce mot de verlangue, condensé de verlan et de langue, afin de désigner une langue qui n’a pas de nom, pas d’existence officielle, pas d’orthographe ; elle est exclusivement orale, et si elle passe à l’écrit, c’est le plus souvent sous forme homophonique[2], ce qui probablement met la métonymie au premier plan. Mais je ne fais qu’évoquer ce point qui demanderait une étude sérieuse, conjointement linguistique et psychanalytique. Ma question présente est d’explorer si la verlangue introduit une révolution dans la langue, ou bien si elle est simplement une modalité moderne du discours du maître ?

La verlangue n’est ni du verlan, ni de l’argot, ni une langue étrangère identifiable, ni du patois. C’est un mélange créatif de tout cela, en perpétuel changement, et cependant répondant à des règles linguistiques implicites, multiples, comparables en tout point à celles du langage à l’endroit. Le héros du film : Dernier étage gauche, gauche (toute ressemblance avec une position politique n’est sûrement pas fortuite), d’Angelo Cianci, l’utilise si largement qu’il a été impossible de les retranscrire. Impossible, je souligne, serions-nous à la porte du réel ? Le scénariste s’est contenté d’indiquer aux acteurs les attendus des scènes et ils ont improvisé dans cette verlangue. Ces passages du film sortent avec des sous-titres car ils sont peu ou pas compréhensibles. Et pourtant, cette verlangue, dans ses différences et sa fluctuation permanente, existe depuis plus de 30 ans, voire 40 aux États-Unis. Autrement dit, elle est déjà parlée par une deuxième génération et ne se limite pas, comme on le croit couramment, aux cités et aux banlieues où elle s’est développée sur le terreau d’un monde en équilibre instable entre exil et précarité, entre tradition et oubli, entre intégration et exclusion, entre passé muet et futur aveugle.

Beaucoup de travaux de sociologues portent sur la question des banlieues en général, et ceux de linguistes sur ce qu’ils appellent selon leur opinion préalable : le langage des jeunes[3], la langue des banlieues, ou le français contemporain[4], non sans ajouter alors : des cités. Le n° 34 du Journal français de psychiatrie, consacré à “La clinique des banlieues”, s’y réfère explicitement dans un article, et l’évoque comme facteur, mais symptomatique, dans deux ou trois autres.

Cette langue des rues – tous les sociolinguistes s’accordent sur cette spécificité, c’est une langue du dehors – se complexifie, se pérennise et s’étend jusqu’à la culture ambiante :

- à la télévision : dans de très bons téléfilms[5], diffusés l’été 2010, dont Conte de la frustration coréalisé par Akhenaton, qui est un rappeur ;

- au cinéma : outre, donc, dans Dernier étage, gauche, gauche, où elle a une place de choix, on la trouve dans Entre les murs de Laurent Cantet (d’après et avec François Bégaudeau), chronique de la vie d’une classe du XXearrondissement ; dans L’Esquived’Abdellatif Kechiche, où une décidée « prof » de français fait jouer à ses élèves Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, pièce fort d’actualité où il est question de la difficulté à échapper aux normes et règles de sa classe d’origine, et pourtant c’est ce qu’elle leur propose, cette enseignante, tandis que dans un contrôle policier musclé, une « fliquette » arrache le livre à Frida, une des jeunes actrices, et le jette à terre en hurlant « Qu’est-ce que tu caches là-dedans ? » Voilà qui rappelle La princesse de Clèves, connais pas

- et bien sûr au rap, j’y reviendrai.

La verlangue n’est pas forcément signe de déficit linguistique comme il est dit habituellement en déplorant la pauvreté de langage des jeunes. C’est même parfois le contraire. Une des premières recherches menée par William Labov[6]a démontré que si les adolescents de Harlem connaissent des échecs scolaires, ce n’est pas parce qu’ils sont moins intelligents que les autres élèves, comme l’affirmaient certaines thèses racistes de l’époque, mais parce qu’ils utilisent une variété de l’anglais très différente de la norme scolaire : le Black English Vernacular (BEV). Leurs problèmes ne sont donc pas liés à leurs capacités linguistiques : au contraire, ils développent une culture hautement verbale. Le langage est même un moyen de reconnaissance sociale : les leaders des gangs sont les locuteurs qui parlent l’anglais du ghetto le plus pur, le plus en rupture avec la norme du Standard English (SE). Ils sont reconnus comme étant les plus habiles pour raconter des histoires et ils manient avec dextérité les insultes rituelles qui ont une grande importance dans la culture des rues.[7]Il est vrai que cette étude date d’environ 30 ans, mais le débat continue entre ceux qui considèrent la verlangue, comme dans l’introduction au Dico de la banlieue, « étonnamment fertile …, un volcan bouillonnant dont la lave serait faite de métaphores et de pépites linguistiques », ceux qui la considèrent comme « un usage générationnel et très localisé du français … qui n’est pas un refus de la langue française … mais un français modifié[8] » et ceux qui craignent que la fracture linguistique renforce la fracture sociale[9]. Il y a aussi ceux, dans le champ de la psychologie considéré de manière élargie cette fois-ci, qui confondent le fait de prendre le français de l’école à la lettre, précisément à cause du manque d’usage du français standard – il y a dans le film une jolie scène dans laquelle l’otage demande au jeune garçon de lui parler en français commun, ce que celui-ci fait mais de façon hésitante, et surtout il y perd le rythme et la mélopée de sa parole – avec un trouble du langage typique d’une position psychique. Toute une frange de la population se voit ainsi soupçonnée de psychose généralisée, ce sans vraiment d’appui clinique car ladite frange ne se retrouve qu’exceptionnellement sur le divan d’un psychanalyste.



Verlangue et psychanalyse



Et puis, entre nos murs à nous ? Un bref sondage auprès des plus jeunes m’a fait découvrir – à ma grande surprise – que s’ils ne parlaient pas couramment la verlangue, au moins en comprenaient-ils l’essentiel. De jeunes étudiants ont listé pour moi l’ensemble des mots et expressions qu’ils utilisent sans y penser, qui sont donc entrés dans le langage usuel. Je me suis aperçue à cette occasion que je pouvais moi-même utiliser quelques-uns de ces mots ou quelques-unes de ces expressions, ceux et celles qui viennent directement de l’argot classique et, oh surprise ! de la langue tzigane : « chouraver », « grailler », par exemple.

Cette langue nouvelle apparait donc d’abord dans les années 1970 aux États-Unis avant de nous arriver par-dessus l’Atlantique avec le rap. Terme condensé de Rythm and Poetry et de Rock Against Police,je dois l’information à Corinne Tyzsler[10]. Dans le fond, cette condensation annonce la couleur : le rap est against, contre : dénonciation de la pauvreté, de l’exploitation, de l’exclusion, protestation devant un avenir sans espoir, mais il est aussi poetry, poésie, mise en mots, mise en musique et création littéraire et symbolique. Car le rap comme poème parle, « il parle, toujours, de la circonstance qui, proprement, le concerne[11]». Il parle donc de la vie dans sa crudité mélancolique et dans sa solitude profonde. Il essaie de pallier à la rupture de transmission, qui transforment les jeunes pas tant en orphelins qu’en créatures auto-engendrées, à l’image des Pokémons dont le succès tient sans doute à cette particularité.

Précisément c’est dans cette division entre révolte et création que la verlangue présente pour les psychanalystes un intérêt. Enfin peut-être… Les rappeurs, eux, n’ignorent pas la psychanalyse, au moins ses signifiants sinon sa pratique. Un des albums de Soprano s’appelle Psychanalyse, part 1 et le suivant Après la psychanalyse. Une de ses chansons s’appelle Le Divan, le refrain est évocateur : « Je colectione les PV à force de stationer du movais côté de la vie… », le tout écrit de façon syllabique. Le signifiant apparaît dans le texte d’une chanson du groupe Tandem :        



« J’avais 16 ans quand j’ai morflé,

Quand je surfais sur les vagues où des frères se sont noyés.

J’ai la musique pour évacuer ma rage.

C’est ma psychanalyse,

Celle qui m’analyse quand je vais mal. »

Plus crue et même inacceptable, je ne citerai pas le texte de la chanson intitulée Inconscient par le rappeur La Fouine, qui cumule racisme, sexisme, violence. Cet Inconscient est un exemple du virage de la protestation à la provocation, de l’usage impudique de signifiant-maître dés-éthique-té(néologisme emprunté). L’« autre » féminin y recueille le pire des obscénités du sexuel mis à cru.

Verlangue, invention ou discours du maître ?

Le signifiant-maître, d’être à l’envers, est-il pour autant moins présent ? Point du tout, et l’on entend bien que consommer, maître mot du discours capitaliste, est respecté jusque dans ses connotations brutes, y compris celles d’un usage sexuel sans médiation. La verlangue est bien l’envers du Discours de l’Analyste, comme n’importe quel discours du maître. Faute de clinique du singulier, je me contente de faire des hypothèses à partir des fictions à ma disposition. Dans le film Dernier étage, par exemple, l’on peut déduire l’orientation par le plus commun des signifiants-maîtres, le S1 phallique, dans ce qui finalement, au-delà de la dénonciation sociale, en fait le cœur : la relation père-fils. Thème récurrent des films de la rentrée 2010 (voir L’Homme qui crie), effet de répercussion du malaise dans le patriarcat ? Je laisse de côté cette question annexe. Le jeune héros se révolte contre un père qui affiche trop les stigmates de sa castration : chômage, accumulation de dettes, silence prudent devant sa femme… Il est à la recherche, comme le névrosé classique, d’un père idéal qui serait l’exception, x non phi de x, ce qui lui laisse pour lui-même un espoir. Et comme l’on pouvait s’y attendre, la figure du grand-frère, ou celle du grand dealer, s’y prête. Autant dans l’esbroufe l’un que l’autre d’ailleurs : le frère qui a réussi, avocat, est incapable de sortir sa famille du pétrin ; le dealer qui annonce une horde sauvage venant délivrer le malchanceux héros arrive tout seul dans la cité… Bref, le fils se mesure, tout comme dans la Trilogie de Claudel, à l’aune du père humilié avant de s’affronter au héros qui se révèle dans le père. Bien sûr, un père ne fait pas le phallus, pas plus que le nuage ne fait la pluie, mais enfin il l’annonce à l’horizon. Bref, le père n’est jamais à la hauteur, c’est un fait de structure et une lamentation de névrosé dont Platon se faisait déjà le porte-parole au IVe siècle av. J.-C. :



« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves…, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux l’autorité de personne, alors c’est là … le début de la tyrannie[12]. »

Il y a un autre indice de la présence surmoïque de signifiant-maître ordonnant, dans tous les sens du terme. C’est la honte. Est-elle devenue, comme le développe Colette Soler[13], sœur de l’impudence, corrélative à une dégénérescence du signifiant-maître ? Certes, lorsque l’on entend un banlieusard, pas du neuf-trois mais de la chic banlieue ouest, vociférer lorsqu’il se promène dans la banlieue voisine, chez l’autre donc, le petit autre : « racaille ». Ce mot de Sarkozy, « racaille », prononcé le 25 octobre 2005 à Argenteuil, révèle le pouvoir du signifiant-maître avec des conséquences d’autant plus dévastatrices que prononcé par un maître qui s’y connaît dans l’art d’enflammer les quartiers. C’est dire que, si honte il y a, elle n’est pas à sa place.

Je prends un autre exemple, moins connu : Medhi, rencontré dans un groupe de lecture de l’Odyssée accueillant des jeunes Ulysses, autant têtes brûlées et pas moins chanceux. Douze ans, il redouble la sixième malgré un niveau culturel élevé, il est bilingue. Son père diplomate nigérien ne parle qu’anglais. Mehdi a déjà beaucoup voyagé, il connaît quantité de choses, il est de loin le plus instruit de notre petite troupe mais il ne produit aucun travail susceptible d’être évalué. Pas question de se soumettre au jugement. Il vit sa vie de petit caïd, rackettant, menaçant, insultant, le tout sans la moindre culpabilité. Par contre, la honte, comme il dit : il l’a. Il l’a pour ce qu’il est : pas assez grand, pas assez blanc, ou pas assez noir tout pareil ; pas assez protégé, ni par les mensonges du sens, ni par les mirages de l’image, pas assez séparé de la facticité de son être. Les traits idéaux, I(A), qui identifient le sujet, prendraient-ils le pas sur le signifiant S1 qui le représente ? La culpabilité est la compagne du désir, la honte est celle de la jouissance. Cette honte postmoderne serait-elle l’affect dégradé sous des signifiants-maîtres faisant moins lien social qu’idéal totémique ? Lacan qui a introduit cette « honte nouvelle » dans la dernière leçon de L’Enversde la psychanalyse la corrèle à la « vie nue », comme dirait Agamben, soit à ce qu’il y a de plus réel dans l’existence, en précisant qu’il s’agit d’une honte de vivre précisément cette vie qui apparaît sans les faux-semblants nécessaires, et où les réalités sexuelles, sous la houlette de la mort, avancent à visage découvert. Une vie réduite à la fonction d’exister, sans grande médiation devant le hasard de l’être, et dont on se protège du tranchant précaire en s’agglutinant aux semblables. Cet éclatement des registres peut-on aller jusqu’à parler d’une hypertrophie du rond du réel dans les nœuds borroméens ? se retrouve dans l’usage de la verlangue avec une dissociation des niveaux de discours. Je me réfère aux travaux de Marilia Armorim qui constate une désintrication des trois formes du savoir[14]constituant le discours : le logos, démonstratif où la vérité loge dans l’énoncé, le mythos, narratif où la vérité loge dans l’énonciation, et la métis, pratique, efficace, où la vérité loge dans l’acte. Dans la verlangue, domine le vecteur métis commandé par la priorité de survie et où le langage est essentiellement utilisé dans sa fonction agissante.

Dans un des lexiques sur la langue des banlieues, la honte, c’est « la ficha », c’est-à-dire : « ça fiche », à l’envers. Il n’en reste finalement que le fait de la subir, même pas la peine de préciser ce qui est en jeu, la honte. Ficha donc, d’être pris pour un « baltringue » (bouffon, bon à rien), un « boloss » (un looser) – je pourrais ici parler de la montre qu’il faudrait avoir pour n’en être pas un… – autant de traits qui fixent un effet d’être qu’il ne faudrait pas. C’est plus souvent l’autre qui « fout la honte » que soi-même qui risque d’en mourir. L’usage de l’insulte sert d’ailleurs à s’en protéger en la laissant résolument côté autre. On est loin du « discours sans paroles » qui caractérise le discours de l’analyste. Mais il y a le versant poetry. Va-t-elle sauver la verlangue de la honte en touchant à la force du réel sans se laisser engloutir par son obscénité ? Ce qu’elle a de relativement nouveau par rapport aux autres inventions linguistiques est sa frappe par l’énonciation. Elle se chantonne, se module, est sonorisée, pulsée par le locuteur qui lui donne son souffle propre, la re/crée pour et par lui-même. Il est, de ce fait, extérieur à l’énoncé qui ne le représente pas tout.

C’est, me semble-t-il, ce qui démarque la verlangue de la métalangue qu’est, dit Lacan dans « l’insu que sait de l’une-bévue, s’aile a mourre » – énonciation « rappeuse » s’il en est – « toute langue nouvelle… qui se forme sur le modèle de l’ancienne, c’est-à-dire qui est ratée » (“Leçon du 8 mars 1977”, inédit). Il faut constater que les projets politiques partant du fait que le signifiant est autonome, que c’est le sujet qui ne l’est pas puisqu’assujetti aux dits signifiants, qui ont tenté partant de cette constatation de subvertir le sujet par la transformation des signifiants-maîtres qui le déterminent, ont relativement échoué. Les situationnistes ont abandonné au bout de 10 ans, léguant leur utopie à la révolution de 68 dont pourtant ils n’attendaient pas grand-chose. Et du MLF, plus subversif de ce point de vue, que reste-t-il dans la condition, comme on dit, des femmes début XXIe siècle, aussi précaire, ravalée et exploitée qu’au début du XIXe, et ce avec beaucoup moins de bouquets de roses ? Lacan lui-même, le 15 mars 1977 dans la leçon suivante de l’insu…, essaie de féminiser la langue : « … ce qu’on appelle des auditrices » mais immédiatement il ajoute : « et je ne vois pas pourquoi je mettrais ce terme au féminin puisque ça n’a pas de sens, ça n’a pas de sens valable. » Pourtant Lacan ne reculait pas devant l’invention de signifiants nouveaux : « parlêtre », « LOM », « lalangue », « varité », « poubellication »… cherchant à serrer l’impossible. Marcel Bénabou, oulipien renommé, a ainsi répertorié 789 néologismes lacaniens ! Lacan attendait une ouverture au réel en créant des mots qui pourraient rendre compte de l’équivoque, des significations variables, sans recours au sens. La verlanguefait l’inverse, elle crée des mots variables pour rendre compte d’un sens unique. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles elle est inanalysée si non inanalysable, en tout cas par la voie, v-o-i-e, du sens. Mais il reste la voix, v-o-i-x, de l’énonciation. Sans doute est-ce par là que l’analyste pourrait y entendre du nouveau.

Mais encore un effort pour, comme y invite Lacan dans la “Leçon du 17 mai” de l’Insu…, s’ouvrir à l’inédit : « Pourquoi est-ce qu’on n’inventerait pas un signifiant nouveau ? Nos signifiants sont toujours reçus. Un signifiant par exemple qui n’aurait, comme le réel, aucune espèce de sens. On ne sait pas, ce serait peut-être fécond… » Lacan regrette de ne pas y arriver, « je ne suis pas pouatassez », dit-il à la fin de cette leçon. Ce n’est pas l’avis de tous ses lecteurs, et pas seulement chez les psychanalystes. Barbara Cassin, dans sa leçon sur L’Étourdit[15], reconnaît dans ce « texte en langue, et même en sur- ou en méta-français, porteur d’une position quant à la parole… » une tentative réussie de parler réel, ce qui est tout à fait différent de parler vrai.

Lacan serait-il oulipien, comme le proposait Jacques Adam à Cerisy en 2001 ?[16]Queneau, qui lui l’était sans aucun doute, a buté devant l’« invalidité » du langage relevé par Lacan à propos de la féminisation des mots, devant ce « quelque chose que le sujet ne parvient pas à dire, et n’y est jamais parvenu », concluant que personne n’y parviendra jamais. Alors plutôt Lacan situationniste ? Et pourquoi ne pas espérer comme Mustapha Khayati, auteur des Mots captifs, militant politique et penseur situationniste pour un temps, faire éclater le sens car, « les mots ne cesseront pas de travailler tant que les hommes n’auront pas cessé de le faire ». Et Lacan, lui, n’a jamais cessé.




* Ce texte est issu d’une intervention faite au Séminaire « Champ lacanien » de l’EPFCL (École de psychanalyse des Forums du Champ lacanien) le 18 novembre 2010.
[1] Psychanalyste, Paris, École de psychanalyse des Forums du Champ lacanien.
[2] Elle est cependant entrée en littérature, par exemple avec Kiffe, kiffe, demain de Faïza Guène, sorti en 2004, vendu à 350 000 exemplaires et traduit en 22 langues. Difficile de continuer à parler d’un phénomène marginal…
[3] François Dubet, sociologue.
[4] Alain Rey, lexicologue.
[5]Conte de la frustration, de Didier D. Daarwinn et Akhenaton ; Tenir tête, de Julia Cordonnier, pour les meilleurs de ceux que j’ai pu voir.
[6] Labov William, Le Parler ordinaire, 1978, Minuit.
[7] Informations issues d’un article de François Perea, université Montpellier III, à paraître dans La Lettre de l’enfant et de l’adolescent, revue du Grape, Érès.
[8] La lettre de l’enfance et de l’adolescence, L’enfant et le religieux, n° 74, 2008, Entretien avec Alain Rey.
[9] Jean-Pierre Goudailler, Comment tu tchatches !, 2001, Maisonneuve et Larose.
[10] Corinne Tyszler, « Entre rap et slam : un souffle nouveau dans la langue ? », 2e trimestre 2009, JFP n° 34, Érès.
[11] Celan Paul, Le Méridien, Fata Morgana, 1995.
[12] Platon, République, VIII, 562b-563e.
[13] Soler Colette, Les Affects, Paris, PUF, 2011.
[14] Amorim M., Raconter, démontrer,… survivre. Formes de savoir et de discours dans la culture contemporaine, Paris ; 2007, Érès.
[15] Alain Badiou, Barbara Cassin, Il n’y a pas de rapport sexuel, Deux leçons sur « L’étourdit » de Lacan, Fayard, 2010.

[16] Lacan dans le siècle. Colloque de Cerisy,Centenaire de la naissance de Lacan, Éditions du Champ lacanien,Paris, 2002.

Le FN lance un appel aux « intellectuels de gauche » LE MONDE | 25.09.2015 à 12h09 •

$
0
0

Le FN lance un appel aux « intellectuels de gauche »
LE MONDE | 25.09.2015 à 12h09 • Mis à jour le 25.09.2015 à 15h53 | Par Olivier Faye

Jusqu’à présent, le Front national niait toute volonté de récupérer les intellectuels qui participeraient, selon lui, de ses idées. « Je suis contre cette technique qui consiste à essayer de capter un écrivain pour en faire un porte-parole de campagne », assurait encore récemment Marine Le Pen. La donne a changé, visiblement. Par la voix de Bertrand Dutheil de La Rochère, trésorier du Rassemblement Bleu Marine, le parti d’extrême droite vient d’adresser, jeudi 24 septembre, un appel au dialogue à l’endroit des différents intellectuels qui doivent se réunir, le 20 octobre, salle de la Mutualité, à Paris, autour du philosophe Michel Onfray.
Régis Debray, Alain Finkielkraut, Jean-François Kahn ou encore Jean-Pierre Chevènement sont annoncés comme participants à cet événement organisé par l’hebdomadaire Marianne. Accusé de servir de marchepied au FN, M. Onfray, issu de la gauche radicale, s’est récemment rangé aux vues de l’économiste Jacques Sapir, pour qui une alliance des souverainistes de gauche et de droite, dont le Front national, était « une bonne idée ». Le philosophe précisait néanmoins ces derniers jours à propos de la présidente du FN : « La rencontrer, il n’en est pas question. »
Lire aussi : Sapir, Onfray... ces intellectuels dont s’entiche le FN
Dans une tribune intitulée « Aux intellectuels de gauche qui se veulent toujours de gauche », M. Dutheil de La Rochère, qui a rejoint Marine Le Pen en 2011 en provenance du MRC de M. Chevènement, félicite ces différents penseurs. « A la “Mutu”, lieu mythique de la gauche, vous dénoncerez la trahison de tous ces partis qui se réclament encore de la gauche, écrit-il. Vous vous situez dans la longue tradition des intellectuels français qui ont préfiguré les grands mouvements historiques de la nation. » Et le « mouvement historique » qui serait aujourd’hui en marche doit, selon lui, trouver un « débouché ». Débouché qui n’est autre, bien sûr, que le Front national. « Le peuple a tranché. Marine Le Pen a déjà réuni plus du quart des suffrages sur son nom », avance M. Dutheil de La Rochère.
Ces intellectuels « qui regardent le réel »
Le cacique frontiste reste, néanmoins, prudent : « S’ils m’invitent au meeting du 20 octobre, j’irai, mais je ne m’imposerai pas. Je leur demande de réfléchir », plaide-t-il. La présence d’un dirigeant de premier plan du Front national, comme Marine Le Pen ou Florian Philippot, au rendez-vous de la Mutualité semble improbable.
Le 6 septembre, dans son discours de clôture de l’université d’été du FN, à Marseille, Marine Le Pen avait déjà loué le rôle de ces « intellectuels qui regardent le réel ». Mais si la présidente du parti d’extrême droite et son bras droit Florian Philippot ont confié à M. Dutheil de La Rochère le soin d’écrire cette tribune adressée à des intellectuels classés à gauche, ce n’est pas un hasard. L’homme, âgé de 69 ans, a longtemps milité à gauche. Il a été le collaborateur de Jean-Pierre Chevènement à l’Assemblée nationale entre 1991 et 1995, après avoir travaillé au cabinet du chevénementiste George Sarre au ministère des transports.
« Nous n’oublions pas la tribune délirante publiée par M. Onfray »
Au-delà de cette tentative de récupération, qui permet au Front national d’exister dans le débat, le parti de Marine Le Pen s’appuie sur ce type d’initiative pour tenter d’imposer l’idée qu’il n’est pas d’extrême droite, mais « ni de droite ni de gauche ». Une ouverture vers des personnalités de gauche qui suscite quelques tiraillements dans la frange la plus traditionnelle du parti. « Nous n’oublions pas la tribune délirante publiée par M. Onfray dans Le Monde le 10 décembre 2013 dans laquelle il affirmait : “Un électeur du FN historique trouve son compte au discours raciste et racial des tenants de l’apartheid” », a, par exemple, écrit Bruno Gollnisch, lundi sur son blog. Cela n’empêche pas le fidèle soutien de Jean-Marie Le Pen de se réjouir du rôle joué par ces intellectuels dans le débat. « Le plus important reste que M. Onfray et d’autres adversaires affichés du FN, plus ou moins virulents, contribuent par leurs critiques de la politique actuelle à ébranler les bases de ce système inique », estime M. Gollnisch. Une remarque qui vaut toutes les tentatives de récupération.
•    Olivier Faye

Freud et l’alcool : quelques citations commentées

$
0
0



Freud et l’alcool : quelques citations commentées
Par Catherine Rioult et  Olivier Douville
Cet article présente quelques notations de Freud sur l’addiction, commentées
Mots clés
Addiction ; alcool ; psychanalyse freudienne.
Freud n’a jamais conçu de théorie générale concernant l’alcoolisme ou la toxicomanie, mais il y fait allusion à plusieurs reprises dans son œuvre, sous formes d’exemples ou de notations. L’alcool ne crée ni le symptôme ni la configuration de la personnalité, il aide, en revanche, à l’apparition de symptômes : telle pourrait être une conclusion toute de prudence bienvenue qui se dégage à la lecture de Freud.

Documents
Freud, dans le manuscrit H, lettre à Fliess datée du 24 janvier 1895, comme il le fera plus tard dans "Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa" (1911), compare le délire de jalousie de l’alcoolique au délire du paranoïaque y établissant un lien commun d’homosexualité inconsciente avec un mécanisme projectif défensif. “ L’alcoolique ne s’avoue jamais que la boisson l’a rendu impuissant. Quelle que soit la quantité d’alcool qu’il supporte, il rejette cette notion intolérable. C’est la femme qui est responsable, d’où délire de jalousie, etc. ”. Dans une autre lettre à Fliess datée du 22 décembre 1897, il qualifie l’alcoolisme d’équivalent masturbatoire : “ La masturbation est la seule grande habitude, le "besoin primitif", et les autres appétits tels que le besoin d’alcool, de morphine, de tabac, n’en sont que des substitutifs, des produits de remplacement ”.

Un des premiers textes majeurs où Freud s’approche du phénomène addicitf est l’article de 1898 intitulé "La sexualité dans l’étiologie des névroses". Par le parallèle établi avec la masturbation Freud met en valeur le caractère névrotique de l’accoutumance. On trouve tout un développement sur les façons névrotiques et compulsives d’habituer le familier, de se créer un lien exclusif avec une substance devenue familière. Aussi les cures d’abstinence qui ne visent qu’à supprimer l’agent narcotique sont, selon Freud, vouées à l’échec. Citons : “ "Accoutumance" n’est qu’une simple façon de parler sans valeur explicative ; tous ceux qui ont l’occasion de prendre pendant un certain temps de la morphine de la cocaïne, du chloral et autres n’acquièrent pas de ce fait "l’appétence" pour ces choses. Une investigation plus précise démontre en règle générale que ces narcotiques sont destinés à jouer le rôle de substituts – directement ou par voie détournée – de la jouissance sexuelle manquante, et là où ne peut plus s’instaurer une vie sexuelle normale, on peut s’attendre avec certitude à la rechute du désintoxiqué ”.
Avec Les trois essais sur la sexualité (1904), il fixe l’origine de l’alcoolisme à “ une forte fixation de la libido au stade oral ” et, qualifiant les pulsions sexuelles en jeu chez l’alcoolique, il évoque l’auto-érotisme dans lequel la pulsion trouve satisfaction à son point de naissance, sans détour par l’objet. Ces principes de base ont été repris par différents psychanalystes (S. Ferenczi, L. Andréa-Salomé, V. Tausk) ; K. Abraham insistant le plus sur le rôle de cette fixation orale. Cette thèse sera reprise ultérieurement par O. Fenichel qui, en 1945, développe la notion généralisée d’addiction comme une régression à des stades précoces, le Surmoi se trouvant soluble dans l’alcool.
Dans "Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa" (1911), Freud expose afin de mener à bien sa déconstruction de la phrase “ Je l’aime (lui, l’homme) ” les mécanismes du délire de jalousie, en envisageant d’abord le délire alcoolique. “ Le rôle de l’alcool dans cette affection est des plus compréhensibles. Nous le savons : l’alcool lève les inhibitions et annihile les sublimations. Assez souvent, c’est après avoir été déçu par une femme que l’homme est poussé à boire, mais cela signifie qu’en général il revient au cabaret et à la compagnie des hommes qui lui procurent alors la satisfaction sentimentale lui ayant fait défaut, à domicile, auprès d’une femme ”. Freud parle de l’alcool comme d’une substance levant les inhibitions et annihilant les sublimations, permettant l’émergence des pulsions régressives. L’usage addictif de l’alcool est envisagé dans ses incidences psychopathologiques, le délire alcoolique, tout comme le délire paranoïaque fonctionne en lien avec un fantasme de désir homosexuel chez l’homme. Désir que vient mettre à nu, plus que causer, l’abandon par une femme. 
Dans "Contributions à la psychologie de la vie amoureuse" (1912), Freud compare le lien sexuel qui unit l’alcoolique à la bouteille, au lien amoureux à son objet d’amour : ce dernier est marqué par la poursuite continuelle de la satisfaction par changement d’objet, alors que la relation de l’alcoolique à la bouteille est évoquée comme un modèle de mariage heureux : “ A-t-on jamais entendu que le buveur fût contraint de changer sans cesse de boisson parce qu’il se lasserait bientôt d’une boisson qui resterait la même ? Au contraire, l’accoutumance resserre toujours davantage le lien entre l’homme et la sorte de vin qu’il boit […] Aussi étrange que cela paraisse, je crois que l’on devrait envisager la possibilité que quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle ne soit pas favorable à la réalisation de la pleine satisfaction […] lorsque l’objet originaire d’une motion de désir s’est perdu à la suite d’un refoulement, il est fréquemment représenté par une série infinie d’objets substitutifs, dont aucun ne suffit pleinement. Voilà qui nous expliquerait l’inconsistance dans le choix d’objet, la "faim d’excitation" qui caractérise si fréquemment la vie amoureuse des adultes ”.
En 1927, dans l’Avenir d’une illusion, il évoque pour la première fois la notion d’addiction comme une façon que trouve la vie psychique pour se soustraire à la contrainte de la douleur. C’est non sans esprit qu’il précise encore dans ce texte qui montre les liens entre la névrotisation de la vie quotidienne et le travail de la culture, que “ peut-être celui qui ne souffre d’aucune névrose n’a-t-il pas besoin d’ivresse pour étourdir celle-ci ”. La même année dans son travail sur l’humour il ajoute que “ l’ivresse est un procédé pour échapper à la souffrance, pour substituer le principe de plaisir ou principe de réalité ”.
Terminons ce trop bref panorama avec la remarque suivante extraite de la lettre que Freud adresse à L. Binswanger le 2 avril 1928 : “ Eh bien j’ai toujours été très sobre, presque abstinent, mais j’ai toujours eu beaucoup de respect pour un solide buveur […] Seuls ceux qui arrivent à s’enivrer avec une boisson sans alcool/Dieu, la religion m’ont toujours paru un peu bizarres ”.

En résumé
À travers ces quelques notations on peut conclure que Freud pose les jalons d’un abord clinique de l’alcoolisme dont les principaux points sont :
- l’importance de l’angoisse
- le lien avec la pulsion sexuelle réprimée 
- la régression vers l’oralité
- la recherche d’un objet permanent 
- le rôle défensif de cet acte de boire contre la douleur 
Ce qui a pu ouvrir le champ à un abord, par ailleurs contesté, privilégiant tout ce qui concerne la relation d’objet et le rapport de l’addiction avec les pathologies du narcissisme. Reste que le fil conducteur chez Freud est constitué par le lien entre alcoolisme et sexualité. Il ne propose pas, en revanche, de thèse univoque sur une psychogenèse de l’alcoolisme, qui peut être tenue pour une forme d’automédication du sujet. Le modèle du délire alcoolique lui permettra, par analogie, d’approfondir sa saisie des mécanismes propres au délire paranoïaque et des modes de relation à l’Autre, à autrui et à l’objet que ce délire tente d’équilibrer, par systématisation. La prise d’alcool de façon non contrôlée et addictive est bien le fait de personnes à structures fragiles et pour lesquelles il faut aller voir dans leur histoire ancienne et personnelle ce qui aurait pu manquer.

Références
outre les textes de Freud référés en notes, sont à consulter :
Delrieu, A. : Sigmund Freud Index thématique. Raisonné, alphabétique. chronologique. anthologique, commenté (livres, articles, correspondance, minutes de la société psychanalytique de Vienne), Paris, Anthropos/Economica, 1997.
De Mijolla, A. (dir.) : Dictionnaire International de la Psychanalyse, Paris, Calmann-Lévy, 2002 ; notamment les rubriques "addiction" (rédigée par D. Rosenfeld) et "alcoolisme" (rédigée par J.-P. Descombey).
Jacquet, M.-M. et Rigaud, A. : "Émergence de la notion d’addiction : des approches psychanalytiques aux classifications psychiatriques", Les addictions, (S. Le Poulichet éd.), Paris, PUF, 2000, pp. 11-80.

En octobre 2015, du "Wednesday's Blues" de Joe Newman au "Caruso" d'Aldo Romano, il fait toujours bleu sur Douville's Jazz Radio...

$
0
0

Jazz, Jazz, Jazz... 
Ecouter Douville's Jazz Radio
en cliquant  ici

Plus de 55000 professionnels de la psychologie et ceux qui les consultent ignorés par la commission des affaires sociales du Sénat

$
0
0

Plus de 55000 professionnels de la psychologie et ceux qui les consultent ignorés par la commission des affaires sociales du Sénat
Les sénateurs ont adopté en commission un amendement supprimant le projet psychologique des établissements de santé au motif que "le code de la santé publique ne reconnaît pas de professionnels de la psychologie", comme si ni les patients consultant les psychologues, ni l’article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 définissant le titre de psychologue ni les plus de 55000 psychologues praticiens inscrits sur le répertoire Adeli n’existaient parce que le Code de la santé publique n’y fait pas explicitement référence.
Cet amendement est une injure à la profession de psychologue, à chacun de ses praticiens qui exercent dans tous les champs de la santé publique : soins somatiques, obstétrique, gériatrie, santé au travail, médico-social, éducation, justice, etc., et à tous ceux qui les consultent.
Nous appelons les députés à rétablir la disposition que cet amendement sénatorial vise à supprimer si celui-ci est adopté par les sénateurs en séance et à aller plus loin encore dans la reconnaissance des professionnels de la psychologie que sont les psychologues en dotant la profession des dispositions qui manquent à sa totale reconnaissance comme un code de déontologie opposable adossé à un Haut conseil des psychologues.
J. BORGY, secrétaire général du SNP
Le 24 juillet 2015

Extrait :de la délibération :
Mme Marisol Touraine, députée, a présenté un amendement visant à rétablir, parmi les missions des établissements de santé, la mention de la prise en compte des aspects psychologiques des patients.
Le président Nicolas About, sénateur, et M. Alain Milon, rapporteur pour le Sénat, ont considéré que cette précision ne relève pas des missions des établissements de santé mais de celles des médecins et qu'elle est par ailleurs inutile car évidente.
M. Gilbert Barbier, sénateur, a estimé superfétatoire une telle disposition malgré la pression très forte exercée par les psychologues des établissements de santé pour qu'un tel ajout soit effectué.
A l'inverse, Mmes Catherine Génisson et Catherine Lemorton, députées, ont considéré indispensable que les aspects psychologiques, et également sociaux, des patients soient pris en compte par les établissements de santé.
La commission mixte paritaire a alors rejeté cet amendement.

Jabberwoky : a Lewis Carroll's Poem + début de traduction par Antonin Artaud

$
0
0

Jabberwoky : a Lewis Carroll's Poem

'Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe:
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.

"Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch!"

He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he sought
So rested he by the Tumtum tree,
And stood a while in thought.

And, as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came!

One two! One two! And through and through
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.

"And hast thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
Oh frabjous day! Callooh! Callay!"
He chortled in his joy.

'Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe:
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.

Début de traduction, par Antonin Artaud : 
Il était Roparant, et les Vliqueux tarands
Allaient en gibroyant et en brimbulkdriquant
Jusque-là où la rourghe est à rouarghe à ramgmbde et rangmbde à rouarghambde:
Tous les falomitards étaient les chats-huants
Et les Ghoré Uk'hatis dans le Grabugeument.

Claude Levi-Strauss / Francis Pasche : La magie, le psychanalyste ; controverses

$
0
0


 Deux textes décisifs que l'on trouvera aussi sur le site "histoire de la folie"

Claude Lévi-Strauss. Le sorcier et sa magie. 
Article paru dans la revue « Les Temps Modernes », (Paris), 4ème année, n°41, mars 1949, pp. 385-406.

LE SORCIER ET SA MAGIE
Par Claude Lévi-Strauss

suivi de

Francis Pasche. Le psychanalyste sans magie. 
Article paru dans la revue « Les Temps Modernes », (Paris), 5e année, n°50, 1949, pp. 961-972.En réponse à l’article ci-dessus de C. Lévi-Strauus

LE PSYCHANALYSTE SANS MAGIE
Par Francis Pasche

Pour lire l'ensemble des documents on clique ici



Centre PRIMO LEVI, Communiqué de presse 21 octobre 2015 Torturés au pays, déboutés en France

$
0
0
Communiqué de presse
21 octobre 2015
Torturés au pays, déboutés en France

En réaction au rapport de la Cour des Comptes rendu public mardi 20 octobre et dans le contexte du projet de loi sur le droit des étrangers, le Centre Primo Levi rappelle que parmi les déboutés du droit d’asile se trouvent des personnes qui ont été torturées. Les renvoyer dans leur pays serait, pour la plupart, les renvoyer dans les geôles des dictateurs de ce monde, titre dont Bachar Al-Assad n’a malheureusement pas le monopole.

Le Centre Primo Levi accueille et soigne des hommes, des femmes et des enfants qui ont été victimes de la torture et de la violence politique et qui sont venus trouver refuge en France. Par « torture et violence politique », on entend des violences extrêmes infligées volontairement par un ou des représentants d’un Etat, généralement dans le cadre d’un génocide, d’un régime violemment répressif ou d’une guerre. Contrairement à ce que laissent penser les discours ambiants et les pourcentages d’octroi du statut de réfugié en France, la torture n’est malheureusement pas l’apanage de quelques régimes isolés tels que celui de Bachar Al Assad : d’après le rapport sur la torture publié par l’ACAT[1] en 2014, la torture est pratiquée dans plus d’un pays sur deux.

Or les victimes de la torture et de la violence politique continuent de passer à travers les mailles du filet de l’asile : Eléonore Morel, directrice du Centre Primo Levi, fait remarquer que « 20 à 40% des patients sont déboutés et risquent à tout moment d’être renvoyés dans leur pays ».

Jacques[2], un jeune Soudanais de 19 ans, en est un exemple frappant. Suite à la mort de sa petite amie dans un accident de voiture dont lui ressort indemne, Jacques est menacé par le père, haut gradé de l’armée, et par ses sbires. Il parvient à fuir mais une fois en Belgique, alors qu’enfin son dossier de demande d’asile est presque prêt, il se fait arrêter et renvoyer au Soudan. A peine sorti de l’avion, il est embarqué par la police et immédiatement envoyé en prison. Les tortionnaires ont trouvé sur les réseaux sociaux les photos de manifestations auxquelles il a participé en Belgique. Pendant plus de deux mois, il sera quotidiennement torturé, violé, humilié, menacé de mort. Une fois libéré, il quitte de nouveau son pays, cette fois pour la France, où il dépose une demande d’asile. Débouté de cette demande sous prétexte de n’avoir pas assez de preuves pour étayer son récit, il s’enfonce dans la dépression. Aujourd’hui suivi par un médecin et un psychologue du Centre, il vit dans la terreur d’être une fois encore renvoyé dans son pays. 

Comment est-il possible que ce jeune homme, comme tant d’autres victimes de torture, puisse être débouté ? Voici quelques unes des raisons qui peuvent l’expliquer. Tout d’abord, l’un des effets courants de la torture est d’altérer la mémoire de la victime et sa capacité à parler de son vécu : fournir un récit cohérent (qui plus est pour parler de violences dégradantes touchant souvent à l’intime, devant un officier de protection qu’ils peuvent associer à un officier de police) relève presque de l’impossible pour ces personnes, surtout quand elles viennent d’arriver dans le pays d’accueil et qu’elles sont dans une situation très instable, sans prise en charge médico-psychologique. Rappelons ensuite que l’instruction de la demande d’asile à l’OFPRA[3] se fait sur un unique entretien d’une heure en moyenne, doublé en cas de recours à la CNDA[4] d’une audience de moins d’une heure, sachant que le temps de parole du demandeur est encore réduit si la présence (indispensable) d’un interprète est requise. Pour compléter le tableau, les taux d’admission varient considérablement d’un juge à l’autre : d’après une étude réalisée par Anicet Le Pors, juge de l’asile à la Cour nationale du droit d’asile pendant quatorze ans, le rapport est de 1 à 30. Et contrairement à d’autres juridictions du droit commun, il n’y a contre la CNDA aucun appel possible.

La procédure d’asile est loin d’être infaillible, tout simplement parce qu’elle repose essentiellement sur l’intime conviction des hommes et des femmes en charge de l’examen des demandes. De ce fait, alimenter l’image d’un asile prétendument « dévolu » par de « faux » demandeurs d’asile est dangereux ; conditionner l’accueil des « vraies » personnes en besoin de protection au renvoi de celles qui n’y auraient pas droit l’est encore plus.

CP en pièce jointe.

[1] Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture

[2] Le prénom a été changé

[3] Office français de protection des Réfugiés et Apatrides, organisme placé sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur et chargé de traiter les demandes d’asile

[4] Cour nationale du Droit d’asile



Contact-presse : Joséphine Vuillard – jvuillard@primolevi.org 07 81 60 23 53 / 01 43 14 85 03



A propos du Centre Primo Levi

Créé en 1995, le Centre Primo Levi a pour mission l’accueil et le soin des victimes de torture et de violence politique réfugiées en France. Pour favoriser une reconstruction globale – physique, psychique et sociale – des patients, l’équipe soignante regroupe à la fois des médecins généralistes, des psychologues-psychanalystes, des assistants sociaux et des juristes. Les personnes suivies sont originaires de quelque 90 pays. Parallèlement, le Centre Primo Levi mène seul ou en réseau de nombreuses actions de sensibilisation pour dénoncer le recours à la torture à travers le monde, plaider pour un accès à des soins adaptés pour les victimes et défendre le droit d’asile en France.

Centre Primo Levi – 107 avenue Parmentier – 75011 Paris – www.primolevi.org


Viewing all 1672 articles
Browse latest View live


Latest Images