Madeleine de l'AUBESPINE, (1546-1596) L'on verra s'arrêter le mobile du monde L'on verra s'arrêter le mobile du monde, Les étoiles marcher parmi le firmament, Saturne infortuné luire bénignement, Jupiter commander dedans le creux de l'onde. L'on verra Mars paisible et la clarté féconde Du Soleil s'obscurcir sans force et mouvement, Vénus sans amitié, Stilbon sans changement, Et la Lune en carré changer sa forme ronde, Le feu sera pesant et légère la terre, L'eau sera chaude et sèche et dans l'air qui l'enserre, On verra les poissons voler et se nourrir, Plutôt que mon amour, à vous seul destinée, Se tourne en autre part, car pour vous je fus née, Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir. |
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Madeleine de l'AUBESPINE, L'on verra s'arrêter le mobile du monde
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Lalangue et phénomène élémentaire, ou de quelques significations de la psychiatrie classique pour la psychanalyse Olivier Douville
Lalangue et phénomène élémentaire,
ou de quelques significations de la psychiatrie classique
pour la psychanalyse [1]
Olivier Douville
Ce texte parlera de clinique psychanalytique en milieu psychiatrique. Je travaille régulièrement depuis des années à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard. J’y rencontrai un homme d’une soixantaine d’années, Monsieur I., dont l’existence quotidienne avait ceci de remarquable qu’il passait de longs moments, parfois une à deux heures tôt matin, à peine expédié un petit-déjeuner sommaire, en se postant tout contre la porte du pavillon dans une attitude d’écoute. Il attendait quelque chose, non sans angoisse ; il fit des mois durant mystère de ce qui le mettait ainsi en alerte. Puis, un beau jour – oui, ce fut un beau jour –, il m’entretint de la nature et de la raison de son attente. Il guettait le moment où un oiseau tout particulier entamait ce que je nommerai, pour le moment, un chant. Cet oiseau portait un nom, Monsieur I. l’appelait « pipoulou ». L’attente était longue, pesante, car tant que cet homme n’avait pas entendu le chant de l’oiseau pipoulou, le monde n’était plus qu’un chaos, invivable tant pour lui que pour les autres pensionnaires du pavillon, et de même pour les soignants. L’expérience qu’il éprouvait était alors d’être livré à un magma indifférencié où tout prenait la teinte oppressante et uniforme d’une grisaille. Perte de la vision mentale soulignait Cotard, entendant par là que toute distinction signifiante et sensorielle s’abolit. Absolument morne, ce monde n’était découpé par aucune perspective. Tout bruit, comme toute parole, devenait à Monsieur I. un murmure inhumain et continu et, qui, de plus, semblait pouvoir entrer dans son corps, le traverser de part en part.
Nous conversâmes, lui et moi, de longues heures par semaine durant plus d’un trimestre, ce qui permit une patiente reconstruction de ce vécu du monde ; il me confia alors que seul le chant de cet oiseau qu’il n’a jamais vu et qui n’était pas à voir, que seul ce chant donc était capable de remettre en marche une découpe signifiante dans le monde et une orientation dans ce monde. Pénétré de la gravité croissante de sa mission, convaincu que si pipoulou ne venait pas se présenter à lui, la plausibilité d’un monde vivant et habitable se ruinerait au plus tôt, il se faisait la sentinelle fragile du bruissement de l’oiseau. Un oiseleur rudimentaire et acharné jamais dérisoire. Mais pipoulou chantait-il ? Nullement, Pipoulou parlait, ou plus exactement il alternait dans un coassement espéré des phonèmes dont « Pi », « Pou », et « Lou », mais aussi « Oiseau » et « crac » ou « cric » – de ces dernières onomatopées, nous en verrons plus loin la possible raison. Monsieur I. avait été désigné à mon attention car on ne comprenait pas pourquoi, quelques mois auparavant nos premières entrevues, il avait débuté un épisode franchement mélancolique. L’univers ambiant lui était alors devenu déqualifié, brutalement, et son corps télécommandé devenait masse inerte et énorme, ce qui ne manquait pas d’évoquer le syndrome dit de Cotard, hors, et c’est heureux, le fait que les thématiques d’immortalité n’étaient guère présentes. Les difficultés à situer et à rendre compte de ce démarrage d’un moment de délire mélancolique venaient de ce que Monsieur I. n’avait pas connu de pertes d’êtres proches alors dans ce qu’on appelle la réalité. Sans l’énergique bienveillance de l’équipe infirmière, il aurait pu rester prostré des jours entiers à la porte du jardinet qui, sur son flanc gauche, prolonge le pavillon d’hospitalisation. Un peu remis sur pied, il reprit son rôle de guetteur, l’oiseau se manifesta enfin. Il a pu me dire en quoi le sentiment déchirant que disparaîtrait à jamais cet oiseau l’avait plongé dans un tel état d’affliction. De quoi cet oiseau était-il porteur ? Quelle signification personnelle délivrait-il à cet homme qui rendait ainsi habitable, mais si précairement, l’ambiance du monde ? Telles furent les interrogations qui marquèrent les débuts de la cure. En discutant un peu plus longuement avec Monsieur I., et fidèle au souci auquel je me tiens dans la conversation clinique avec ces hommes et ces femmes dits « patients », j’ai toujours tenu à situer, non pas d’abord ce qui s’est passé dans l’enfance, mais ce qui marque leur expérience du monde, ici et maintenant. Je ne tiens pas que les conflits de l’enfance viendraient ici s’affirmer dans le symptôme présenté à l’âge adulte mais, progressivement et une fois campée une certaine phénoménologie du temps vécu, je tente alors de situer si, dans l’enfance de patients en psychose, on ne rencontre pas ce que les anciens aliénistes avaient désigné comme des phénomènes élémentaires. C’est là une idée qui n’est pas très originale mais qui reste fortement discutée aujourd’hui encore que d’aller chercher la présence de phénomènes élémentaires dans l’enfance d’un sujet ; la plupart du temps, on assure, d’une façon peut-être expéditive, que la présence de phénomènes élémentaires ne concerne en rien l’âge tendre et que c’est dans les moments de l’âge adulte qu’il convient d’en explorer le surgissement initial.
Précisons. La notion de phénomènes élémentaires est une notion qui était assez ancienne dans la psychiatrie. Si l’on compulse les écrits de Falret, de Séglas, de Capgras ou encore ceux de Lasègue ou de Morel, les descriptions de tels phénomènes convergent : des sujets sont pris dans une éclaboussure sonore qui les sidérer, qui les alerte, dont ils se font en quelque sorte l’interlocuteur, pas nécessairement suspicieux, encore que cela puisse arriver, mais électif. Ce sera dans la psychiatrie allemande que la notion de phénomènes élémentaires va trouver son statut et son essor. Une part de la psychiatrie allemande va contrer les thèses kraepeliniennes – ce qui explique pourquoi la phénoménologie a eu beaucoup d’importance, en ce qu’elle a quelque chose d’anti-kraepelinien –, en essayant de considérer le cours d’une maladie et le cours des significations personnelles qu’un sujet donne à ce qui lui arrive, et en particulier cette psychiatrie tient pour décisif dans l’examen clinique de mettre en évidence une signification personnelle ; c’est un point qui est extrêmement développé dans le traité de psychopathologie de Karl Jaspers sous le nom « d’expérience délirante primaire ».
Cette notion de « phénomène élémentaire » a été utilisée par Lacan dans sa thèse sur la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité ; et, plus tard, ce que Lacan disait de Joyce permet de situer un moment du phénomène élémentaire où se produit un « laissé tomber du corps ». De tels phénomènes ne sont pas à proprement parler des souvenirs au sens du souvenir freudien toujours remodelé et reconstruit, ce sont des phénomènes isolés dans la vie du sujet. Ce dernier va les situer comme des phénomènes fulgurants et qui le désignent électivement. De telles fulgurances, marques irrémédiables et non dialectisables, ont pu survenir à la façon d’un sceau qui fait trou sur une page de l’histoire du sujet sans pour autant être intégrées dans le cours de cette histoire. Elles se résumeraient assez souvent par une triade composée d’un sentiment de laissé tomber du corps, d’une intense signification personnelle et encore de modifications des conditions usuelles de la perception qui induit une grande porosité à ce qui est une sonorisation des regards et des attitudes d’autrui. Alors tout bruissement fait signe. Le langage est court-circuité, sa faconde métaphorique bloquée. Pris dans un phénomène élémentaire, le sujet est dans le temps paradoxal d’une sidération, d’une expérience énigmatique, et si le monde ainsi ébranlé ne se recoud pas, s’il n’y a pas de capitonnage, alors le corps peut lâcher et le monde devenir une pure bouillie sans abri.
Le dit phénomène élémentaire laisse le sujet dans un désarroi extrême, sans recours, et sans pensée, en même temps qu’il lui assigne une place. Mais cette catastrophe est aussi une construction et elle peut être une production du sujet face à une béance. Sa dernière signature au bord du précipice. Les caractéristiques de cette production nous importent ici en ce que s’y conjoignent un inoubliable état de corps et quelques hallucinations énigmatiques. L’hypothèse que nous proposons en cet article est que ces hallucinations emportent avec elle des traces, des rémanences, et non des réminiscences, de ce que Lacan a nommé lalangue, terme par lequel le psychanalyste désigne non seulement un bien propre à chacun mais plus encore ce qui est gros des jouissances liées à notre prise dans le langage.
Monsieur I. évoque en quelques mots très précis que, lors de sa première communion, il ressentit de violente façon qu’au moment où il recevait en sa bouche l’hostie, des forces l’obligeaient violemment à tourner la tête, qu’il devait lutter contre cette violence qu’il lui était faite, et venaient en même temps résonner tout partout autour de lui ces sons « cric » et « crac » qui maintenant font partie du répertoire de pipoulou. Lui revient aussi une phrase aussi étonnante que cela, reprise d’une conversation dans sa famille où les anticléricaux tonitruants étaient en butte aux cléricaux tout aussi irascibles : « Votre religion ne mérite que des noms d’oiseau ! » Ce phénomène de l’enfance ne fait pas pour lui un souvenir qui pourrait être le point de départ d’une romance, en cela que ce souvenir ne se dialectise pas, Monsieur I. n’essaie pas de s’y repérer comme quelque chose d’interprétable, il y voit une masse de sons qui lui est tombée dessus et qui lui a été imposée de façon mécanique. Voilà les sources d’éclaboussures sonores d’où provient le répertoire de pipoulou. Cet oiseau est un vieux compagnon de route, puisque jeune adulte, cet homme s’est intéressé un moment aux études d’ornithologie mais il n’a absolument pas trouvé son compte dans cette affaire. Pipoulou ne désigne ici aucun volatile rare susceptible d’attiser la curiosité des savants, mais un point hors ligne, qui condense, ou plus précisément agglutine, des éclats de voix propres aux querelles de famille et des phonèmes plus anciens qui accompagnèrent l’excitation de ses pulsions partielles lors des premiers soins.
Pour ce Monsieur I., le nom de cet oiseau était donc un collage entre des éléments nominatifs : le nom de notre drôle d’oiseau, pipoulou, se compose du surnom qu’il avait quand il était petit, « pipou », Lou étant le prénom de sa sœur aînée ; mais voilà, Monsieur I. peut exactement dire que oui, on le surnommait ainsi et que Lou était bien le prénom de sa sœur aînée, sans que cela amène la moindre association et même la moindre réminiscence relative à la relation qu’il a entretenue avec sa sœur. « Pipoulou » est une nomination qui ne pointe pas un trait d’idéal, c’est une nomination qui est l’incise du sujet, mais qui ne dépose pas ce sujet dans des traits qui lui permettraient de romancer d’une quelconque façon sa mise au monde.
L’hypothèse que je proposerai alors est que la nature de ce phénomène élémentaire particulier, tant actuel dans le délire, comme le soulignait Lacan dès 1955, ne se comprend pas sans faire mention de la « lalangue » dans la mesure où ce phénomène élémentaire comme tant d’autres, s’il est fait d’impositions de significations énigmatiques ou stigmatisantes, se vit, de plus, telle une irruption forcée dans la vie d’un sujet d’une succession rapide de phonèmes extrêmement localisés, extrêmement forts, qui semblent, non pas accompagner le sujet, non pas être le bien du sujet, comme on pourrait voir certains patients extrêmement amoureux de leurs rêves ou attachés à leurs rêves, mais qui semblent être la doublure du sujet.
Tout cela peut paraître assez loufoque parce que c’est un patient à l’hôpital, c’est un grand délirant, mais il n’empêche qu’avec un analysant que je reçois dans mon cabinet, je peux entendre aussi des petits phénomènes élémentaires des plus discrets. Je me souviens des paroles d’un patient évoquant un moment catastrophique de sa scolarité, il avait 13 ans : « J’étais interrogé à l’époque, je n’ai pas pu répondre, ce n’est pas que je ne savais pas, c’est qu’il y avait une espèce de perte de la spontanéité de ma parole. » Ce n’est pas un indice, il faut creuser un petit peu les choses. Je parle donc avec ce jeune homme de 25 ans, j’essaye de situer s’il s’agit ou pas de l’évocation d’un moment d’inhibition, c’est tout à fait possible. Or ce qu’il précise me laisse supposer que tout cela ne se réduit pas à une question d’inhibition, c’est que c’est la voix de l’Autre qui, à ce moment-là, lui semble comme déshumanisée et mécanique. La voix qui lui demande quelque chose va surgir dans une spatialité comme sise hors du corps de l’instituteur. Et lui perd alors non pas les idées, non pas le savoir, mais il semble figé et privé de cette espèce de mouvement qui fait aller vers les mots, aller vers la parole, en même temps qu’il sent un état de son corps qui est un état gênant pour lui, un état ou s’impose le sentiment qu’il va mourir sur place et que l’espace de la classe se replie sur lui. Nous avons beaucoup, dans notre clinique privée, à prêter l’oreille à ce qui pourrait se présenter comme des moments d’inhibition du sujet à « mordre dans la langue » et qui peuvent être au contraire comme des petits phénomènes élémentaires, ce qui ne veut pas dire que cet analysant dont j’évoque lapidairement un fragment de séance va devenir malade ou qu’il va se retrouver à l’asile.
Pourquoi parler quand tout s’équivaut ? Pourquoi parler si tout est résonance ? Pourquoi parler si ce n’est pas capitonable ? Et si tout s’équivaut, si tout est en résonance et s’il n’y a pas de points de capiton, comment tient le corps ? Ce sont des questions tout à fait importantes.
Je mentionne encore un autre patient, hospitalisé celui-ci, qui détaillait le début de son automatisme mental. « Autour de moi, souligne-t-il, ça parle, ça parle sans relâche » : ça, c’est le premier moment : ça parle sans relâche. Est-ce que ça dit quelque chose ? Il n’en sait rien et cela l’indiffère presque. Est-ce que ça parle de lui ? Il n’exclut pas la possibilité du fait. Et peu à peu, se précise l’intention de l’Autre. Tous ces commentaires, ces regards dont il fait la description, « ça veut me dire quelque chose », précise-t-il. Notons le passage de ces deux phrases : « ça dit quelque chose » à « ça veut medire quelque chose » et précise-t-il, reconduisant la chronologie de son automatisme, « Quelque chose que je dois entendre. » Et tout d’un coup, cet homme, tout comme le firent trois patients que j’ai rencontrés ces dernières années décrit minutieusement comment ce sentiment d’un concernement obsidional léger se cristallise et se précipite dans l’éprouvé d’un cataclysme, d’un coup de tonnerre, d’un tremblement, d’une catastrophe, d’une évidence qui exile qui l’éprouve de toute évidence naturelle du monde. Et, très vite, l’appareil du langage est un appareil complètement imposé au sujet. La mécanique du langage devient imposée au sujet en même temps que lui devient imposée la mécanique du corps, en même temps que devient imposé un certain hyper-concernement de l’Autre à l’égard du sujet, en même temps que devient imposée, peut-être, une certaine méchanceté de l’Autre à l’égard du sujet.
La séparation dans l’automatisme mental est radicale entre la voix et le langage ; on s’entend sans pensée et le langage est fait de paroles imposées. Henri Ey détestait cette idée de Clérambault, de l’automatisme mental, ça le chagrinait, il disait : « Mais enfin, vous faites du patient une marionnette ! » Il ne pouvait pas adhérer entièrement à cette thèse de l’automatisme mental en laquelle précisément Lacan a vu une préforme de son structuralisme. Essayez peut-être de repérer dans la clinique le point entre l’automatisme mental et ce qu’on appelle les phénomènes de langage et les phénomènes de corps dans la psychose, un automatisme mental réellement réalisé, ça ne dure pas toujours, tant s’en faut, mais il se réalise intégralement lorsque l’ensemble du dispositif langagier est imposé au sujet ; le sujet en est la marionnette ; ça ne veut pas dire que le sujet va s’en contenter, ça ne veut pas dire, qu’il ne va pas trouver, qu’on ne peut pas lui offrir d’espace ou de brèche par où s’en sortir.
Je vais prendre les choses sur un autre biais. Dans le phénomène de l’automatisme mental décrit par Clérambault, la distinction entre hallucination psychique et hallucination psychosensorielle passe un petit peu à la trappe ; ce psychiatre d’exception a trouvé dans le modèle de l’hallucination psychosensorielle de quoi compléter sa théorie de l’automatisme mental. Or, pour certains sujets, nous assistons à quelque chose de tout à fait extraordinaire, c’est qu’un automatisme mental, s’il s’installe très longtemps, va aboutir non pas à un état de scandale, de mégalomanie ou de perplexité mais à une triste résignation. C’est là où Henri Ey voyait effectivement dans le sujet la marionnette de l’Autre, sujet qui semble se laisser faire et peut-être ne résister qu’en présentant un corps qui devient incapable d’effectuer le moindre mouvement.
Une femme me disait cela, que le monde brutalement s’était mis à parler d’elle, sans malignité au début, puis en mal. Ensuite on lui avait retiré son langage, rapt auquel succéda une anesthésie des sens, ce que Cotard nommait une perte de la vision mentale, ses yeux ne discernaient plus les couleurs, et, à ses oreilles, le bruit du monde se fondait en murmure sans rythme, sans fin, écho d’un écho de plus en plus lointain et de plus en plus continu. Pour lutter contre une sensation de mort, elle avait disposé ses petits rituels, elle s’attachait ou elle s’agrippait au radiateur, elle s’y maintenait dans une grande sthénicité, lutte impuissante puisque, peu de temps après, lui est éclos dans les oreilles : « Tu es comme morte, tu dois rester comme morte. » C’est dans cet état-là que je l’ai rencontrée, elle avait les mains abîmées de s’être accrochée au radiateur de la salle commune où nous étions en hiver ; histoire de retrouver un peu de chaleur parce qu’elle était comme morte. Je passais des heures proche d’elle dans le « salon » du pavillon, assez loin du radiateur, pas trop. Elle disait alors et comme prise sous la dictée d’un commandement invisible des petits murmures qui semblaient autant éclater dans ses oreilles, telles des bulles de savon, que perler à sa bouche. Elle chantonnait et se berçait ainsi ; face à elle je ressentais parfois des sensations où les annonces du sommeil venaient me visiter. Elle parlait peu, si ce n’est par des phrases en ritournelle. Graduellement, j’entendis cette berceuse, fredonnée maintenant dans une langue hybride qui n’est pas le français jacobin car elle est grosse de traces d’un patois régional. Et là j’entends non seulement ce qu’est un discours, une parole, mais ce qu’est un corps parlant. Au fur et à mesure que la berceuse prend corps, la prend au corps, cette femme est relancée rythmiquement dans sa langue première et intime qui est recelée dans l’incrustation apaisante de petites hallucinations verbales.
La berceuse commence, la voix s’amplifie, le corps se détend, se berce un petit peu. Mon regard n’est pas trop sollicité, mais elle ne le fuit plus. Je fais le pari que cette ritournelle qui semble jetée à la cantonade m’est aussi et de plus adressée… Je continue à cheminer. Des yeux, une bouche, je suis un peu embarrassé, alors je lui propose un modelage. Et le modelage va, peu à peu, prendre forme : un visage.
Souvent dans le passage d’une phase anidéique au début d’un automatisme mental, est remarquable l’attachement du patient à quelques ritournelles. Ces dernières ne lui seraient pas imposées par l’automatisme et si nous les entendons et en faisons la matière d’un dire qui se sculpte et s’échange alors nous nous rendons vite compte que, loin d’être parasitaires, ces fragments de vocalise, souvent hallucinées sur le monde l’hallucination consolatrice qui, faisant contrepoint aux intimations mécaniques, coaliseraient pour lui des moments où, ce qui de la langue maternelle a pu avoir une prise un peu humanisante pour lui, une prise un peu érotisante, laissant sur lui le dépôt de ses traces. Encore nous faut-il reconstruire l’histoire de l’automatisme avec le patient et offrir dans la cure la possibilité pour le sujet d’y déposer de telles traces. C’est en retrouvant ces témoignages que j’en vins à proposer que l’aspect de la ritournelle dans l’automatisme mental ne me semble pas toujours devoir être mis au rang des paroles imposées. Il y a une réviviscence de la ritournelle et il faut être attentif – c’est pourquoi il ne faut pas avoir une théorie déficitaire de la psychose –, à ce que des patients peuvent nous dire de l’histoire de leur maladie ; ce n’est pas une histoire linéaire au sens où nous lirions les chapitres d’un roman, pas du tout, mais c’est une succession de moments de perplexité devant ce que l’Autre lui veut ; c’est ça qui fait l’histoire, c’est une succession de moments de perplexité et chaque patient est en quelque sorte quand même aussi le dépositaire d’un trésor qui lui appartient et qui n’est pas nécessairement complètement réduit à une mécanique extérieure, y compris par les désastres de l’automatisme mental. Je vais essayer d’illustrer ceci.
Envisageons alors deux aspects de ce qu’on pourrait appeler la lalangue ; le premier aspect, ce sont les phénomènes sonores qui peuvent se produire dans les phénomènes élémentaires ; le deuxième aspect en étant quelque chose de la ritournelle qui vient contrer l’abrasion que peut amener le grand automatisme mental avec Clérambault.
Voilà encore une patiente, Madame U. que j’ai rencontrée à Ville-Evrard et qui décrit avec beaucoup de soin les moments d’angoisse intense vécus à son domicile et qui précédèrent son hospitalisation. Elle est hospitalisée depuis trois mois et le premier contact qu’on a avec elle est très impressionnant parce qu’elle bouge pratiquement sans relâche, ce qu’elle appelle des « irruptations de possédée » dont elle dira que ça lui tombe dessus, ça lui est imposé. Elle va expliquer deux choses au cours d’un entretien que j’ai eu avec elle ; d’une part, que son adolescence était peuplée parfois de rêves bizarres. Là-dessus, nous nourrissons un dialogue des plus simples ; je lui fais valoir que beaucoup de rêves nous donnent l’impression d’une bizarrerie. Ces rêves, tout comme un phénomène élémentaire, donnaient au réveil l’impression que le corps allait se dissoudre. Elle dit : « J’aurais pu m’en aller en eau. » Et tout cela crée une impression extrêmement étrange d’une sonorisation où elle veut crier, elle n’y arrive pas, ça, c’est assez classique, mais en revanche tous les bruits sont dupliqués, aussi bien le bruit de son réveil, les bruits de la rue, une voiture qui passe sous ses fenêtres de droite à gauche, immédiatement elle a le bruit d’une voiture qui va passer de gauche à droite, tout est dupliqué. Il y a quelque chose dans le sonore qui se fracture, qui se fractionne, il n’y a plus aucune vectorisation de l’univers sonore.
Alors se décrit graduellement la phénoménologie de la décomposition de l’orientation du monde. Madame U. témoignera avoir vécu ce phénomène élémentaire où sont liés un état de corps menaçant et des irruptions phoniques et obscènes de lalangue. Il y avait de cela quelques mois, elle avait voulu retourner dans l’église où ses parents s’étaient mariés, alors qu’elle était déjà venue au monde et qu’elle était âgée de 8 ans. Elle s’y rend et dans cette église elle eut d’un coup la certitude angoissante qu’elle devait« y rester pour toute la vie », il n’y a pas de sortie possible de cet univers. Elle confie cette expression que je trouve extraordinaire : « Au fond de moi et au fond de l’église, une voix comme un cri qui était sonorisé, je ne sais pas si je l’ai entendu, c’était au fond de l’église et au fond de moi. » Là s’est produit une débâcle topologique, l’univers n’a strictement plus rien qui le dispose comme un lieu suffisamment contenant. Elle fait alors, me parlant de cet épisode dans cette église, un pont avec une caractéristique de ses rêves bizarres, qui sont des rêves de déformation de corps. Dans cette église, les créatures passent à travers des limites ; elle peut voir le bras d’un démon, la queue d’un diable, les oreilles de Satan ; ces créatures sont des passe-murailles, elles passent à travers les limites. Le monde est sans coupures, elle sent son corps tiraillé, poussé aux extrêmes, mais le monde va de partout se fissurant. Pour le dire autrement, la perception ne se loge plus dans l’espace ordinaire de la perception qui est notre espace euclidien. Elle perçoit, par des incises qui traversent toutes les limites possibles, comme un outre-espace, comme un outre-lieu, et se précise, lorsqu’elle m’en parle, l’extrême angoisse d’être absorbée par cet espace de partout fissurable. S’opéra alors la jonction avec les rêves par elle qualifiés de « bizarres », toujours les mêmes rêves, ces rêves de catastrophe. Mais ce qui la réveillait et qui provoquait cette espèce de duplication du sonore, une mise en écho du sonore, étaient ces sortes d’onirisme où elle voyait des fractions de corps rentrer par les murs, des pieds qui passaient par les murs, par les fenêtres, etc., dans de tels rêves, elle se trouvait livrée à un espace qui ne rentrait pas dans les limites de la perception. Les réveils la trouvaient hébétée et endolorie.
Le rapport de cette patiente au langage semble extrêmement clivé. Si se remarque une possibilité de narrer, de raconter, cette narrativité s’effondre dès que la parole touche à ces points de perplexité où, par-delà les paralogismes, s’éprouvent une mise en catastrophe du langage et un rapport très particulier au sonore qui se déclenche dans une valeur de jouissance.
Nombre de patients schizophrènes nous mettent au vif de ce qui pour eux fait ancrage avec ces phénomènes élémentaires de la mise en langage.
Je voudrais proposer pour terminer un petit modèle à dislocation du rsi et de son rapport, peut-être, avec le fait que, en ce qui concerne la schizophrénie, se rencontrent trois occurrences très importantes de dislocations de rsi. Il faudrait comprendre finalement que le refuge du sujet, c’est précisément de se faire le conservateur, le sarcophage peut-être quand ça se mélancolise, de ces petits éléments de la lalangue, par lesquels, quand même, il conserverait une possibilité d’érogène du corps.
Quand on parle de la lalangue, on se trouve effectivement face – même chez Lacan – à plusieurs étages de définitions. Il se trouve une phrase de Lacan très intéressante, dans « La troisième », c’est un parallèle entre la lalangue et la langue morte ; la langue n’est plus dans la somme des équivoques, c’est la langue morte : « Toute la lalangue est une langue morte même si elle est encore en usage. » Quand j’ai lu cette phrase de Lacan, j’étais un peu embarrassé. Puis ce qui m’a intéressé, c’est ce qui reste de langue morte dans ce qui se dépose sur le corps, dans ce qui se dépose dans la solitude d’un corps. Des ferments d’une jouissance sexuelle se déposent dans la solitude d’un corps avec ce caractère indéchiffrable qui expose à la répétition, qui ne se littéralise pas dans les cas de psychoses non paranoïaques. C’est même toute l’œuvre de la psychose de littéraliser ces petits bouts de jouissance qui bruisse et menace et parfois torpille la topologie ordinaire d’un corps, celle par quoi l’anatomie accorde ses trous au pulsionnel. Il est banal de dire que nul ne saurait énoncer la lalangue qu’il parle à l’autre, aucune mère ne saurait énoncer la lalangue avec laquelle elle parle à son enfant. Il y a donc dans la lalangue un rapport à l’écriture réelle d’une jouissance sur le corps d’un enfant, c’est-à-dire qu’il y a une structure locale de l’inscription de cette lalangue dans laquelle furent manipulées nos pulsions partielles. Elle rentre à ce moment-là, la lalangue, dans une façon de création de ce qui est la lettre réelle, rejetée dans le Réel, dans les opérations premières de symbolisation. On pourrait alors se demander si cet appareil de la lalangue tient le coup dans la psychose et dans ce qui y oppose la voix au langage dans ces phénomènes d’automatisme mental.
À cet égard, il importe de prendre au sérieux la façon dont un patient gravement mélancolique, gravement psychosé, peut reprendre pied dans un certain nombre de représentations de mots.
L’on voit assez souvent avec des patients en psychose la possibilité qu’ils auraient de créer des espèces d’objets assez étranges. Si j’invite à utiliser le modelage, le sujet va se servir d’espèces de bouts de pâte à modeler. Je pense ici à un homme d’une trentaine d’années, Monsieur B., qui façonne ces objets substances en agglutinant à la pâte à modeler des restes de la mie de pain qu’il a mis de côté. De tels objets, lorsqu’il les manipule en les collant à sa bouche et à ses yeux puis en les mettant énergiquement sur ma main, offrent à la parole. Il dit que ça parle, que ça fait des voix, que ça fait des sons qu’il vocalise. Si je me propose comme scribe pour transcrire ces sons, eh bien à chaque fois il apparaît que ces sons sont la condensation de la matérialité sonore du nom de ce patient ou d’un surnom qu’il a pu avoir, mais le tout étant condensé avec mon patronyme. Voilà que la cure se fait atelier, fabrique de petits objets, de petits bouts qui n’ont pas de forme stable qui sont plus proche de la susbtance que d’une matière cadrée par un contour. De tels objets ne visent pas à représenter des bonshommes ou des silhouettes familières ; ce sont juste des petits relais de matière que cet homme va, à plus d’une fois, faire jouer comme des marionnettes sonores. Ces jeux lui permettent une lecture de ces sons, cette lecture passe par le tamis de mon écriture, car je me fais le secrétaire de ces sons proférés. En n apprivoisant la pulsion invocante, par ce jeu entre murmure et lettre, se déposent des petites unités sises entre lalangue et lettre, ainsi se prononcent et s’écrivent des différences qui permettent de retoucher du doigt la matérialité sonore de ce qui resté de points de contact entre la lalangue et le Réel. Ce jeu, ou plus exactement cette construction d’une corps littéralité de ce qui insiste de lalanage émancipe ces personnes en psychose, elles ne se réduisent alors plus la marionnette pétrifiée de l’Autre.
Résumé
Bien des textes de la psychiatrie dite classique, celle qui a pu s’effacer après la mort d’Henri Ey, peuvent avoir une signification pour la clinique psychanalytique. Le fait que des psychanalystes travaillent en institution psychiatrique spécialisée plaide pour ce dialogue avec les textes des anciens. Toutefois le travail de clinique psychanalytique en milieu psychiatrique déplace le champ clinique et opère le passage entre une clinique marquée par l’interrogation du patient à une clinique du dialogue et du transfert. Ce texte présente quelques moments de cures menées à l’Hôpital de Ville-Evrard. Refusant une clinique déficitaire de la psychose, l’auteur insiste sur la part d’invention que comporte avec lui tout traitement psychanalytique possible.
Mots-clés
Hallucination, lalangue, mélancolie, phénomènes élémentaires, topologie.
[1] Ce texte a été élaboré à partir d’un exposé fait dans le séminaire animé par B. Toboul sur « Lalangue » à l’Université Paris Diderot – Paris 7. B. Toboul et le petit groupe de chercheur qu’il réunit autour de lui m’ont gratifié d’une écoute chaleureuse et amicale, nous eûmes de bons échanges.
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Chronologie de la psychanalyse du temps de Freud, cinquième épisode 1906-1910
Chronologie : Situation de la Psychanalyse dans le monde, du temps de la vie de Freud Épisode 5 - 1906-1910 : publication de l’histoire d’une névrose infantile, controverses autour de l’analyse du rêve, l’Amérique... 1906 P. Federn qui commence à pratiquer la psychanalyse entreprendra en 1906 une psychothérapie psychanalytique d’une patiente catatonique. Année de la rupture définitive de Freud avec Fliess lequel rédige un pamphlet intitulé Pour ma propre cause où il accuse Freud d’avoir joué un rôle dans le vol de ses idées sur les périodicités sexuelles et la bisexualité. Selon Fliess, Freud aurait parlé des découvertes de Fliess à Swoboda, lequel à son tour en aurait informé Weininger. Freud tente de créer chez la jeune maison d'édition Deuticke une collection qui reprend ses articles après leur parution régionale en les regroupant et les rendant disponibles sur le marché du livre. Il confie aussi les quatre tomes de ses traductions des ouvrages de Bernheim et de Charcot. Mais il pousse aussi H. Heller à publier une nouvelle collection, les Schriften zur angewandten Seelenkunde (Écrits de psychologie appliquée). Il s'agissait de présenter au public « l'application des découvertes psychologiques à des thèmes de l'art et de la littérature, ainsi que de l'histoire de la civilisation et de la religion ». Freud se présente comme directeur de cette publication et inaugure la série par Gradiva(1907). La collection sera reprise par Deuticke. On y trouve publiés des travaux de Freud (n° 1 et 7), Rilkin, Jung, Abraham (n° 4 et 11), Sadger, Pfister, M. Graf, Jones (n° 10 et 14), Sorfer, Sadger (n° 16 et 18), Keilholz (n° 17) et von Hug-Hellmuth. Aux soirées du mercredi, Rank présente d'importants extraits d'un ouvrage volumineux à paraître sur le thème de l'inceste dans la littérature. Hugo Heller demande à Freud de citer 10 livres qu’ils voudraient conserver au plus longtemps près d’eux. Des « livres mais ». Freud cite Lettres et œuvres de Eduard Douwes Keller, Le livre de la jungle de Kipling, Sur la pierre blanched’Anatole France, Fécondité d’Emile Zola, Le roman de Léonard de Vinci de Dimitri Merejowski, Les gens de Seldywa de Gottfried Keller, Les Derniers jours de Hutten de Conrad Ferdinand Meyer, Les Essais de Macaulay, Les penseurs grecs de Theodor Gomperz, enfin, Les Esquisses de Mark Twain. Heller publie son étude en décembre, dans le premier fascicule des Neue Blätter für Literatur und Kunst, elle est riche de 32 réponses et précédée par un prémabule de la main d’Hugo von Hosmannsthal ; furent recueilli sles avis de Freud, de Peter Altenberg, de Hermann Bahr, d'August Forel, de Hermann Hesse, d'Ernst Mach, de Thomas Masaryk, de Peter Rosegger, d'Arthur Schnitzler et de Jakob Wassermann Sur les conseils de son ami Max Graf, le chef d’orchestre Bruno Walter (1876-1962) consulte Freud pour des douleurs et des faiblesses à son avant-bras gauche qui l’empêchaient de jouer du piano et de diriger un orchestre. Pétri d’inquiétude à la pensée de ne plus pouvoir diriger un orchestre il s’attend à une cure classique centrée autour des conduites masturbatoires. Freud se limite à conseiller un voyage et à une brève consultation sans investigation de l’inconscient au retour de ce séjour. Walter en tirera un vif soulagement. Freud prend connaissance des « mémoires » du Président Schreber. Début, en avril, de la correspondance avec Carl Gustav Jung. Ce dernier publie un article visant à défendre la psychanalyse contre les attaques virulentes que lui adresse Gustav Aschaffenburg (1866-1944) qui est devenu professeur de psychiatrie à Cologne. Ce texte engagé et courageux (« Die hysterielehere Freud. Eine Erwiderung auf die Aschaffenburg’sche Kritik », in Münchener Medezinische Wichenschrift, septembre, n°37) n’en contient pas moins les prémisses de ce qui fera dissension entre Jung et Freud, sur le rôle étiopatogénique de la sexualité. Le 23 octobre, Jung écrit à Freud à propos du « cas « de Sabrina Spielrein qu’il traite « selon la méthode freudienne ». Lettre de Freud le 8 mai à Arthur Schnitzler dans laquelle il reconnaît aux artistes, et aux écrivains le privilège d’atteindre par leur art à la vérité de l’inconscient, alors que la psychanalyste n’y accède qu’au terme d’un travail laborieux. La vérité se trouve ainsi mise en rapport d’antécédence vis-à-vis du savoir. Extrait : « Je me suis souvent demandé avec étonnement d'où vous teniez la connaissance de tel ou tel point caché, alors que je ne l'avais acquise que par un pénible travail d'investigation, et j'en suis venu à envier l'écrivain que déjà j'admirais. Vous pouvez deviner quelles furent ma joie et ma fierté en apprenant par vous que pour vous aussi mes écrits avaient été une source d'inspiration » Juin, Freud, à l’invitation du professeur de droit Löffler, participe à un séminaire où les étudiants se familiarisent avec une nouvelle méthode d’enquête, en la soumettant à l’épreuve des procès simulés. Löffler et ses étudiants espèrent que les témoignages dans les procès puissent être recueillis selon une méthode « scientifique » qui emprunterait son modèle à la psychanalyse et à la psychothérapie. Des groupes d’étude centrés sur la psychothérapie se forment à Boston et à Cambridge. La même année Morton Prince (1854-1929) qui s’était initié aux thérapeutiques hypnotiques à Nancy, aux côtés de Freud, mais reste et restera quasi exclusivement sous l’influence de Janet, crée le Journal of Abnormal Psychology (Revue de Psychopathologie) publié à la fois aux États-Unis (Boston) et en Grande-Bretagne. Y sont exposées et discutées les thèses freudiennes, surtout celles portant sur le rêve. et publie “La dissociation d’une personnalité” qui est la première étude exhaustive d’une « personnalité multiple » à faire usage d’un vocabulaire d’allure psychanalytique : Miss Beauchamp. (Après le cas Felida X. de E. Azam, France, 1887, mais qui, pour cause, n’use pas de ce vocabulaire). Dans le commentaire de son cas, M. Prince « fait le tri » au sein des théories freudiennes, il n’accepte pas la théorie de la sexualité et énonce que la méthode freudienne ne peut être acceptée qu’après vérification par l’hypnose. La notion de « subconscient était centrale dans la perspective de Prince qui ne voit dans le conscient et dans l’inconscient que des formes de ce subconscient. ». Cette même année le mot « psychotherapy » trouve pour la première fois une occurrence dans l’Index Medicus. Dans le Journal of Abnormal Psychologie, James Jackson Putnam, neuropsychiatre de nationalité américaine, professeur de neurologie à l'école de médecine de l'université Harvard et fondateur de l' « American Neurological Association », publie, en février, le premier article en langue anglaise exclusivement consacré à la psychanalyse. France : Philippe Chaslin (1857-1923) commente le livre de Freud sur le mot d’esprit dans le numéro de novembre des Annales médico-psychologiques. Le ton reste bienveillant, même s’il trouve l’ensemble un peu « tiré par les cheveux ». Suisse : Dans son article « Freudsche Mechanism in der Symptomatologie von Psychosen » Bleuler souligne l’analogie entre les délires et les rêves de désir. 1907 Publication du Délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen. Jensen entretient une brève correspondance avec Freud. Il lui écrit le 25 mai : « La petite histoire est née d’une impulsion soudaine, celle de Norbert Hanold, celle qui doit avoir également travaillé en moi inconsciemment. Car je me trouvais au milieu d’un vaste travail que j’ai immédiatement mis de côté lorsque, apparemment tout à fait spontanément, le début de cette histoire m’est venu, et je l’ai conduit jusqu’à sa fin très rapidement, en peu de jours, sans jamais la laisser tomber ni m’arrêter. Une fois de plus, j’ai trouvé tout le matériel apparemment sans réfléchir ; l’ensemble n’a rien à voir avec ce que l’on peut communément appeler ma propre expérience, c’est, comme le titre l’indique, un morceau de pure fantaisie ; elle se déplace toujours à pas de loup sur une étroite arrête qui limite sans cesse le champ du possible. En réalité, c’est ce qui se produit à chaque fois de manière plus ou moins perceptible, et il est bien difficile en conséquence de rendre l’œuvre totalement étanche à la critique et supprimer tout jugement, ce qui est particulièrement vrai concernant la “Gradiva”. Quelques-uns l’ont trouvé stupide, et l’ont expliqué par un sens puéril et enfantin de l’auteur, d’autres y ont vu ce que j’ai jamais écrit de meilleur. Personne n’arrive à une totale compréhension de lui-même ». Janvier : rencontre de Freud et de Max Eitingon (1881-1943). Ce dernier, né en Russie et ayant fait ses études de médecine à Zurich en tant que « sous-assistant » à la clinique du Burghölzli, est le premier étranger qui prend place aux réunions du mercredi les deux semaines qu’il séjourne à Vienne. Les Minutes de la Société de Vienne le signalent en tant que « M. Eitington de la clinique de Bleuler, comme hôte », les mercredi 23 et 30 janvier au soir. C’est le premier médecin de cette clinique à faire la rencontre de Freud. Lors de longues promenades au jour tombant, dans la ville, Freud entreprend la psychanalyse d’Eitington (1881-1943). Première analyse « didactique » dont l’objectif est de mener l’analysant à devenir psychanalyste. Février, le 22 : Freud annonce à son petit groupe que le docteur Johannes Bresler (1866-1936), rédacteur en chef de la Psychiatrisches Neurologisches Wochenschrift (Revue Hebdomadaire de Psychiatrie et de Neurologie) lui demande de devenir co-rédacteur d'une nouvelle revue qu'il allait créer sous le nom de Zeitschrift für Religionspsychologie (Journal de Psychologie des Religions). Freud accepte et collabore au premier numéro en publiant le premier de tous les articles qu'il devait consacrer à la religion (“Zwangshandlungen und Religionsübungen” [“Actions compulsionnelles et exercices religieux”], G.W., VII p. 129). Freud rencontre Jung, qui, le 3 mars, lui rend visite en compagnie de sa femme Emma. Cette rencontre suscite un attachement et une fascination réciproque ; ils parlent treize heures durant. Jung relata par la suite qu’il fut étonné par le manque de conscience philosophque, le positivisme et l’importance accordée aux facteurs sexuels par son vis-à-vis. Cette même année, dans son livre Über die Psychologie der Demantia Praecox, Jung compare le destin du mécanisme de la dissociation tel qu’explicité par Freud et Janet dans les névroses et les psychoses, dans ce dernier cas c’est la Spaltung qui est de la dissociation schizophrénique son aspect radical. Jung invite Ludwig Binswanger (1881-1966) à assister à la réunion hebdomadaire du groupe viennois. Freud demande aux deux hommes de lui raconter leurs rêves. Le père de Binswanger était aussi clinicien et un de ses oncles, Otto, professeur de psychiatrie à Iena, avait traité Nietzsche. Cet oncle lui confia une hystérique, Irma, dont il entreprend la cure psychanalytique, seulement muni d’une culture livresque. Binswanger prend la fonction d'assistant de Bleuler, poste laissé disponible par le départ de Karl Abraham pour Berlin. C'est au Burghölzli, auprès de Bleuler et Jung qu'il apprend les premiers rudiments de la pensée freudienne. Il a décrit sa rencontre avec Freud comme son « expérience humaine la plus importante ». Freud dans la lettre a Jung du 13 mai 1907. « Il manque encore à Bleuler une définition claire de l'auto-érotisme et de ses effets psychologiques spécifiques. Il a cependant accepté la notion pour sa présentation de la démence précoce dans le manuel d'Aschaffenburg. Il ne veut toutefois pas dire auto-érotisme (pour des raisons connues), mais 'autisme' ou 'ipsisme'. Pour moi, je me suis déjà habitué à 'auto-érotisme'."» Allemagne : Otto Gross (1877-1920) qui travaille à Graz sous la direction de Gabriel Anton publie un essai favorable aux travaux de Freud qu’il rapproche de ceux de Kraeppelin « Le thème de l’idéogénité chez Freud et sa signification dans la folie maniaco-dépressive selon Kraepelin ». Il y reconnaît l'exactitude des théories freudiennes de la libido, du refoulement, du symbolisme, et fidèle à la perspective moniste il cherche pour tous ces processsus dont rend compte la théorie freudienne un correspondant organique. C’est dans le travail du biologiste Hans Driech (1867-1941, pionnier de l’embryologie et auteurs de livres philosohiques d’inspiration « vitaliste ») qu’il trouve de quoi cimenter les apports de Wernicke, Kraepplin et Freud. Sur un point capital, il tourne le dos à la rationalité du freudisme tant selon lui la cause principale des névroses n’est pas la sexualité mais les difficultés d’adaptation du sujet à la socité. Otto Gross est le fils de Hans Gustav Adolf Gross (1847-1915), médecin autrichien, qui fut l'un des fondateurs de la criminologie. Toxicomane, il exerce comme médecin et s'oriente ensuite vers la psychiatrie et il exerce dans les cliniques de neuropsychiatrie de Munich et de Graz. Il orienta son travail vers des recherches psychosexuelles. Otto Gross fréquenta la colonie Monte Verità, grand lieu du « lebensreform » (mouvement de réforme de la vie inspiré des Rose-Croix et dont certaines tendances tourneront vers le nazisme). Monte Verità attire de nombreux artistes et intellectuels européens dont la danseuse Isadora Duncan ou le futur philosophe Martin Buber. Le cercle weberien de Heidelberg entend parler d’Otto Gross par le biais des sœurs Elsa (1874-1972) et Frieda (1879-1956) von Richtofen, deux pionnières du féminisme, l’aînée fut une des amantes de Gross. Else Jaffé, thèsarde de Weber et aussi amante de Gross propose à la revue de sociologie de Weber de publier un texte de Gross. La réponse que lui fait Weber, en septembre, à la lecture des propos de Gross, est celle d’un refus sec devant un texte qui confond des propos à tonalité éthique avec une analyse scientifique. Marianne Weber rapportera en 1926 des propos de son mari qui nous renseignent de façon plus large sur la vision du freudisme de ce dernier : « Les théories de Freud ont beaucoup évolué ces dernières années et selon mon sentiment de profane, ne sont pas encore parvenues à leur formulation achevée, ... Sans aucun doute les pensées de Freud sur toute une série de phénomènes de l’histoire de la culture, particulièrement de la religion et des mœurs, peuvent se révéler d’une grande importance, - même si à coup sûr, du point de vue de l’historien de la culture, elles sont loin de posséder l’universalité que, dans son enthousiasme bien compréhensible et dans sa joie de découvreur, Freud et ses disciples leur prêtent. Il faudrait absolument établir au préalable un corpus de cas d’une ampleur et d’une certitude qui n’ont pas été atteintes jusqu’ici, malgré toutes les affirmations contraires et qui ne seront possibles que dans deux ou trois décennies peut-être… » (Marianne Weber : Max Weber, ein Lebesnbild, Tübingen, 1926 p. 376) Autour de Binswanger, des psychiatres se familiarisent avec la méthode cathartique. Le psychiatre et neurologue Smith Elly Jelliffe (1866-1945), qui sera pour beaucoup dans le succès de la psychanalyse aux USA, suit les cours de psychiatrie d’E. Kraepelin. Il y fait la rencontre de Dubois et de Jung qui éveillent sa curiosité à la psychanalyse. L’année suivante il sera à Paris où il suivra les enseignements de Janet, de Dejérine et de Babinsky. Johannes Marcinowski (médecin et neurologue allemand, 1868-1935), fonde sa propre maison de repos ( Haus Sielbeck bei Eutin, dans le Holstein) dont Freud dira dans « Contribution à l’étude du mouvement psychanalytique » que c’est la première institution de soin psychique en Allemagne à avoir fait place à la psychanalyse. Vers le milieu des années 1920, il s’éloignera de la rigueur de la technique psychanalytique et continuera à diriger des centres de repos jusqu’à sa mort. Etats-Unis : dans le Journal of abnormal psychology, que Morton Prince vient de fonder, paraît un symposium sur le « subconscient » regroupant des contributions de Hugo Münsterberg (1863-1916), Pierre Janet, Théodule Ribot, et Joseph Jastrow (1863-1944) De retour d’Allemagne, Jelliffe en compagnie de son collaborateur de toujours, le neurologue et psychiatre William Alanson White (titulaire de la chaire des maladies mentales et nerveuses de l’Université de Georgetown, 1870-1937), crée et édite les Nervous and Mental Disease Monograph Series, qui abritent certaines traductions de Freud, Jung, Adler ou d’autres psychanalyste européens, de même des monographies en psychiatrie et en neurologie. Lightmer Witmer fonde la première revue de psychologie clinique, Psychological Clinic France : Jung part pour Paris en juin 1907 et a le projet d'y rencontrer Janet, Freud lui glisse cette mise en garde : « L'obstacle, chez les Français, est sans doute essentiellement de nature nationale; l'importation vers la France a toujours comporté des difficultés. Janet est une fine intelligence, mais il est parti sans la sexualité et ne peut à présent plus avancer. ». Jung revient déçu de son séjour et de sa rencontre avec Janet, au grand soulagement de Freud. « J’ai parlé à Janet et suis très déçu. Il n’a ques des connaissances tout à fait primitves de la dementia praecox. Aux choses plus récentes, vous inclus, il ne comprend rien du tout » (Lettre du 28 juin). Les médecins Adolf Schmiergeld et P. Provotelle prononcent, le 4 juillet, une conférence devant la Société de Neurologie sur la méthode psychanalytique et les Abwher-Neuropsychosen de Freud. Leur texte paraît dans le Journal de Neurologie 7-8, p. 221-252 Pays-Bas : à Amsterdam, se tient en septembre le premier Congrès international de psychiatrie, de neurologie et d’assistance aux aliénés. Janet et Jung y participent. Jung alors privat-docent à l’Université de Zürich et numéro 2 du Burghölzi a la respectabilité et la réputation qui conviennent pour défendre les vues de Freud. Albert Willem Van Renterghem (1846-1939), consacre son exposé à la psychothérapie, il fait mention des idées de Freud. Il avait ouvert en 1887 avec Frederik Willem van Eeden (1860-1932) écrivain, psychiatre et réformateur social néerlandais un institut de psychothérapie à Amsterdam, où étaient pratiquées les méthodes d'hypnose de Liébeault dont van Eeden avait suivi les cours à Nancy. Lors de ce colloque Janet reproche à la théorie freudienne la place qu’ils font à la sexualité pour expliquer l’étiopathogénie des troubles qu’ils soignent. Janet est un ironiste cinglant mais sa méconnaissance de la complexité des thèses qu’il veut pourfendre est patente. Suisse : C. G. Jung crée à Zurich la Société Freud que préside Bleuler. S’y retrouvent Binswanger, Franz Riklin (psychiatre, 1878-1938), Édouard Claparède (psychologue et pédagogue, 1873-1940), Alphonse Maeder (1882-1971)… Les membres se réunissent à l’hôpital du Burghölzli ; elle sera dissoute en 1913. Selon K. Abraham, l’Association freudienne de Zurich a tenu sa première réunion vers le milieu de l’année et prend pour nom Gesellschaft für FreudscheForschung (Association pour la recherche freudienne). Les médecins du Burghölzi entreprirent d’analyser réciproquement leurs rêves et prêtent attention à tout signe de “complexe inconscient“ qu’ils peuvent faire : lapsus de langue ou d’écriture, mais encore rajoute Bleuler “mélodies inconscientes fredonnées“. Alphonse Maeder, en 1907, informe le lectorat des Archives de psychologie de la Suisse romande de ce que Freud dit être l'interprétation des rêves, et la logique des actes manqués. Les psychologues seront la courroie de transmission de la psychanalyse en Suisse. Ils argumentent de sa solidité expérimentale. La pratique des mots inducteurs (ou test d’association verbale) mise au point par Jung et Riklin : un mot est prononcé, auquel le malade doit associer les termes qui lui viennent à l'esprit, l'opérateur chronomètre et, si le temps est trop long, on diagnostique "un complexe"à interpréter et à traiter. Une telle pratique est considérée comme la transposition expérimentale et donc « sérieuse » de la règle fondamentale et de son invite à l’association libre. Freud objecte, en vain. Jung dans sa Psychologie de la démence précoce tente un effort pionnier vers une conception compréhensivo-dynamique des psychoses. Karl Abraham écrit à Zurich son premier travail psychanalytique qui aborde avec courage le problème de la sexualité. : « De la signification des traumatismes sexuels dans l’enfance pour la symptomatologie de la démence précoce » (1907) et que Freud appréciera. Jung et Abraham avaient travaillé séparément, mais à partir des mêmes indications de Freud. L’année suivante, ce dernier écrira à Jung le 3 mai : « Il ne m’a pas échappé qu’une brouille se prépare entre vous et Abraham. Nous sommes si peu nombreux que nous devrions faire corps, et la brouille pour des motifs personnels est bien ce qui nous convient le moins, à nous psychanalystes. […] acceptez qu’il ait pris cette fois le chemin le plus direct, tandis que vous hésitiez. Vous avez autrement tous les avantages sur lui.” (S. Freud, C.G. Jung, Correspondance 1906-1914, Gallimard, 1992, p. 210-211). Et le même jour, à Abraham : “Soyez tolérant et n’oubliez pas qu’à vrai dire il vous est plus facile qu’à Jung de suivre mes pensées, car premièrement, vous êtes entièrement indépendant, et ensuite, de par notre même appartenance raciale, vous êtes plus proche de ma constitution intellectuelle, tandis que lui, comme chrétien et fils de pasteur, trouve son chemin vers moi seulement en luttant contre de grandes résistances intérieures.” (S. Freud, K. Abraham, Correspondance 1907-1926, Gallimard, 1969, p. 42). Au cours du XVII° Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française qui se tient à Lausanne, le repporteur, le Dr L. Schnyder place Janet au premier rang des psychanalystes tout en exposant certaines des thèses de Freud sur la cure des hystériques. Le co-rapporteur du congrès, Henri Claude (1869-1945), réserve une part bien plus réduite aux psychanalystes tout en réduisant, plus encore que ne le fait Schnyder, Freud à un épigone de Janet. 1908 2 février : Sandor Ferenczi (1873-1933), médecin hongrois, rend visite à Freud, qui éprouve aussitôt pour lui une vive sympathie et l'invitera à passer pendant l'été deux semaines à Berchtesgaden où il est en vacances avec sa famille. 15 avril : la Société psychologique du mercredi regroupe 32 membres et devient la Wiener Psychoanalytische Vereinigung (WPV, Union viennoise de psychanalyse). 25 avril : Le suisse Oskar Pfister (1873-1956), psychanalyste et pasteur protestant, rend visite à Freud. 27 avril : Congrès international restreint de psychanalyse à Salzburg, présidé par Freud, le premier d’une longue série, sous le nom de Rencontre des psychologues freudiens. 42 membres de six pays participent à cette réunion : Autriche, Allemagne, Hongrie, Suisse, Angleterre et États-Unis. Il y eut neuf communications dont 4 autrichiennes, 2 suisses, 1 anglaise, 1 allemande et 1 hongroise. Freud présente ses “Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle” et parle pendant cinq heures. C’est, en germes, le cas de l’Homme aux rats. Jung fait une communication sur la démence précoce (ce mot se trouve pour la première fois sous la plume de Havelock Ellis en 1898). Seule communication de tour anthropologique, celle de F. Riklin, qui parle de “Quelques problèmes posés par l’interprétation du mythe”. L’un des résultats fut la fondation cette année-là de la première revue de psychanalyse, le Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen (Annales de recherches psychanalytiques et psychopathologiques), avec Bleuler et Freud comme directeurs et Jung comme rédacteur en chef. L’axe Vienne-Zurich reste intact et la revue est soutenue par d’éminents professeurs de psychiatrie. Freud inaugure cette revue avec la publication du cas « Hans » comme article de tête du premier numéro. Ferenczi, invité ultérieurement par Freud, communique sur « Psychanalyse et pédagogie », il soutient que la pédagogie, « véritable bouillon de culture des névroses » doit être repensée et fondée selon les enseignements de la psychologie analytique. Les autres contributions émanent toutes de l’école de Zurich : A. Maeder, “Sexualité et épilepsie” ; Jung, “La signification du père pour le destin de l’individu”, Binswanger, “Essai d’une analyse d’hystérie”. En 1913, Freud luttera pour reprendre à Jung le contrôle de la revue. Freud publie dans la revue Sexual-Probleme , dirigée par Max Marcuse (1877-1963), son article « La morale sexuelle « civilisée » et la maladie nerveuse des temps modernes ». Le choix d’un tel support qui auparavant portait le nom deMutershcutz (Le bouclier des mères) et a continué sous ce nouveau nom sans changer la tomaison des numéros, exprime le souci de Freud pour diffuser ses idées en dehors des milieux spécialisés. L’article qui annonce le Malaise et d’autres textes freudiens aux confins des sciences sociales pose la question du coût psychique qu’impose le renoncement à la satisfaction des pulsions dans le monde contemporain. Sera distinguée la notion de répression de celle de refoulement. Seront ouvertes des voies pour l’intelligence psychanalytique de la perversion et de la féminité. La notion de « morale sexuelle civilisée » vient de Christian von Ehrenfels (1859-1932), Professeur à l’Université de Prague qui, en bon réformiste, s’inquiétait des effets de la répression sexuelle et des hypocrisies corrélatives sur la nervosité moderne . Ehrenfels est amicalement invité à exposer ses vues à la Société Psychanalytique de Vienne en décembre. 6 mai : Karl Abraham, Abraham A. Brill (1874-1948) et Ernest Jones viennent rendre visite à Freud. Brill a fait sa formation en psychiatrie au Burghölzli. Avant de repartir pour New York, obtient l’autorisation de traduire en anglais les œuvres du maître ; ses talents de traducteur sont limités par sa piètre maîtrise de l’allemand et de l’anglais, ce qui inquiète Jones. Freud séjourne quatre jours au Burghölzli à Zurich et y aborde les problèmes de la psychose. Début de la correspondance à quatre entre Freud Bleuler et les deux élèves de ce dernier, Jung et Abraham qui porte notamment sur la possibilité d'étendre la théorie de l'hystérie aux problèmes de la démence précoce. Publication de la seconde édition de la Traumdeutung qui sera datée de 1909 (un tirage de plus d’un millier d’explaires, lors que le premier s’était limité à 600). Cette seconde édition s’enrichit de liste de symboles et de modèles de rêves typiques.Stekel publie son livre Etats d’angoisse nerveux et leur traitement qui constitue, en s’appuyant sur le cas « Dora » un des premiers exposés de la méthode psychanalytique à l’usage des médecins psychothérapeutes. Isidor Issak Sadger (1867-1942) conduit des analyses de patients homosexuels dans le but de les guérir de leur perversion. Ce ne sera pas du tout la position de Freud telle que relatée, plus tard dans le cas de « la jeune femme homosexuelle » (Margarethe Csonka). On doit à Sadger les poncifs autour des parents de l’homosexuel masculin : la mère de l’homosexuel est une femme forte, le père un homme inconsistant et trop souvent absent. Ces thèses simplistes ont pu jouer un rôle dans la construction ultérieure du « Léonard » de Freud, lequel s’est toutefois toujours opposé à ce que Sadger faisait de la notion de narcissisme trop proche de la thèse de la bissexualité de Fliess. V. Tausk, alors journaliste, s’intéresse à la psychanalyse et grâce au soutien de Freud et d’autres membres de la Société Psychanalytique de Viennne, il peut reprendre ses études de médecine à Vienne où il deviendra étudiant à la clinique psychiatrique de l’Université de Vienne que dirige Wagner von Jauregg et où travaillera ultérieursement Hélène Deutsch. Allemagne : Karl Abraham fonde en août la société psychanalytique de Berlin sous le nom de Berliner Psychoanalytische Vereinigung (BPV) et dont il restera Président jusqu’à sa mort en 1925, Ernst Simmel lui succèdera alors. Cette société sera le premier groupe local de l’Association psychanalytique internationale ( IPA), qui sera fondée deux ans plus tard. La première réunion a lieu le 27 en présence de Magnus Hirschfeld, Iwan Bloch, Heinrich Köerber (1861-1927, convaincu de la justesse des thèses darwiniennes de Häckel), Otto Juliusburger (1867-1952, psychiatre intéressé aux idées de Freud et grand-père d’Albert Einstein, avant l’arrivée d’Abraham, il avait fait un an plus tôt une communication tenue pour favorable aux idées psychanalytiques : “Beitrag zu der Lehre von der Psychoanalyse”, Sitzungsbericht des Psychiatrischen Vereins [Berlin] - Contribution à l’étude de la psychanalyse, compte rendu de séance de l’Union Psychiatrique, 14 décembre 1907). Aldabert Czerny (1863-1941), professeur de pédiatrie voit paraître son ouvrage Le médecin comme éducateur (Das Arzt als Erzieher) dans lequel il note qu’une des raisons qui rendent les parents peu aptes à éduquer leurs enfants provient du fait que leur propre enfance s’est effacée de leur mémoire. S. Ferenczi lui rendra hommage dans son texte « Psychanalyse et pédagogie », lu au premier congrès des psychanalystes à Salzburg. Emil Kraepelin adopte devant une assemblée de psychiatres les thèses de l’eugénisme et l’année suivante, il introduira dans la 8e édition de son traité de Psychiatrie - le manuel plus utilisé des étudiants à l’époque - les inquiétudes eugénistes au sujet de la civilisation qui "maintient en vie les inférieurs mentaux et les malades et leur permet le cas échéant de se reproduire". Il est suivi, avant 1914, par d’autres professeurs de psychiatrie, dont Hoche et A. Alzheimer (le découvreur de la maladie qui porte son nom, 1864-1915), qui s’inscrivent à la Société d’Hygiène Raciale, créée par Alfred Ploetz (1860-1940) en 1905 Canada : La clinique de neurologie de Toronto applique la psychanalyse sous la responsabilité celui qui l’a fondée en 1905, Donald Campbell Meyers (1863-1927), formé en Europe, notamment chez Charcot à Paris et chez Ferrier à Londres. L’innovation de Meyers fut sévèrement combattue par le psychiatre E. Ryan. Au point que le gouvernement convoque une réunion sur la psychiatrie européenne. Le psychiatre Charles Kirk Clarke (1857-1924) visite à cette occasion la clinique de Kraepelin. Il permettra à Jones de s’établir au Toronto Lunatic Asylum comme neuropathologue, il y restera jusqu’en 1913. Jones a quitté la Grande-Bretagne où il fut accusé d’avoir parlé en termes crus de sexualité à deux enfants, lorsqu’il leur faisait passer des tests. Bien que blanchi il opte pour le Canada où il rencontrera et plus poussés encore les mêmes réactions d’un puritanisme exacerbé et violent, ourlant tout un ciel de calomnies contre la psychanalyse et sa personne. Jones par la suite voyagera, Londres à nouveau puis deux mois Budapest où il sera sur le divan de Ferenczi. États-Unis : Le forum de l’Association neurologique de New-York qui porte sur les méthodes psychothérapeutiques propose une communication favorable à « la méthode cathartique de Freud ». Jones qui avait quitté Londres pour enseigner à l’Université de Toronto, est invité par Morton Prince à Boston pour parler de psychanalyse devant des médecins et des psychologues concernés par la psychothérapie, il parle devant Hugo Münsterberg (1863-1916, Élève de Wilhelm Wundt à Leipzig, invité par James à venir à Harvard pour diriger le laboratoire de psychologie), Taylor, Isador H. Coriat (1875-1943, qui fut médecin assistant dans le Worcester State Hospital sous la tutelle d'Adolf Meyer. France : le 30 janvier, le Dr. Paul Magnin, professeur à l'Ecole de psychologie, et vice-président de la Société d'hypnologie et de psychologie, donne une conférence « Aucune des définitions actuelles de l’hystérie n’est légitime » où il ne rend hommage qu’à Janet. Parution dans la Revue neurologique (revue belge) de l’article de deux psychiatres français, Adolf Schmiergeld et P. Provotelle, « La méthode psycho-analytique et les Abwehr-Neuropsychosen de Freud ». Dans l’ensemble le texte est favorable à la psychanalyse, mais s’amorce une critique du rapport de l’interprétation aux signifiants propres au discours du sujet. Ils parlent de l’ « exagération où est tombée Freud » pour interpréter le symptôme et condamnent la trop large « fantaisie » des moyens employés : « Avec des jeux de mots, des assocaitions de hasard, des contiguïtés de situation, on pourrait arriver à tout expliquer chez n’importe quel individu.» Le psychologue français Alfred Binet prend langue avec C.G. Jung pour un article de présentation sur L’Analyse des rêves. Jung écrit à Freud : « J’ai déjà fabriqué une petite chose pour Binet, ce n’est naturellement que de l’orientation superficielle, mais écrit de telle façon qu’un français aussi puisse comprendre, pour autant qu’il le veuille. Malheureusement, seuls les psychologues auront la chose entre les mains, elle sera donc sous mauvaise garde… ». Parution du livre d’Abel Rey (philosophe et épistémologue français, 1873-1940) : La philosophie moderne (1908) qui contient un sous-chapitre sur l’inconscient : « Le problème de l’inconscient »[1]. L’auteur ne cite pas Freud ou la psychanalyse, mais enraciné dans la vie passée, essentiellement phylogénétique, que le rêve ou l’hypnose peuvent mener au clair jour : « Seules, certaines circonstances, l’hypnose ou le rêve somnambulique, par exemple, les amèneraient sur la scène, à la place du "moi conscient". Ces "mois inconscients" seraient, comme les instincts et les habitudes, des expériences jadis conscientes, soit dans notre vie passée, soit même, grâce à l’hérédité, chez nos ancêtres. Rey est bien plus proche de Ribot que de Freud. Lénine, tout à fait hostile aux thèses de Freud, fut un lecteur attentif de Rey. Russie : Le Dr Pevnitzky fut le premier Russe à présenter dans une conférence les résultats du traitement réussi de 6 patientes conduit selon la méthode de Freud et Breuer. Le psychiatre Nicolaï Ievgravfovitch Ossipov (1877-1934), assistant à la clinique psychiatrique de l’Université de Moscou, publie dans le Journal de neuropathologie et de psychiatrie « Les vues psychologiques de S. Freud », une recension sur les conceptions freudiennes à travers la littérature allemande de 1907. En 1908 s’ouvre, sous la direction du même Ossipov, un dispensaire de psychothérapie à la clinique psychiatrique de l’Université de Moscou. Ossipov débutera une correspondance avec Freud dès 1910. Avec deux autres psychiatres, Dlovlmja et Asariani, il reçoit deux fois par semaine des patients en consultation externe, et fait parfois des consultations publiques devant un parterre de médecins et d’étudiants en médecine. En 1909, se joignent à eux trois jeunes psychiatres, Rosenstein, Derjabine et Podjpolski. Ce premier centre de traitements « psychanalytiques » fonctionnera jusqu’en 1911. Suisse : Charles Ladame (1871-1949) publie dans l’Encéphale (pages 180-195) “L’association des idées et son utilisation comme méthode d’examen dans les maladies mentales” où la psychanalyse est décrite selon la méthode jungienne. Ce psychiatre se consacrera dès 1915 à la création plastique des patients internés et ouvrira alors le Musée d’art asilaire de la clinique Bel Air, près de Genève. 1909 Freud écrit à Jung le 17 janvier : « Nous avançons donc indubitablement, et vous serez celui qui comme Josué, si je suis Moïse, prendrez possession de la terre promise de la psychiatrie, que je ne peux qu’apercevoir de loin ». Dans un à l’une des rééditions de la Traumdeutung, Freud reprend l’extrait d’une lettre de Friedrich von Schiller (1759-1805) que lui avait indiquée Rank : « Il me semble que la racine du mal est dans la contrainte que ton intelligence impose à ton imagination. Je ne puis exprimer ma pensée que par une métaphore. C'est un état peu favorable pour l'activité créatrice de l'âme que celui où l'intelligence soumet à un examen sévère, dès qu'elle les aperçoit, les idées qui se pressent en foule. Une idée peut paraître, considérée isolément, sans importance et en l'air, mais elle prendra parfois du poids grâce à celle qui la suit ; liée à d'autres, qui ont pu paraître comme elle décolorées, elle formera un ensemble intéressant. L'intelligence ne peut en juger si elle ne les a pas maintenues assez longtemps pour que la liaison apparaisse nettement. Dans un cerveau créateur tout se passe comme si l'intelligence avait retiré la garde qui veille aux portes : les idées se précipitent pêle-mêle, et elle ne les passe en revue que quand elles sont une masse compacte. Vous autres critiques, ou quel que soit le nom qu'on vous donne, vous avez honte ou peur des moments de vertige que connaissent tous les vrais créateurs et dont la durée, plus ou moins longue, seule distingue l'artiste de rêveur. Vous avez renoncé trop tôt et jugé trop sévèrement, de là votre stérilité. » Cette lettre, adressée au juriste Christain Gottfriedd Körner (1756-1831) contient pour Freud un des modèles de l’auto-observation dépourvue de critique, soit la disposition idoine à la règle fondamentale et à l’écoute flottante. Le 10 mars, lors d’une réunion de la Société psychanalytique de Vienne, Adler, seul membre de cette société à appartenir au parti social-démocrate autrichien fait devant Freud, Rank, Federn, Hitschmann, Joachim et Steiner un exposé sur « La psychologie du marxisme ». Sa prestation, ancêtre du freudo-marxisme plaide pour la convergence entre la théorie des pulsions et la lutte des classes. Federn approuve et annonce que « la pulsion d’agression est maintenant entrée dans la conscience de classe ». Freud est bien plus réservé. Parution dans le Jahrbuch… de l’ « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans soit Herbert Graf (1903-1973), fils du musicologue et membre du cercle viennois de Freud, Max Graf) » (« Analyse der Phobie eines fünfjahrigen Knaben ») et de « Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle, l’Homme aux rats » (« Bemerkungen über einen Fall von Zwangneurose »). Ce dernier cas est celui de Ernst Lanzer (1878-1914) un ami du frère de Freud, Alexandre. Parution des « Rémarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa », par Freud. Ce long commentaire des mémoires de D.P. Schreber est considéré comme une des clefs de voûte de la théorie de la psychose chez Freud. Le psychanalyste lit le texte de Schreber en y apposant la marque de ses théories et reconstruisant parfois. Ainsi on trouve difficilement traces del’amour homosexuel que Schreber aurait porté à Flechsig dans les Mémoires d’un Névropathe, cette fameuse autobiographie. Freud, dans la lancée de la seconde édition de la Traumdeutung, s’attache à recenser les symboliques fixes du rêve parlant de la possibilité de rédiger un recueil des symboles du rêve. Mais il rajoute lors de la réunion de la Société du mercredi, le 28 avril que la recension d’un tel catalogue « d’éléments récurrents »ne peut se faire « qu’à condition de supposer que là où on ne trouve rien, c’est qu’il y a quelque chose de sexuel ». V. Yausk est admis, le 3 novembre, àa la Société psychanalytique de Vienne, une semaine après y avoir été invité. Grete Meisel-Hess (1879-1922), la première disciple féministe de Freud à Vienne expose quelques-unes des thèses de Freud pour soutenir que le patriarcat repose sur la domination sexuelle. A la différence du psychanalyste, elle prône l’indépendance économique des femmes. Allemagne : Max Ernst (1891-1976) commence des études de philosophie à l'université de Bonn ; il est attiré par la psychopathologie et l'art des aliénés. Il lit Freud, l’anarchiste Max Stirner, Dostoïevski, Nietzsche. Adolf Albrecht Freidländer (1870-1949), neurologue autrichien, naturalisé allemand en 1903 et qui fut l’assistant d’Otto Binswanger, lance des flèches empoisonnées contre la psychanalyse, n’attribuant son succès qu’à une particularité de la « mentalité viennoise » à toujours mettre la sexualité comme cause principale des conduites humaines. Juillet : Le neurologue Hermann Oppenheim appelé à « entre en guerre » contre la psychanalyse et sa diffusion. Australie : Freud reçoit une lettre de Sydney lui apprenant qu’un petit groupe étudiait avec ferveur ses œuvres. En même temps, le pasteur presbytérien Donald Frazer est démis de son ministère en raison de ses sympathies hautement exprimées pour les thèses de Freud. Belgique : F. Boulenger, dans le Bulletin de la Société mentale de Belgique, donne sa version de la psychanalyse freudienne entièrement confondue abvec les thèses de Janet : la névrose étant le résultat de la dissociation d’idées mentales subconscientes. Espagne : Le philosophe, essayiste et homme de presse José Ortega Y Gasset (1883-1955) publie un long texte, “La psychanalyse, une science problématique”. L’auteur est un philosophe important, pour certains un des précurseurs de l’existentialisme, qui s’est également formé en Allemagne. Il sera l’auteur de La révolte des masses (1929). Par le biais de la Revisita da Occidente, il tentait d’exposer et de défendre les principaux courants de la pensée scientifique et philosophique de langue allemande. Etats-Unis: Freud s’y rend en septembre en compagnie de Jung invité suite à la défection d’un des findateurs de la psychologie de l’éducation en Allemagne, Ernst Freidrich Meumann (1862-1915) et de Ferenczi qui voyage à ses frais. Ils embarquent sur le luxueux paquebot George Washington, et analysent mutuellement leurs rêves. Dans une lettre datée du 10 janvier, Freud avait écrit à Ferenczi que lorsque les américains découvriront les « soubassements sexuels de notre psychologie nous devrions très vite être mis à l’index ». Freud a la surprise de découvrir un garçon de cabine dévorant la Psychopathologie de la vie quotidienne. Contrairement à ce qui reste encore colporté, Freud n'a jamais confié à Jung qu'il allait apporter la peste aux Américains. Il lui a juste dit (interview de Jung datant de 1953) alors que la bateau entrait au port de New York "S'ils savaient ce que nous leur apportons !". La puissance invitante est Granville Stanley Hall professeur de psychologie et président de la Clark University de Worcester (Massachusetts), qui marque ainsi le 20e anniversaire de cette université. G. Stanley Hall reçut le premier doctorat de psychologie de Harvard (dir. W. James) et créa en 1887 l’American Journal of Psychology. Hall avait d’abord songé à faire venir Wilhem Wundt qui a refusé, et ce n’est que sous la pression qu’exerce Jung qu’il se tourne enfin vers Freud. L’anthropologue Franz Boas (1858-1942), formé à la Clark University, intervient dans ce cycle de conférences en exposant un travail sur quelques problèmes psychologiques en anthropologie (Boas est la première grande figure de l’anthropologie à récuser la thèse de l’évolutionnisme, ce qui le rendra peut tolérant aux fictions anthropologiques de Freud. On lui doit l’introduction des termes de relativisme culturel et de particularisme historique. Ses élèves prestigieux sont fort nombreux dont Alfred Louis Kroeber, Robert Harry Lowie, Edward Sapir, Margaret Mead et Ruth Benedict). Jung et Freud y font des communications et y sont faits docteurs honoris causa. Freud y prononce lesCinq leçons sur la psychanalyse. Freud, stigmatisant la vogue des cures mentales d’inspiration religieuse, ose la comparaison entre les thérapeutiques de suggestion et les techniques des medecine-men amerindiens. Les conférences de Jung traitent des études d’associations diagnostiques et les “Conflits de l’âme enfantine”. Le psychologue japonais, Hikozo Kaki, fait partie de l’auditoire et il sera le premier ambassadeur réellement averti de la psychanalyse au Japon. La Clark University nomme Freud Docteur en droit. L’auditoire compte aussi le psychologue Edward Titchener, Adolf Meyer, William James qui s’y rend bien que souffrant d’une angine de poitrine et s’entretient longuement avec Jung à propos de la parapsycholgie et James Jackson Putnam. Des spécialistes des sciences physiques assistent aussi aux conférences dont Ernest Rutherford (1871-1937), le père de la physique nucléaire célèbre pour ses travaux sur la structure de l’atome et la radioactivité. Emma Goldman, la célèbre libertaire russe connue pour ses écrits et ses thèses féministes (1869-1940) assite à une des conférences de Freud qu’elle avait déjà écoutée en lors d’un voyage à Vienne en 1895-1896 alors qu’elle étudiait les textes de Nietzche et suivait une formation pour être sage-femme. Freud visite New York avec Ernest Jones et avec Abraham Arden Brill, qui les accueille à leur arrivée le 27, et les guide dans New York. Il se lie d’amitié avec James Jackson Putnam qui est alors professeur de neurologie à l’Université de Harvard. Putnam écrira à Freud : « Votre visite a eu sur moi un profond retentissement ; je travaille et je lis vos écrits avec un intérêt toujours plus marqué. » Putnam annonce à Freud que le débat sur la formation sexuelle des enfants est vif à Boston. À l’occasion de ce voyage, Freud se rend à une séance de cinéma pour la première fois. Ernest Jones souligne le contraste entre le manque d’intérêt du psychanalyste pour ce divertissement et l’enthousiasme juvénile qu’exprime Ferenczi. Première traduction américaine par Brill de quelques parties des Etudes sur l’hystérie. Parution de la revue Psychotherapy qui vante les mérites d’une psychologie, d’une médecine et d’une religion saines. Traduction de l’ouvrage de Paul Dubois, Psychic treatment of Nervous Disorders. Ce texte qui critique acerbement l’hypnose, technique accusée de porter atteinte à la dignité du patient, palide en revanche pour la psychothérapie. Le monde diffus et confus des psychothérapeutes se prépare à recevoir le freudisme. Pour mieux situer le voyage de Freud aux Etats-Unis, nous mentionnons deux témoignages qui peuvent ne pas être strictement contemporains de ce séjour. D’une part ce que Roland W. Clark relate d’une conversation avec l’écrivain socialiste américain Max Eastman (1883-1969) dans laquelle Freud aurait dit : « Peut-être que vous êtes behavioriste. Selon votre Watson, même la conscience n’existe pas. Mais c’est tout bonnement stupide. C’est absurde. La conscience existe de toute évidence et partout –sauf peut-être en Amérique ». D’autre part l’anecdote relatée par Fritz Wittels d’un homme qui suggère à Freud de rejoindre les psychologues de la mesure et la psychologie dite scientifique. Pourquoi ne pas mesurer la libido comme on le fait de l’électricité qui s’exprime en ohms, puis en ampères et en volts ? et pourquoi ne pas nommer l’unité de mesure « un Freud » en l’honneur du découvreur. Freud mime le plus vif intérêt, complimente l’inventeur pour son idée et termine ainsi sa réponse : « Je ne comprends pas assez de physique pour donner un jugement fiable en la matière. Mais si vous me permettez de vous demander une faveur, n’appelez pas votre unité par mon nom…J’espère mourir avec une libido non mesurée ». France : Dans L’Année psychologique, Binet publie un article de Jung sur les rêves où est soigneusement décrite le méthode psychanalytique. Cette revue a été fondée en 1894 par Binet et par Beaunis, un des fondateurs de l’Ecole d’hypnose curative de Nancy. Janet, dans son livre, Les névroses, relègue Breuer et Freud au rang de suiveurs de ses propres travaux. Angelo Hesnard (1896-1969) soutient sa thèse portant sur Les Troubles de la Personnalité dans les États d’asthénie Psychique sous titrée « étude de psychologie clinique » . Le président du jury est E. Régis auquel la thèse est dédiée. Hesnard y cite Freud (le texte sur la Névrose d’Angoisse), tout en se voulant fidèle à la double descendance de Charcot (côté psychiatrie, côté psychologie). Ses indications en matière de psychothérapie sont aussi lacunaires que sommaires, elles reflètent peut-être ce qui du traitement moral survit de la plus restrictives des façons "Une indication principale présidera à toute cette direction mentale: le devoir pour le malade de se refuser à l'introspection, de se distraire de ses sentiments, de s’extérioriser...". La thèse montre que la dépersonnalisation est liée à l’asthénie psychique, qu’elle est au début d’une dissolution de la cohérence mentale, dissolution se traduisant par un estompage de la personnalité actuelle ce qui permet la libération d’automatismes inconscients rendant possible le symptôme obsédant. Suisse : 6ème congrès international de psychologie à Genève, sous la présidence de Théodore Flournoy, un des thèmes abordés est le subconscient. 1910 Jones propose à Freud dans une lettre datée du 12 février de se lancer dans une collecte de rêves typiques. Revient ainsi une des idées de Freud qui enchante certains de ses disciples : la collecte de la symbolique du rêve. Idée qu’enterrine cette même année le Congrès International de Psychanalyse qui va confier la réalistion d’une telle collecte à Stekel, Abraham et Maeder, soit des représentants des groupes de Vienne, Berlin et Zurich. Ce deuxième Congrès a lieu les 30 et 31 mars à Nuremberg, organisé par C. G. Jung qui sera absent (nouveau voyage en Amérique). En prévision de ce Congrès, Freud invite Alfred Adler à prende la parole devant la Société psychanalytique de Vienne sur la question de savoir si n’importe quelle vision du monde est compatible avec la psychanalyse ou si cette dernière a besoin de conditions politiques et de choix politiques particuliers. Adler a pour épouse une socialiste d’origine russe Raïssa Epstein. Il fréquente un peu Léon Trotsky (1879-1940), alors en exil à Vienne, a en thérapie le bolchévick Adolf Joffé et collabore régulièrement au quotidien socialiste publié à Vienne, l’Arbeiter-Zeitung. Ferenczi émet le souhait que le Congrès prenne en compte « l’importance sociologique de nos analyses ». Freud est inquiet en raison de l’absence de Jung, il y fait une communication « Sur les perspectives d’avenir de la thérapeutique analytique » où il parle de techniques actives mentionnant, pour la première fois, le terme de « contre-transfert » et se montre optimiste quant à l’effet de la psychanalyse sur l’éducation et, partant, sur le développement de l’histoire du sujet. Jung y propose la communication « complexe du nègre américain », qu’il avait élaborée l’année précédente lors du voyage aux Etats-Unis. Le 3 avril, Freud peut cependant écrire à Ferenczi : « Pas de doute qu’il n’ait été extraordinairement réussi […] J’ai l’impression que l’enfance de notre mouvement s’achève avec le Reichstag de Nuremberg. Reste à espérer que la période de jeunesse sera fructueuse et belle. » Sa lettre à Jones du 15 de ce même mois confirme : « Nuremberg a été une réussite ». Le 21 avril, dans une lettre adressée à L. Binswanger, Freud reprend l’expression « Reichstag de Nuremberg ». Le congrès eut une conséquence importante : la fondation, à la suite d’une proposition de Ferenczi, de l’Association Internationale de Psychanalyse (International Psychoanalytic Association, IPA), rassemblant les Ostgruppen (groupes de l’Est) de Zurich, Vienne et Berlin, avec Jung pour président (désigné par Freud), Riklin pour secrétaire et Zurich, la ville-domicile du président, pour siège. Les sociétés de psychanalyse existantes deviennent des sections locales de l’Association Internationale, des statuts sont acceptés. Le choix de mettre en place une organisation indépendante ne fut arrêté que peu de semaines avant le congrès. Freud avait pensé auparavant que les psychanalystes pouvaient s’affilier à l’« Ordre international pour l’éthique et la culture », créé par le pharmacien suisse A. Knapp et il s’en ouvre à Jung dans une lettre datée du 13 janvier. Ce dernier et Riklin sont nommés rédacteurs de l’organe officiel de l’Association, le Korrespondenzblatt (Le Bulletin), qui devait paraître chaque mois. Le premier numéro sort en juillet. Freud doit alors faire preuve de diplomatie avec les membres de la Société Psychanalytique de Vienne. Il veut faire de Zurich le centre du mouvement psychanalytique et confier à un non-juif (c’est-à-dire à C. G. Jung) la direction de cette nouvelle association. Divergences, tensions, inquiétudes chez les Viennois fidèles (Hitschman). Freud apaise la Société viennoise. Il nomme Adler à sa place en position de présidence et propose, en partie pour concurrencer le Jahrbuch (Revue annuelle) de Jung, la parution d’une revue mensuelle, le Zentralblatt für Psychoanalyse, Medizinische Monatsschrift für Seelenkunde (Feuille centrale de psychanalyse, Mensuel médical de psychologie), dont Adler et Stekel sont rédacteurs en chef, le directeur de rédaction, Freud et l’éditeur, J. F. Bergmann à Wiesbaden. Deuticke, qui jusqu’alors avait édité Freud, refusa d’assurer la publication du Zentralblatt en prétextant que le concours de Stekel risquait d’enlever à la revue son caractère scientifique. Cet organe de publication devient, rapidement, avec Stekel un bureau d’enregistrement de petits bruits autour de la psychanalyse où, aux analyses le plus souvent sommaires et plaquées de rêves et de lapsus, se mêlent rumeurs et commerages et exercices de psychologie récréative. Le 6 avril, lors d’une réunion de la Société de Vienne qui fait le bilan du congrès de Nuremberg, Tausk se montre très réservé au sujet de la nécessité de mettre en place une organisation particulière pour la défense et la diffusion de la psychanalyse, en mettant en garde contre le caractère de religion scientifique que pourrait apporter une telle orgnisation. Il exprime « le sentiment que quelque chose de très triste est en train de se passer ». Lors de ses vacances en Hollande, malgré son habitude de n'accepter aucun rendez-vous professionnel, Freud répond à un appel du compositeur Gustav Mahler (1860-1911) qui souffre de troubles sexuels. Il le « psychanalyse » pendant quatre heures, le 26 août, lors d’un après-midi de promenade à travers la ville de Leyde. C’est Alma Mahler qui a persuadé Gutav de consulter Le processus créateur chez le musicien est analysé ainsi que ses liens avec le symptôme sexuel. Jones relate ainsi cette thérapie brève : « Au cours de la conversation, Mahler déclara soudain qu'il comprenait maintenant pourquoi sa musique n'atteignait pas les plus hauts sommets de l'art. Les passages les plus grandioses, ceux qui étaient inspirés par les émotions les plus profondes, se trouvaient gâchés par l'intrusion de mélodies banales. Le père de Mahler, personnage sans doute brutal, maltraitait sa femme et Mahler enfant avait été témoin d'une scène de ménage particulièrement pénible. La situation lui paraissant intolérable, le jeune garçon s'enfuit de chez lui. Mais à ce moment là, il entendit, dans la rue, une hurdy-gurdy jouer l'air populaire viennois : Ach, Du lieber Augustin. Mahler pensait que le rapprochement entre un sombre drame et un amusement léger s'était à tout jamais fixé dans son esprit et que l'un des états d'âme devait inévitablement entraîner la survenue de l'autre ». Puis Freud voyage en Sicile en passant par Paris, Rome et Naples, en compagnie de Ferenczi, qui sera pendant de longues années son ami le plus proche et son fidèle compagnon de voyage. Été : parution du premier demi-tome du Jahrbuch (Tome 2, 1° cahier ; articles d’Abraham, Jung [2 articles], Maeder, Pfister, Assagioli, Neïditch, Freud) le 21 octobre à l'assemblée administrative de la Société viennoise. À Adler est élu président et Stekel vice-président, Steiner trésorier, Hitschman bibliothécaire et Rank, secrétaire. Création de la Société psychanalytique de Vienne. Isidor Sadger se prononce contre l’admission des femmes. Freud qualifie cette position de « grave inconséquence » et il s’y oppose très nettement. Adolf Josef Storfer (1888-1944) journaliste et éditeur d’origine roumaine, entre en rapport avec Freud en lui adressant son texte « Au sujet du rôle primordial du meurtre du père », que Freud publie cette année là dans les « Ecrits de psychologie appliquée ». Storfer qui eut des contacts avec les membres de la Société psychanalytique de Vienne ne pratiquera jamais la psychanalyse. Hiver : publication du livre de Hitschmann Les théories de Freud sur les névroses, qui est un abrégé assez complet des thèses psychanalytiques de ce temps. Ce livre est bientôt traduit en anglais. Allemagne : à Hambourg, les médecins allemands adoptent une résolution dans laquelle les sanatoriums pratiquant la méthode du traitement freudien sont à boycotter.. Cette même action offensive contre la psychanalyse se poursuit en octobre 1910. Lors d’un Congrès de neurologie de Berlin, Herman Oppenheim appelle à un boycott des maisons de santé qui pratiquent cette thérapie..Le psychiatre Alfred Erich Hoche (1865-1943), qui se montrera deux ans plus tard un propagandiste de l'eugénisme écrit : « De façon étonnante, un grand nombre de disciples, en partie carrément fanatiques, se sont ralliés à présent à Freud et le suivent où qu'il les mène. Parler à ce propos d'une école freudienne serait en réalité complètement déplacé, dans la mesure où il n'est pas question de faits scientifiquement probables ou démontrables, mais d'articles de foi ; en vérité, si j'en excepte quelques têtes plus pondérées, il s'agit d'une communauté de croyants, d'une sorte de secte » . En mars 1910, affiliation de la Société Berlinoise de Psychanalyse à l’Association Internationale. Grâce aux efforts de Karl Abraham, le groupe des psychanalystes allemands prend une importance croissante dans le mouvement ; ce qu’indique le choix des lieux de congrès internationaux Salzburg en 1909, Nuremberg en 1910, Weimar en 1911, Munich en 1913.. Amérique Latine : Brill introduit la psychanalyse à Cuba. Freud reçoit de la Havane la traduction par le Dr. Fernandez d’un essai de lui (Freud à Jung, le 5 juillet). Au congrès international de médecine à Buenos Aires un médecin d’origine chilienne (Germàn Greve Schlegel) se déclare en faveur de l’existence de la sexualité infantile, il expose également les idées de Freud sur la libre association. Schlegel publie au Chili le premeir article connue en Amérique Latine à traîter de la psychanalyse « Sobre psicologia y psicoterapia de Ciertos Etats-Angustiosos ». Freud mentionnera en 1914 cet article dans sa Contribution à l’histoire du mouvement psychanlaytique. Belgique : les 7 et 8 août 1910 à l'occasion du premier congrès de médecine psychologique et de psychothérapeutique, organisé par le psychiatre berlinois Oskar Vogt, Ernest Jones et le neurologue Leonhard Seif (1866-1949) parlent, respectivement des effets thérapeutiques de la suggestion et de la valeur de la méthode psychanalytique.L’ancien médecin militaire néerlandais, Albert Willem van Renterghem (1845-1939), publie dans une revue belge, le Journal de neurologie un texte assez documenté sur la psychanalyse « Freud et son école : nouveaux essais psychologiques ». Il ne voit cependant dans la cure qu’une « éducation psychique » soumettant à l’ « action désinfectante de la conscience éclairée », la « fange de la vie inconsciente ». Il voit en Jung celui qui parachèvera l’œuvre de Freud. Van Renterghem avait fondé en 1907 une clinique de psychothérapie suggestive aux Pays-Bas, à Amsterdam, avec le Dr. Frederik van Eeden (1860-1932), psychiatre, écrivain et réformateur social. Etats-Unis : Putnam publie (Journal of Abnormal Psychology) une série d'articles sur la visite de S. Freud à Worcester. Granville Stanley Hall consacre lui aussi à la visite de Freud et à la psychanalyse le numéro entier d'avril duAmerican Journal of Psychology, qui contiendra les conférences. Freud écrit à Putnam « pour le prier de prendre la direction de la Section américaine » (Freud à Jones 03/07/10). Jones est élu membre de l'American Neurologic Association. Le 17 mai, Freud à C.G. Jung : « J'ai trouvé ici aujourd'hui une longue lettre de Washington, de Jones, avec des rapports sur les événements excitants dans l'ensemble pleins de succès de l'American Psychopathological Association du 2 mai. Putnam semble avoir de nouveau été très brave, et Jones lui-même rattrape ses ambiguïtés des années précédentes par un zèle infatigable, de l'adresse, et, j'aurais presque dit de l'humilité, cela est très réjouissant. Il tient la fondation d'un groupe local américain pour très difficile pour l'instant, ou pour possible formellement seulement, mais ce sont là des soucis de gouvernement, qui vous incombent ». En mai, Freud devient membre de l'Association Américaine de Psychologie, fondée le lundi 2 mai et forte de 40 membres. Dans Sur l'histoire du mouvement psychanalytique (1914), Freud notera que « Le fait caractéristique, là-bas, a été que, dès le commencement, des professeurs et directeurs d'asile d'aliénés ont pris part à la psychanalyse dans la même mesure que des praticiens indépendants… ». Le 2 mai, l’Association des psychopathologues américains voit le jour à Boston dans l’optique de réunir des médecins et des psychologues intéressés par la psychologie « anormale ». Prince y développe son admiration pour Freud. Parution des Etudes sur l’hystérie et des Trois essais… Brill ayant obtenu de Freud l’exclusivité de la traduction de ses œuvres pour les Etats-Unis. France : Les Docteurs Paul Meunier et René Masselon publient chez Blond, à Paris, Les Rêves et leur interprétation. Freud y est passé sous silence au profit d’une analyse des rêves « familiers » censés révèler réellement l'émotivité profonde d'un sujet, sa tonalité émotive indivi-duelle ainsi que la forme que prend l’essentielle émotivité de chacun pour grouper les représentations et construire une synthèse mentale. Les rêves font souvent, selon eux, retour à l’enfance, âge où la vie émotionnelle s’est éveillée et souvent fixée. Paul Meunier reveindra sur les grands lignes de livre en 1912, dans le Journal des débats politiques et littéraires. Henri Bergson intitule son cours du Collège de France « Théorie de la personne ». Selon les notes d’un auditeur il « voit une part de vérité dans l’interprétation des rêves récemment donnée par Freud ». Alfred Binet et son collaborateur le docteur Théodore Simon (1873-1961) exposent à leur façon la méthode psychanalytique comme une méthode qui va fouiller de plus en plus profondément dans les souvenirs de l’enfance (« L’hystérie », Année psychologique, 1, p. 94). L’hypnose déjà grandement abandonnée par Freud au profit du dispositif de cure, est en France comme ailleurs, une technique de moins en moins prisée par le monde médical et psychologique. Une de ses dernières places fortes en matière d’édition, La revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique, change de titre pour se muer en Revue de Psychothérapie et de psychologie appliquée. Grande-Bretagne: Parution du livre de Frazer, Totémisme et exogamie, lu attentivement par Freud. Parution dans un volume de la revue de neurologie Brain (n° 33 : 339-366) d’un essai que Jones qualifie de « magistral », « La conception freudienne de l’hystérie », dû à Bernard Hart et fort louangeur pour la psychanalyse, auquel fit suite une bibliographie incluant 281 titres d’ouvrages de psychanalyse Hongrie : Parution de Lélekelemzès (Psychanalyse) premier ouvrage en langue hongroise concernant la psychanalyse, un recueil d’articles de S. Ferenczi dont la lecture amènera S. Rado à la psychanalyse. En mai-juin, à Budapest, Ferenczi propose un cycle de 12 cours de psychanalyse, à raison de 3 par semaines, de 21h à 23h - l’un de ses cours se fait dans un bois, en raison d’une canicule, le public regroupe quelques étudiants de médecine vite rejoints par des « laïques » : musicologues, juristes, philosophes. Le poète Dezsö Kosztolànyi (1885-1936) publie son cycle de poèmes Plaintes d’un pauvre enfant, imprégné des idées freudiennes. Ce cycle qui évoque l’enfance provonciale du poète, hanté de fantasmagories et d’angoisses, s’enrichira de poèmes successifs au fil des années. Inde : on trouve à Calcutta une sélection des textes de Freud, dans une traduction anglaise approximative due à Brill. Owen Berkeley-Hill, (1879-1944) médecin major qui est entré dans l’élite de l’Indian Medical Service au Bengale est un psychanalyste britannique analysé par Jones puis ultérieurement par Bose. Il commence des cures avec des patients indiens dès 1910. Il exercera par la suite à Bombay et, marié avec une Hindoue, il restera en Inde jusqu’à sa mort. Italie : Roberto Assagioli (médecin et neurologue, 1888-1974) qui a rencontré Jones en 1908 et a suivi à Zurich l’enseignement de Jung, soutient la première thèse de médecine sur la psychanalyse, dirigée par le psychiatre Eugenio Tanzi (1856-1934, il se montrera assez grossièrement hostile à la psychanalyse). Assagioli n’accepte pas complètement la théorie de la sexualité, reprochant à Freud de ne pas accorder suffisamment d’importances aux instincts non sexuels. Il se montrera très attiré par la méthode Coué et plaidera pour la complémentarité de cette approche avec la psychanalyse. Russie : Ossipov rend visite à Freud. En Russie, il fonde la Bibliothèque psychothérapeutique. La revue Psychotherapia, fondée en 1909 et qui sera publiée de 1910 à 1917, pour un total de trente numéros, diffuse sous la direction du médecin militaire Nikolaï A. Vyroubov les premiers témoignages de cures analytiques conduites par des praticiens russes ainsi que quelques-uns des textes techniques de Freud. Elle publie aussi des travaux de psychothérapeuthes favorables à la psychanalyse dont Paul Dubois et Johannes Marcinowski. Suisse : à Zurich, Bleuler publie sa défense de la psychanalyse, La psychanalyse de Freud, qui ne donne pas satisfaction à Freud. L’Association psychanalytique zurichoise est fondée en 1910, elle est issue de la Gesellschaft… fondée en 1907. Apparemment, les membres fondateurs de cette association ne souhaitaient pas tous rejoindre les rangs de l’Association Psychanalytique Internationale. Selon un rapport de Jung à Freud (17 juin), Binswanger déclarait « n’accepter la présidence que si toutes les séances étaient communes avec les non-membres ». Freud jugeait cette situation « tout à fait intenable » (lettre à Jung du 19 juin). Jung à Freud, le 10 mai : « Je ne pouvais réellement rien faire contre cette décision. Mon autorité n’y a pas suffi. À part Rilkin, tous les autres, Bleuler et environ neuf membres, voulaient faire entériner la décision suivante : pour la période de transition, des conditions spéciales devaient être créées. En même temps s’exprimait l’espoir que ces messieurs allaient réfléchir et accepter. » La nouvelle association compte 19 membres à ses débuts. Olivier Douville [1] Une dizaine de pages sur 369 est consacré à ce sujet (Rey Abel (1908), La philosophie moderne, Paris, Flammarion, pp. 274-283). |
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Universalité du complexe d’Œdipe ? controverses et perspectives
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Des exils : violences de l’histoire et destinées singulières Olivier Douville, le 9/02/2016
Des exils : violences de l’histoire et destinées singulières
Olivier Douville, le 9/02/2016 à la bibliothèque de LYON
Conférence à écouter en allant sur :
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4 haïkus de 中村 草田男 (Kusatao Nakamura, 1901-1983)
4 haïkus de 中村 草田男 (Kusatao Nakamura, 1901-1983) Ma femme - Elle porte notre enfant Pareil à la lune croissante. Le feu brûle les herbes Et vient nous lécher. Un enfant le reléche. Manger du raisin Une grappe après l’autre Comme une grappe de mots. La barrière se dresse Dans le champ, demeure des serpents. Une femme coud une robe. |
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Ernest Dupré : " Les mendiants thésauriseurs" (1913), un texte rare présenté par Olivier Douville
Les mendiants thésauriseurs
Ernest Dupré
Présentation
La notion d'exclusion connaît de nos jours une extension remarquable et qui tend vers une dilution des questions cliniques. Dans le cadre d'une investigation clinique, la vieille notion de complémentarisme (G. Devereux) peut encore être actuelle. Une traduction de la souffrance psychique dans des conduites qui intéressent d'abord le champ dit du social doit s'expliquer en fonction d'un modèle sociologique et d'un modèle psychologique. Déterminisme social et causalité psychique s'entrecroisent sans se recouvrir. Nous avons, en tant que cliniciens, trop l'habitude et l'usage des savoirs qui, faute de cette épistémologie, offrent un statut strictement clinique ou psychopathologique – ce qui n'est guère mieux – à des effets d'exclusion. Se rangent, par exemple, dans ces fallacieux préjugés nos conceptions déficitaires de la psychose.
L'affinité entre isolement psychotique et marginalité sociale peut être soulignée, ce d'autant plus qu'elle est d'actualité dans les sociétés de cruauté sociale comme l'est la nôtre. Nous devons insister sur la difficulté subjective qui résulte du fait de ne plus pouvoir donner le change dans un champ social marqué par la ruine des illusions et des semblants. Pour autant, la question des biens et de l'argent, biens et argent non destinés à l'échange et, à partir de là, la signification anthropologique et psychique de la monnaie et de l'objet méritent aussi une étude particulière. Nombreux sont les psychotiques chroniques qui se font les thésauriseurs et les suppôts d'une modalité de présentification de l'objet anal. La notion oxymorique de « mendiant-thésauriseur » telle que Dupré l'a établie au début de ce siècle est tout à fait pertinente. La monnaie s'y présente sans le fard qu'y appose son principe d'équivalence généralisée. Monnaie increvable, plus que vivante, elle s'encadre dans le réel soit comme déchet soit comme source d'une fascination sans leurre. Dois-je préciser que le psychiatre ne se pose pas en observateur des misères de son temps, alors que son texte peut nous en donner, encore aujourd'hui, un poignant aperçu ? Si nous avons fait le choix de rééditer cet article, c'est bien parce que Dupré éclaire, à contre-jour, le pulsionnel de ce qu'il y a de réalité impartageable dans les biens et dans la monnaie, ces termes que nous utilisons comme de bien entendu dès que nous sommes dans le vœu de guérir le lien social.
Il va de soi que toute lecture de cette texte qui plaiderait pour une psychologisation de la souffrance sociale ou, à l'inverse, pour une lecture purement sociologique de la psychose, vaudrait pour une erreur et sans nul doute pour une faute. Car bien sur, ce n'est pas dans n'importe quelle erre du temps que la folie erre dans la misère de le thésaurisation insoupçonnée ou de la déchéance la plus drastique. Ce n'est pas dans n'importe quel contexte groupal que les mélancolies des thésauriseur les mènent au dépérissement.
Ce texte a paru pour la première fois dans le Paris Médical (juin 1913). Il a été réédité dans Pathologie de l'Imagination et de l'Émotivité, Payot, Paris, 1925, pages 429 à 444.
Olivier Douville
Les mendiants thésauriseurs
Ernest Dupré
« Sous ce titre, qui, dans le contraste de ces deux mots, évoque l'association paradoxale de la misère et de la richesse, peut être esquissée l'histoire d'une catégorie de déséquilibrés, de psychopathes, atteints d'une variété spéciale de perversion instinctive, et dont le grand public entrevoit souvent, à la lecture des fait divers de la presse quotidienne, l'étrange odyssée et la fin lamentable.
Il s'agit de vieillards, maigres, d'aspect cachectique, offrant tous les stigmates de la misère la plus ancienne et la plus profonde, vêtus de guenilles sordides, vivant, dans un taudis souvent infect, des subsides de la charité privée et de l'Assistance publique. Ces malheureux, réduits au minimum de la nourriture, du vêtement et du logement, mangent les quelques morceaux que leur donnent leurs voisins, ou qu'ils recueillent aux soupes populaires, à la porte des casernes, des restaurants, des boulangers etc. Ils mendient sur la voie publique, où la pitié des passants s'éveille à la vue de ces pauvres vieillards, épuisés de faim et de froid, véritables spectres de la misère et de l'iniquité sociales ; ils sollicitent des secours, le plus souvent accordés après enquête sur leur véritable sort, dans les Mairies, dans les œuvres de la charité privée, dans les offices de l'Assistance religieuse : catholique, protestante et israélite.
Isolés, sans parents ni amis qui s'intéressent à eux, ces sujets habitent, souvent par tolérance du propriétaire, la même chambre, depuis des années, et sont connus de leurs voisins, sinon dans leur vie passée et leurs relations antérieures, qui demeurent toujours plus ou moins mystérieuses, au moins dans leur situation misérable et leur dénuement, dont tout l'entourage témoigne aux inspecteurs et aux dames visiteuses. Lorsqu'un de ces solitaires meurt, il arrive parfois que le voisins se cotisent pour déposer, comme une dernière offrande au malheur, une couronne sur le corbillard des pauvres.
Or, après la mort, à l'occasion des formalités de l'ensevelissement du coprs, ou du déménagement de la chambre, que révèle l'intervention des tiers ? On découvre l'existence d'un trésor, souvent d'une véritable fortune, plus ou moins soigneusement dissimulée dans une cachette : fond de placard, laine de grabat, doublures de vêtement, vieux pots enfouis dans un poêle hors d'usage, sous un amas de hardes, dans la terre même, etc. La somme trouvée varie entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers de francs, dépasse souvent cent mille francs, et atteint parfois un chiffre plus considérable. Elle consiste en liasses de billets de banque, de titres et de coupons, souvent en rouleaux d'or et d'argent, en amas de pièces, soigneusement réunis par espèces, et classés par valeurs. Les papiers sont presque toujours sales, graisseux, usés par les frottements, déchirés au niveau des plis, souvent cousus entre eux ou dans des poches de gilet, de robe, de jupon. Très rarement, on trouve, avec l'argent en nature, des objets de valeur, tels que des bijoux ou des dentelles, etc.
On juge du scandale et de la surprise de l'entourage ; de l'attitude et des propos de ceux qui, pendant de si longues années ont été trompés dans leur bonne foi et exploités dans leur charité par ces faux pauvres qui possédaient sous les dehors de la misère, plus d'argent que tous ceux dont ils sollicitaient l'aumône !
Le mendiant thésauriseur meurt, comme il a vécu, dans la solitude, le secret et la privation volontaire de soins et d'aliments. Comme on le verra par les observations qui suivent, ces sujets disparaissent à peu près tous de la même manière ; et, à l'occasion de leur mort, se déroule autour de leur cadavre, la même série invariable de réactions de la part de l'entourage.
Depuis plusieurs jours, les voisins n'ont pas vu sortir et errer dans le quartier le vieux ou la vieille que chacun connaît : on s'inquiète, on frappe en vain à la porte fermée du logement ; enfin, on ouvre, avec ou sans intervention du commissaire de police, et on découvre, dans un tableau saisissant d'horreur, le cadavre squelettique, plus desséché que putréfié, de l'avare, que le médecin de l'état civil déclare avoir succombé à l'inanition et à la faiblesse, et, si le temps est rigoureux, à l'action du froid.
Le mort, le plus souvent vêtu de ses hardes, est étendu sur son grabat, dans lequel on trouve, en mettant au jour la fortune qu'il recèle, le secret de la vie et de la mort de son possesseur, tué par l'avarice sur son trésor.
Je rapporte ici sans indications de noms ni de dates, quelques articles, extraits depuis plusieurs années de la presse quotidienne, où chaque histoire figure sous l'un de titres significatifs suivants : "La mort de l'Avare", "Le magot de la mendiante", "Une fortune dans une paillasse", "Fausse misère", "Un trésor dans une péniche", “Un avare tombe d'inanition", "La mort de Mme Harpagon", "L'amour de l'or plus fort que la mort", "Les 7600 de la Miséreuse", "16 400 francs dans un taudis", "Misérable et Millionnaire", etc.
La lecture de tous ces récits, calqués, pour ainsi dire, les uns sur les autres, démontre bien l'uniformité et la rigueur des lois psychologiques qui président, avec un déterminisme aussi invariable à la genèse de telles situations :
I. - Une bonne vieille femme de 74 ans, qui vivait de la charité publique et d'un modeste secours de 30 francs que lui avait accordé l'Assistance publique, habitait depuis de longues années dans une chambre modeste, au cinquième étage, 37 bis rue Rébéval.
La concierge de l'immeuble se rappela hier, qu'elle n'avait pas aperçu sa locataire depuis trois jours. Très inquiète, elle frappa à la porte de la sexagénaire et, n'obtenant pas de réponse, s'en fut quérir un serrurier.
La cadavre de la pauvre vieille était étendu sur le lit.
La gardienne prévint aussitôt le commissaire de police, qui vint procéder aux constatations et perquisitionna dans les hardes de la défunte. Quelle ne fut pas la stupéfaction du magistrat, en découvrant, enfouie dans la paillasse, une somme de 6000 francs en billets de banque. La vieille avare était morte de privations à côté de son trésor.
II.- Dans une mansarde de la rue de la Mairie, à Béziers, vivait sordidement depuis de longues années Y…, âgée de 72 ans, professionnelle de la mendicité. Depuis trois ans, sa propriétaire n'avait pu obtenir d'elle le paiement du logement qu'elle occupait.
Aujourd'hui, ne la voyant pas sortir, des voisins enfoncèrent sa porte et la trouvèrent morte sur un lamentable gravas. Le médecin de l'état civil constata que la pauvresse était morte d'inanition. formalité closes, les autorités se retiraient, lorsque quelqu'un suggéra que la défunte devait dissimuler un magot.
On fouilla le logis, puis le cadavre lui-même. Entre la robe et la doublure était cachée toute une petite fortune : d'abord un sac en cuir contenant 572 francs, puis, cousus à petits points, un billet de banque de 500 francs, trente-six de 100 francs, et quatre de 50 francs, soit au total 4872 francs.
La morte n'a pas d'héritiers, et c'est l'État qui encaissera sa laborieuse épargne.
III.- À Troyes, en janvier dernier, une septuagénaire Z… mourut de froid et de misère. Le commissaire de police, en procédant à une enquête, trouve des pièces d'or dans le taudis ; il en avertit aussitôt le juge de paix, qui posa les scellés. Ils ont été levés aujourd'hui, et l'on a trouvé dans la misérable demeure une somme de 40 000 francs en or et en titres. Il reste encore à déblayer un amas de chiffons où l'on trouvera vraisemblablement d'autre argent.
IV- Mme Veuve X…, âgée de 60 ans, habitait sous les combles, rue de Crimée, 125, une misérable mansarde, dont quelques âmes charitables lui payaient le loyer.
Cette femme qui, au dire des voisins, sortait peu, était toujours vêtue de vêtements sordides et paraissait plongée dans la plus profonde misère. Grâce à sa misérable apparence, la malheureuse recevait des secours fréquents des œuvres charitables particulières du quartier.
Hier soir, sa concierge, ne l'ayant pas vue depuis quatre jours, se décida à frapper à la porte de sa chambre, n'obtenant pas de réponses, elle ouvrit avec un passe-partout et pénétra dans la pièce.
Mme X… était étendue sur son lit, le corps à demi-couvert de haillons et paraissait privée de vie.
Un médecin, mandé en toute hâte, constata que la malheureuse respirait encore et la fit transporter à l'hôpital Audral ; mais là, malgré les soins empressés qui lui furent prodigués, elle ne tarda pas à expirer.
Le commissaire de police du quartier de La Villette procéda aussitôt à une perquisition au domicile de la défunte.
La pièce, d'une saleté repoussante, contenait peu de meubles ; mais, sous la paillasse à demi pourrie, le magistrat découvrit un paquet d'obligations du Crédit foncier et de diverses compagnies de chemins de fer, plus une collection de bijoux très ancienne de grande valeur.
V.- Il y a deux jours, un vieux marinier nommé François Y…, âgé de 77 ans, qui menait une vie sordide, se sentant malade, fit appeler deux débardeurs qui se trouvaient à bord de sa péniche dans le port de Sept-Saulx (Marne) et leur dit : « Je vais mourir, je déshérite ma famille ; cherchez dans le bateau : vous vous partagerez l'argent que vous trouverez ».
Deux heures après, Y… mourait. Les deux débardeurs retournèrent sa paillasse, et quelle ne fut pas leur stupéfaction en découvrant, enveloppés dans de vieux journaux, une véritable fortune, composée de 50 000 francs, en billets de banque, 7000 francs en or et 70 000 francs en valeurs diverses.
Ils firent part de leur trouvaille au maire de Sept-Saulx, qui mit l'argent sous séquestre en attendant que les véritables héritiers puissent faire valoir leurs droits.
VI.- Mme Veuve Z… habitait depuis 27 ans le même appartement, rue d'Ulm. Jamais elle n'en ouvrit les fenêtres, ni n'en battit les tapis, pas plus qu'elle n'épousseta les meubles. On la trouva morte hier matin, étendue sur le lit, sans draps, dans une saleté repoussante. On trouva, par contre, près de 100 000 francs en valeurs et en or dans la travée d'une vieille commode. Elle avait 66 ans.
VII.- Au numéro 8 de la rue des Terras à Angers, décédait, le 21 février, un vieux bonhomme de 90 ans, le père X…, ancien blanchisseur, que l'on croyait dans une misère profonde.
À son lit de mort, il refusait les remèdes à cause de leur prix.
Or, en pénétrant hier au grenier de l'immeuble, habité par le défunt, M. Y…, son neveu, a découvert une malle au fond de laquelle se trouvait une collection de pots de rillettes, remplis de pièces d'or et de billets de banque. M. Y… compta ainsi 53 000 francs.
VIII. - Un incendie se déclarait hier, dans la soirée, au n° 14 de la rue Zacharie, dans le 5° arrondissement à Paris, chez un chiffonnier nommé X… et connu dans le quartier sous le nom du « père la Zézette ». Lorsque les voisins, aidés des pompiers, purent se rendre maîtres du feu, ils se trouvèrent en présence du cadavre du chiffonnier, qui avait succombé à l'asphyxie, d'autant plus facilement qu'il se trouvait en état d'ivresse quand le sinistre a éclaté. Le commissaire de police des quartiers de la Sorbonne allait se retirer, après avoir procédé aux constatations d'usage, lorsqu'en fouillant dans les chiffons à moitié consumés pour établir l'identité du mort, il trouva un paquet de billets de banque, formant un total 10 000 francs en billets de 100 francs puis 6400 francs en or, mêlés à des détritus de toutes sortes. Cette somme fut immédiatement mise sous scellés et envoyée au greffe de la Préfecture de police.
Cette découverte étonna d'autant plus le magistrat que le « père la Zézette » était considéré comme un indigent. Il recevait des subsides de l'Assistance publique, il touchait une rente de 1200 francs par an dans une compagnie d'assurance parisien.
IX.- M. C…, commissaire de police, était appelé hier à constater le décès de Mme Y…, 54 ans demeurant, 137, rue du Chemin Vert.
On considérait cette femme comme une originale.
Lorsque le commissaire de police fut amené à constater le décès, il put d'après de vagues rumeurs, croire à un crime. Il refusa le permis d'inhumer et ouvrit une enquête.
Le médecin légiste, requis par lui, constata que Mme Y… était morte de faim. Dans la paillasse de son lit, on trouva des billets de banque et des titres au porteur représentant au bas mot une somme de 75 000 francs.
À côté de ce petit trésor, la pauvre maniaque, qui vivait de mendicité, s'était laissée mourir d'inanition.
X.- Une miséreuse, X… âgée de 68 ans, domiciliée dans une étroite et sale cahute de la route de Boissy à la Queue-en-Brie, mourait avant-hier des privations endurées pendant sa vie.
Émues de compassion, des voisines vinrent veiller le corps et procéder à sa toilette ; mais quelle ne faut pas leur stupeur en découvrant, dissimulée dans un placard, sous des hardes loqueteuses et sales, une véritable fortune : il y avait là, en effet, une somme de 6000 francs en billets de banque et un tas de pièces d'or italiennes. Enfin, dans un bas qui servait de coffre-fort à la mendiante, on trouva une liasse de valeurs représentant la coquette somme de 50 000 francs.
Le vieille avare avait préféré mourir de faim et de froid plutôt que de toucher à son trésor.
XI.- Depuis deux jours, on n'avait pas aperçu, à Montgeron, M. Y…, 51 ans, demeurant 4, rue de Bellevue. Le propriétaire de l'immeuble, fort inquiet sur le compte de son locataire, fit prévenir la gendarmerie de Villeneuve-Saint-Georges, qui vint faire une enquête sur place. Comme la maison où habitait M. Y… était hermétiquement fermée, un serrurier fut requis et on pénétra dans le logement. Dans le vestibule M. Y… était étendu mort, entièrement dévêtu. On n'a relevé sur son corps aucune trace de violence, et le docteur Gauthier, qui a précédé à l'examen du corps, a conclu à une mort résultant de privations. Le fait semble extraordinaire, pour cette raison que M. Y… avait un dépôt de 70 000 franc chez un notaire, à Brunoy. Il faut donc admettre, si la mort est naturelle, que M. Y… qui d'ailleurs avait toujours vécu très misérablement, et passait pour être très intéressé, se serait laissé mourir de faim par avarice.
XII.- Une vieille mendiante de Blois, la Veuve X…, âgée de 72 ans, mourut il y a quelques jours. Elle n'avait ni parents ni amis. La police, prévenue par les voisins, se rendit chez elle et découvrit dans son infect taudis différentes valeurs, deux livrets de caisse d'épargne, 1000 francs en sous et un certain nombre de pièces d'or et d'argent.
On trouva avec les papiers, un testament par lequel la veuve X… instituait légataire universel l'un des gendarmes de la brigade de Blois, qui ne la tracassait point lorsqu'elle mendiait.
XIII.- À New York, le millionnaire Benjamin Hadley est mort, hier, dans le Massachusetts, à l'âge de 90 ans.
D'une frugalité frisant l'avarice, Hadley se nourrissait de morue, de pommes de terre et ne buvait que de l'eau.
Le défunt n'avait jamais été au théâtre et prétendait n'avoir dépensé, dans toute sa vie, que cinq franc d'omnibus et de chemins de fer. Il n'est pas entré une seule fois chez un coiffeur durant ses quarante dernières années.
XIV. - Un fait presque incroyable est signalé de Tolkewitz, près de Dresde, par le Berliner Tageblatt.
Récemment, l'ancien recteur Rademacher et sa fille sont littéralement morts de faim. Leur pauvreté était connue, non seulement ils ne payaient pas d'impôts depuis longtemps, mais encore ils étaient aidés de façon discrète par différentes personnes. En faisant l'inventaire de la chambre occupée par ce malheureux, on trouva sous le lit une boîte à cigares contenant des valeurs d'État s'élevant à 375 000 francs.
D'après les dernières volontés du recteur, cette fortune est léguée à deux sociétés protectrices d'animaux de Berlin et de Breslau. L'État et la ville remettraient aux légataires cette fortune diminuée du montant des impôts qui n'avaient pas été payés depuis plusieurs années.
XV.- La face hâve, les jambes molles, un pauvre vieux, vêtu de loques sordides, se traînait péniblement hier après-midi dans le rue du Bois, à Clichy. Soudain le miséreux chancela et s'abattit comme une masse sur le trottoir. Des agents les relevèrent et le conduisirent au commissariat de police, où un médecin, mandé en toute hâte, constata que le malheureux mourait d'inanition.
Il fut impossible d'interroger le vieillard, plongé dans une sorte de coma. On se décida alors à la fouiller, et quelle ne faut pas la stupéfaction du commissaire en découvrant, dissimulé dans la doublure du veston du malade, une somme de 5000 francs en billets de banque. Les précieux papiers étaient presque effacés. L'avare possédait, en outre, deux obligations de la Ville de Paris 1875 et 30 francs de menue monnaie, le tout enveloppé dans un morceau de chiffon graisseux.
Ce descendant d'Harpagon, qui préférait mourir de faim plutôt que d'entamer son magot, a été envoyé à l'hôpital Beaujon.
XVI.- Des employés de la gare Saint-Lazare trouvaient hier, couchée sur une banquette, une femme en haillons qui paraissait être dans le plus complet dénuement. On la conduisit au commissariat. Comme elle ne pouvait indiquer son domicile, on la fouilla. C'est ainsi que l'on trouva dans les doublures de sa souquenille cinq billets de 1000 francs et deux livrets de caisse d'Épargne, l'un de 1200 francs et l'autre de 1400 francs.
Cette femme est une habituée des salles d'attente. Elle est connue de la plupart des employés. C'est miracle qu'elle n'ait pas été volée jusqu'à présent.
Parmi ces mendiants thésauriseurs, quelques-uns n'ont même pas de domicile et sont des vagabonds (obs. XV et XVI). Ces sujets errants portent avec eux leur fortune ; et c'est à l'occasion de leur arrestation, lorsqu'on les fouille que la Police découvre, dissimulée dans les doublures ou les poches cousues de leur vêtements, le trésor dont il ne se séparent jamais et dont ils connaissent le compte exact et détaillé.
J'ai souvent eu l'occasion, à la Préfecture de police, d'examiner de ces mendiants thésauriseurs vagabonds, que la singularité de leur mise et de leur tenue, la bizarrerie de leur propos, le caractère énigmatique et absurde de leur allure et de leur réactions, avaient signalés à l'attention des commissaires, et fait diriger sur l'Infirmerie spéciale. Avant l'examen médical, les surveillants découvrent, en fouillant ces malades, de véritables fortunes, contenues non seulement dans les poches et le doublures, mais souvent dans des sacs de toile ou de cuir, grossièrement fabriqués par les sujets eux-mêmes, et cousus dans des ceintures de lige ou de flanelle, renforcées de ficelles, et enroulées autour du corps. Ces sacs-ceintures, vétustes et sordides, renferment des liasses de billets de banque, et des rouleaux de pièces d'or et d'argent, dont le classement, le décompte et le dépôt nécessitent de la part du personnel de l'Infirmerie, une minutieuse attention et de long calculs. On peut voir, à l'occasion de ces inventaires, des tables couvertes de billets de 1000 francs et des piles de pièces d'or, à côté d'un misérable vagabond, que son air de souffrance et de dénuement a toujours garanti contre les voleurs. La confiscation momentanée de leur fortune provoque chez ces sujets de l'inquiétude, de la mauvaise humeur et des réclamations incessantes et monotones, sans véritable sentiment d'anxiété ou de révolte. L'avare se rend compte que son bien n'est pas perdu, qu'il lui sera bientôt rendu ; et c'est cette notion, plus ou moins claire, qui lui épargne l'accès d'anxiété et de confusions délirantes que Molière, dans une scène fameuse, décrit chez Harpagon, après le vol de sa cassette et la perte de son trésor.
Il ne faut pas confondre d'ailleurs, avec les mendiants thésauriseurs, certains aliénés vagabonds, qui portent avec eux leur argent, non pas comme un avare son trésor, mais, comme un persécuté ou un anxieux sa fortune ; ces malades, loin de thésauriser et de mendier, sont des persécutés migrateurs, qui, pour échapper à leurs ennemis, changent continuellement de domicile et, par méfiance et par crainte du vol, emportent leur avoir, et le dissimulent sous leurs vêtements.
À l'infirmerie spéciale, lorsque l'aliéné thésauriseur est interné, sa fortune est déposée, par les soins de la Préfecture de Police, au service de la Tutelle des Aliénés, dans les coffres-forts du deuxième bureau de la Préfecture de la Seine, où l'argent est conservé en nature, pour être rendu lors de sa sortie au malade guéri. On sait que tout malade interné d'office est pourvu par la loi d'un administrateur provisoire, choisi par la Commission de Surveillance des Aliénés, qui s'occupe de la gestion des biens du malade au mieux de ses intérêts.
De tels sujets sont souvent, non seulement des déséquilibrés, réduits par leur avarice et leurs anomalies mentales, à la mendicité et au vagabondage, mais parfois aussi des aliénés, atteints de délires variés, polymorphes, souvent ancien, et où dominent toujours les idées de persécution. Ces délires représentent le développement et l'exagération des tendances morbides, constitutionnelles de l'individu à l'égoïsme, à l'inaffectivité, à l'isolement, à la méfiance hostile de l'entourage, etc. Les troubles profonds du sentiment et de l'activité, qui s'observent chez de tels sujets, peuvent aboutir, en effet, à des états délirants chroniques, où l'avarice et le vagabondage ne représentent que des anomalies secondaires.
Le mendiant thésauriseur meurt presque toujours sans testament. Isolé du monde, dénué de toute affectivité, incapable de toute tendance altruiste, il ne saurait détacher de sa personnalité la notion de sa fortune et considérer que son argent, qu'il ne consacre même pas à ses besoins essentiels, puisse être à la disposition d'autrui. Par suite de l'aberration délirante de l'instinct d'épargne, le trésor qu'il possède et ne cesse d'accroître est devenu non seulement partie intégrante, mais partie principale de son individu, et il ne pense pas plus à léguer son argent que sa tête ou son cœur. Cette fusion entre la personne et sa fortune est éloquemment exprimée par ce propos d'une avare à l'agonie que rapporte Rogues de Fursac : « Je voudrais, disait-elle, faire fondre tout ce que je possède dans un verre d'eau et l'avaler avant de partir ! ».
Il est extrêmement probable que certains mendiants thésauriseurs meurent ainsi, non seulement sans testament, mais encore sans indication pouvant mettre l'entourage sur la trace de leur trésor, habilement dissimulé dans une cachette introuvable, enterré dans un coin secret, scellé dans un mur, etc. On continue, après leur mort, à ignorer leur secret ; et ce n'est que bien plus tard, longtemps après l'effacement de tous les souvenirs et la disparition de tous les témoins de leur existence, que, au hasard d'une démolition, de fouilles de terrain, etc., on met à jour, enfoui dans un pot de terre ou une casserole, le trésor d'un avare inconnu. D'heureux acheteurs héritent ainsi, au cours de certaines ventes, de petites fortunes, dissimulées par des thésauriseurs ignorés dans des cachettes pratiquée avec art dans des coffres, des meubles, des tableaux, etc. Il est possible que les découvertes, signalées de temps à autre, dans certains terrains, de pots remplis de monnaie archaïques, proviennent, entre autres origines, de dépôts effectués, au moyen âge ou dans l'antiquité, par des avares thésauriseurs, sous l'influence de perversions instinctives demeurées secrètes pour leurs contemporains.
Lorsque le mendiant thésauriseur laisse un testament, ce n'est jamais en faveur d'un parent ou d'un ami, mais à l'adresse d'un légataire ou d'une œuvre, dont la désignation signifie l'attention avérée, chez le testateur, de frustrer ses héritiers naturels, ou d'étonner l'entourage, ou de faire preuve d'un esprit malicieux et méprisant. Les testaments des sujets XII et XIV indiquent, par leur originalité, des tendances, sinon pathologiques, au moins bizarres, chez leurs auteurs. La note XIV permet de penser à la réalité d'un cas d'« avarice à deux », avec thésaurisation en commun, chez un père et sa file, morts de privations et de faim, auprès d'une fortune de 375 000 francs. L'avarice étant toujours une passion solitaire, évoluant chez des individus jaloux du mystère de leur fortune et du secret de leur cachette et de leurs pratiques, il est intéressant d'observer, dans le domaine d'une espèce morbide si essentiellement égoïste un couple de mendiants thésauriseurs, strictement conforme, d'ailleurs, dans son histoire, aux lois du délire à deux.
On observe parfois, chez les vieux mendiants thésauriseurs vagabonds plus ou moins délirants et en voie d'affaiblissement psychique, la tendance à collectionner, non seulement des pièces de monnaie, mais de multiples objets dépourvus de toute utilité et de toute valeur. Ce collectionnisme disparate et automatique, à caractère démentiel, indique chez le sujet la déficience intellectuelle, et ne représente qu'un vestige inconscient des anciennes habitudes et des tendances foncières de l'avare.
Tel était le cas d'un avare que j'ai observé à la Maison de la Rochefoucauld. Ce vieillard âgé de plus de 90 ans, véritable type d'avare sordide et thésauriseur, atteint de démence sénile, collectionnait pêle-mêle avec ses pièces de monnaie et ses coupons, des boites, des cailloux des clous, des bouts de bougie, etc., dans ses tiroirs, sa table de nuit, son lit, etc. Il portait ces étranges collections à une Agence du Crédit Lyonnais, où il prétendait les entasser avec ses valeurs dans le coffre-fort où s'accumulaient, depuis 50 ans, ses stériles économies. On remarquait, chez lui, l'expression de finesse, de méfiance et d'âpreté du visage et de l'attitude ainsi que la flexion crochue permanente des doigts, la complexité des lignes et l'éloquence du geste de sa main d'avare.
Les mendiants thésauriseurs appartiennent nosographiquement à la classe des avares parmi lesquels ils constituent une variété particulière. Les limites de cet article ne me permettent pas d'exposer ici, même à grands traits, la psychologie de l'avare, dont Rogues de Fursac a tracé récemment un excellente étude. Dans cette monographie très complète, notre distingué collègue a bien montré l'origine instinctive, profonde et lointaine de l'avarice, anomalie primitive de la tendance à l'épargne, l'étiologie dégénérative et les parentés morbides de cette anomalie, ses caractères différentiels avec les pseudos-avarices du pauvre honteux, du pusillanime obsédé par la crainte, du dénuement du stupide, du collectionneur, etc. ; il a analysé avec justesse les traits fondamentaux et accessoires de la psychopathologie de l'avare, l'absence ou l'insuffisance manifeste des sentiments affectifs et altruistes, le manque d'imagination, l'horreur du risque, la méfiance l'isolement matériel et moral, le rétrécissement progressif de l'activité psychique, l'inconscience de la nature morbide de sa passion, l'inaptitude à la criminalité, etc.
Entre tous les avares, les mendiants thésauriseurs se distinguent par quelques caractères particuliers, qui expliquent leur genre de vie et leur situation dans la société. Tout d'abord la paresse et l'inertie les éloignent du travail régulier, les poussant à la mendicité. Ensuite on remarque chez eux une absolue indifférence physique ou morale aux plus dures privations matérielles comme aux pires situations sociales. Leur anesthésie à la faim, la soif, au froid, à tous les besoins ordinaires de l'homme civilisé, progressivement conçue par l'habitude de toutes les restrictions, révèle chez ces psychopathes l'existence parallèle de véritables anomalies de la nutrition et de la sensibilité. Leur extraordinaire tolérance pour l'inanition et les variations du milieu extérieur, leur étonnante vitalité qui explique le grand âge auquel ils arrivent malgré un tel régime apparaissent comme des traits caractéristiques de ces sujets. Ces qualités de résistance vitale inhérente d'ailleurs à l'intensité chez de tels égoïstes de l'instinct de conservation personnelle sont encore plus manifestes chez des mendiants thésauriseurs. Ceux-ci, incessamment usés par leur instabilité constitutionnelle à la vie errante, et porteurs d'une fortune ignorée et inutile, cheminent à travers la société comme les représentants paradoxaux de deux tendances en apparence opposées : l'instinct nomade et l'instinct d'épargne. Au fond, la coexistence de ces deux anomalies biologiques, à première vue contradictoires, s'explique naturellement par les lois du déséquilibre psychique, en vertu desquelles s'associent souvent, chez le même individu, les formes opposées de l'activité morbide. Il y a loin, d'ailleurs, des formes normales de la vie nomade et de l'instinct d'épargne aux manifestations morbides du vagabondage et de l'avarice.
Enfin, c'est chez ces mendiants thésauriseurs qu'on observe les types les plus purs de l'extrême avarice, ainsi que les exemples des formes mortelles de cette anomalie instinctive, dans laquelle l'avare, entièrement possédé par l'amour exclusif de l'or, entasse dans un collectionnisme mystique et systématique, les symboles représentatifs d'une richesse absolument stérile. Le culte de cette richesse, considérée non plus comme un moyen mais comme une fin, le fétichisme de l'or, détache en lui les sources de la vie et le condamne à mourir de faim sur le produit d'une épargne méconnue dans son principe et poursuivie seulement pour elle-même. Chez le mendiant thésauriseur, l'excès et la déviation de l'épargne, c'est-à-dire la perversion d'une tendance dérivée de l'instinct de conservation, arrivent ainsi à étouffer, par leur exagération progressive, les sollicitations impérieuses de ce même instinct ; et c'est au milieu des preuves d'une vitalité acharnée, que le malade meurt d'une anomalie monstrueuse de l'instinct même de la persévération de la vie.
Telle se présente, en général, la physionomie classique du mendiant thésauriseur, qu'on doit considérer comme une figure particulièrement intéressante et plus fréquente qu'on ne le croit, parmi les types d'avares, jusqu'ici beaucoup mieux étudiés par les moralistes et les littérateurs que par les médecins. N'est-ce pas chez Plaute et Molière, chez La Bruyère, chez Balzac et Gogol qu'il faut chercher les meilleures études cliniques de l'Avarice ? ».
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Les premières recensions des écrits (neurologiques ) de Freud en France à la fin du XIX° siècle, article de Claude Wacjman
Les premières recensions des écrits (neurologiques ) de Freud en France à la fin du XIX° siècleClaude Wacjman L’historiographie actuelle montre les difficultés d’acceptation des idées de la psychanalyse en France. Généralement, les auteurs font remonter à 1925, avec la création du groupe et de la revue de L’Évolution Psychiatrique, l’introduction de la psychanalyse en France dans les milieux de la psychiatrie. Une lecture plus attentive de la littérature du XIX° siècle précise quelques points méconnus. Sigmund Freud, après le voyage à Paris où il rencontre Charcot, semble être connu des collaborateurs de celui-ci. Ils prêtent attention à ses publications, notamment celle des Archives de Neurologie, fondées par le même Charcot en 1880 — revue dont son élève Bourneville assure l’édition, parmi les publications de sa maison, le Progrès médical. Freud a publié un seul de ses premiers textes dans les Archives de Neurologie (1893, 26, 77, pp. 29-43) : « Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies organiques et hystériques ». Par la suite, il donnera ses textes à La Revue Neurologique, d’Édouard Brissaud et Pierre Marie, elle aussi publiée sous l’égide de Charcot à partir de 1894. Elle entrera en concurrence avec les Archives de Neurologie, qui ne lui survivront pas. Voici la liste de ces premières recensions, en regard de leur date de parution originale : * Archives de Neurologie, 1895, 30, n° 101, juillet, p. 45 : « Les neuropsychoses de rejet ». Ce texte est paru dans le Neurologisches Zentralblatt, 13, 10, pp. 362-364 et 11, pp. 402-409, 1894, « Die Abwehr-Neuropsychosen ». Il a été plus connu en français sous le titre « Les psychonévroses de défense », alors que sa plus récente traduction est donnée sous le titre : « Les névropsychoses de défense ». Le même numéro recense, pp. 46-47, « Obsessions et phobies. Leur mécanisme physique [sic] et leur étiologie », paru dans La Revue Neurologique, 1895, 3, 2, pp. 33-38. Ces deux textes sont respectivement rédigés par P[aul] K[éraval], aliéniste dynamique et connu du moment, qui fit une carrière hospitalière (Ville Évrard et Villejuif, notamment) et ce même E[douard] B[rissaud] dont il vient d’être question, à qui l’on doit les premières réflexions sur la réunion de la neurologie et de l’aliénisme. Il est un de ces anciens élèves de Charcot, qui ne lui ont pas succédé dans sa chaire. Des coquilles attribuent les textes à « S. Frend » et au « Dr Frend ». * Archives de Neurologie, 1896, 2, n° 7, juillet, pp. 48-50 : « L’hérédité et l’étiologie des névroses », paru dans La Revue Neurologique, 1896, 4, 6, pp. 161-169. Ce texte est rédigé par E. B. Il est correctement attribué au « Dr Sigm. Freud ». On ne saurait alors se tromper ! Le texte de Paul Kéraval sur « Les neuropsychoses de rejet » n’est pas très fidèle à la pensée de Freud, qui y aborde, entre autres des conceptions sur trois types de représentations : de contraintes, sexuelles et refoulées. Le mot de conversion est aussi ignoré par Kéraval, dont l’attention n’est pas attirée par la notion de clivage de conscience, pas plus qu’il ne réagit aux propos de Freud sur la théorie de la dégénérescence chez Pierre Janet, ni à la psychasthénie. De même, la théorie de l’abréagir n’est pas nommée dans la recension. Les recensions d’Édouard Brissaud sont un modèle de concision sur l’exercice difficile de la contraction du texte. Les idées de Freud y sont, le vocabulaire aussi. Brissaud suit le texte de très près, construisant le sien avec des passages entiers dûs à Freud, reprenant jusqu’au terme de psychoanalyse, peut-être pour la première fois en France. L’opposition à George Beard, le constructeur américain de la neurasthénie (1879) est bien rendue, dans son cheminement jusqu’à la névropathie. On est encore dans la mécanique d’un système nerveux dont les dysfonctionnements se traduisent par l’apparition des névroses qui, pour Freud, ne sont pas causées par « le fruit de notre civilisation moderne »[1]. On lit aussi que Freud écrit aussi bien neurasthénie que névrasthénie[2]. Dans ces trois textes, Freud rend hommage à la collaboration établie avec Josef Breuer, avec qui il a écrit : « Du mécanisme psychique des phénomènes hystériques », en 1893 (ici dans les textes 1 et 2), article qui sera repris en introduction des Études sur l’hystérie, en 1895 (ici dans le texte 3). On retrouve ces textes dans le volume III des Œuvres complètes de Sigmund Freud, PUF, 1989. « LES NEUROPSYCHOSES DE REJET ; par S. FREND [sic]. (Neurolog. Centralbl. [sic], XIII, 1894.) L’auteur essaie, ainsi qu’il le dit dans un sous-titre, d’établir une théorie psychologique de l’hystérie acquise, de beaucoup de phobies et d’obsessions, et de certaines folies hallucinatoires. Il prétend que ces névroses sont la résultante en certains cas d’un effort de la volonté impuissant à chasser du cerveau certaines idées qui semblent au malade condamnables. Voici par exemple une jeune fille qui, pendant qu’elle soigne son père, se met à penser à un jeune homme qui a fait sur elle une impression érotique. Cette pensée lui semble incompatible avec la dignité de sa situation actuelle. Elle veut la rejeter de son cerveau. Elle n’y réussit que partiellement. Il y a conversion totale ou partielle de l’irritation mentale, du traumatisme psychique, sur l’innervation motrice ou sensorielle. Ainsi apparait l’hystérie, l’obsession, l’hallucination. C’est le plus ordinairement un élément sexuel qui donne naissance à ces idées insupportables, à ces cas de conscience perpétuellement insolubles et perpétuellement excitants malgré l’apparence heureuse du résultat psychique obtenu. Le rejet mental ou la défense mentale entraîne des conséquences névropathiques, mais à la condition qu’il y ait une prédisposition prééalable. P. K. » « OBSESSIONS ET PHOBIES. LEUR MÉCANISME PHYSIQUE [sic] ET LEUR ÉTIOLOGIE ; par le Dr FREND [sic]. L’auteur commence par déclarer qu’il ne lui parait pas justifié de faire dépendre les obsessions et les phobies de la dégénérescence mentale. Les obsessions et les phobies sont des névroses à part et dans ce groupe il y a lieu de distinguer : 1° les obsessions vraies, 2° les phobies. Dans toute obsession il y a d’une part une idée qui s’impose au malade et d’autre part un état émotif associé, que ce soit l’anxiété, le doute, le remords, la colère ; l’état émotif est la chose principale et persiste inaltéré, alors que l’idée associée varie. Une analyse psychologique des différents cas montre que l’état émotif, comme tel, est toujours justifié. Seulement, et c’est dans ces deux caractères que consiste l’empreinte pathologique : l’état émotif s’est éternisé, alors que l’idée associée n’est plus l’idée juste, l’idée originale, en rapport avec l’étiologie de l’obsession, elle en est un rempaçant, une substitution. La preuve en est qu’on peut toujours trouver dans les antécédents du malade, à l’origine de l’obsession, l’idée originale remplacée. Ses idées remplacées ont des caractères communs, elles correspondent à des impressions vraiment pénibles de la vie sexuelle de l’individu que celui-ci s’est efforcé d’oublier ; il a réussi seulement à remplacer l’idée inconciliable par une autre idée mal appropriée à s’associer à l’état émotif qui, de son côté, est resté le même. C’est cette mésalliance de l’état émotif et de l’idée associée qui rend compte du caractère d’absurdité propre aux obsessions. Dans certains cas, l’idée originale au lieu d’être remplacée par une idée, est remplacée par des actes ou impulsions qui ont servi à l’origine comme soulagements ou procédés protecteurs et qui maintenant se trouvent en association grotesque avec un état émotif qui ne leur convient pas, mais qui est resté le même et aussi justifié qu’à l’origine. Mais comment cette substitution peut-elle se faire ? L’auteur pense qu’elle est l’expression d’une disposition psychique spéciale et l’on rencontrerait souvent l’hérédité similaire dans les obsessions. Quand au motif de cette substitution, ce serait un acte de défense du moi contre l’idée inconciliable. La grande différence entre les obsessions et les phobies est que dans ces dernières, l’état émotif est toujours l’anxiété, la peur. Il y a deux groupes de phobies, suivant l’objet de la peur : 1° peur exagérée des choses que tout le monde abhorre ou craint un peu, comme la nuit, la mort, les maladies, les serpents, etc., 2° peur de conditions spéciales qui n’inspirent pas la crainte à l’homme sain, comme les phobies de la locomotion. Le mécanisme des phobies est tout à fait différent de celui des obsessions : il n’y a plus d’idée inconciliable remplacée ; on ne trouve jamais autre chose que l’état émotif anxieux qui, par une sorte d’élection a fait ressortir toutes les idées propres à devenir l’objet d’une phobie. L’auteur se propose, dans un prochain travail de démontrer qu’il existe une névrose spéciale, la névrose anxieuse, névrose d’origine sexuelle et dont les phobies font partie. (Revue neurologique, janv. 1895.) E. B. » « L’HÉRÉDITÉ ET L’ÉTIOLOGIE DES NÉVROSES ; par le Dr SIGM. FREUD. L’auteur s’adresse spécialement aux disciples de Charcot pour faire valoir quelques objections contre la thèse étiologique des névroses qui nous a été transmise par le maître. On sait que d’après cette théorie, l’hérédité nerveuse est, pour les affections névrosiques la seule cause vraie et indispensable, les autres influences étiologiques ne devant aspirer qu’au nom d’agents provocateurs. Tout d’abord M. Freud commence son travail par une innovation nosographique. Pour lui les grandes névroses se divisent en deux groupes : dans le premier se trouvent l’hystérie et la névrose des obsessions, cette dernière étant liée à l’hystérie plus étroitement qu’on ne croirait. Dans le second groupe, on trouve la névrasthénie de Beard, laquelle se décompose en deux états fonctionnels séparés par l’étiologie, comme par l’aspect symptomatique, la névrasthénie propre et la névrose d’angoisse. Ce premier point établi, il range les influences étiologiques des névroses en trois classes : 1° Conditions qui sont indispensables pour la production de l’affection mais qui sont de nature universelle et se rencontrent dans l’étiologie de diverses affections ; 2° causes concurrentes ou accessoires ; 3° causes spécifiques, aussi indispensables que les conditions mais de nature étroite et qui n’apparaissent que dans l’étiologie de l’affection de laquelle elles sont spécifiques. Or, dans la pathogénèse des grandes névroses, l’hérédité remplit le rôle d’une condition puissante dans tous les cas, indispensable dans la plupart, mais qui ne saurait se passer de la collaboration des causes spécifiques. L’expérience montre que l’hérédité et les causes spécifiques peuvent se remplacer par le côté quantitatif, que le même effet pathologique sera produit par la concurrence d’une étiologie spécifique très sérieuse avec une disposition médiocre ou d’une hérédité nerveuse chargée avec une influence spécifique légère. Alors on peut admettre qu’il se rencontre des cas de névroses où on cherchera en vain un degré appréciable de disposition héréditaire, pourvu que ce manque soit compensé par une puissante influence spécifique. Comme causes concurrentes ou accessoires des névroses, on peut énumérer tous les agents banals rencontrés ailleurs sans qu’aucun d’eux, pas même le surmenage intellectuel, entre régulièrement ou nécessairement dans l’étiologie des névroses. Quelles sont donc ces causes spécifiques des névroses ? est-ce une seule ou y en a-t-il plusieurs ? Tout en étant persuadé que sa théorie évoquera « un orage de contradictions de la part des médecins contemporains », l’auteur maintient, appuyé sur un examen laborieux des faits, que chacune des grandes névroses énumérées a pour cause immédiate un trouble particulier de l’économie nerveuse et que ces modifications pathologiques fonctionnelles reconnaissent comme source commune la vie sexuelle de l’individu, soit désordre de la vie actuelle, soit événements importants de la vie passée. On a toujours admis les désordres sexuels parmi les causes de la nervosité, mais on les a subordonnés à l’hérédité, alors que l’auteur élève ces influences sexuelles au rang des causes spécifiques. La névrasthénie propre (fatigue, sensation de casque, dyspepsie flatulente, paresthésies spinales, faiblesse sexuelle, etc.) ne reconnait comme étiologie spécifique que l’onanisme immodéré ou les pollutions spontanées ; la névrose d’angoisse (irritabilité, état d’attente anxieuse, phobies, attaques d’angoisse complètes ou rudimentaires, de peur, de vertige, tremblements, sueurs, congestion, dyspnée, tachycardie, etc…) est l’effet spécifique de l’abstinence forcée, du coït imparfait ou interrompu, d’une irritation génitale fruste. La cause spécifique de l’hystérie est un souvenir qui se rapporte à la vie sexuelle, mais qui offre deux caractères de la dernière importance : l’événement duquel le sujet a gardé le souvenir inconscient, est une expérience précoce de rapports sexuels avec irritation véritable des parties génitales, suite d’abus sexuel pratiqué par une autre personne, et la période de la vie qui renferme cet événement funeste est la première jeunesse, les années jusqu’à l’âge de huit à dix ans, avant que l’enfant soit arrivé à la maturité sexuelle. La névrose d’obsessions relève d’une cause spécifique très analogue à celle de l’hystérie. On y trouve aussi un événement sexuel précoce, arrivé avant l’âge de la puberté, duquel le souvenir devient actif pendant ou après cette époque. Il n’y a qu’une différence qui semble capitale. Il y avait au fond de l’étiologie hystérique un événement de passivité sexuelle, une expérience subie avec indifférence ou effroi ; dans la névrose d’obsessions, il s’agit, au contraire, d’un événement qui a fait plaisir, d’une participation avec jouissance aux rapports sexuels. Les idées obsédantes réduites à leur expression la plus simple, ne sont pas autre chose que des reproches que le sujet s’adresse à cause de cette jouissance sexuelle anticipée, mais des reproches défigurés par un travail psychique inconscient de transformation et de substitution. (Revue neurologique, mars 1896.) E. B. » [1] p. 112 du vol. III des O. C. de Freud, PUF. [2] id., p. 114. |
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En mars, c'est déjà " I'll remember April " et 45 enregistrements exceptionnels à écouter sur Douville's Jazz Radio
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Chapitre 6 : Situation de la Psychanalyse dans le monde, du temps de la vie de Freud 1911-1913 : Avant la guerre…, affluence au Congrès International de 1911, fondation de la revue Imago, Totem et Tabou…
Chronologie 6 : Situation de la Psychanalyse dans le monde, du temps de la vie de FreudÉpisode 61911 1913 : Avant la guerre…, affluence au Congrès International de 1911, fondation de la revue Imago, Totem et Tabou…1911 Margarete Hilferding, première femme psychanalyste (1871-1942) est membre de la Société Psychanalytique de Vienne où elle a été admise, en 1910, après débats. Elle est l’épouse de l’auteur du Capital financier, Rudolph Hilferding. En plus de sa formation en médecine, elle a suivi les cours de Philosophie de l'Université de Vienne. Dans sa troisième conférence donnée le 11 janvier 1911 au sein de la Société Psychanalytique de Vienne, elle pose la question suivante : l'amour maternel doit-il être considéré comme inné ou non ? La psychanalyste prend appui sur l'observation des relations des mères avec leurs bébés. Elle soutient, tout particulièrement, que, concernant le premier enfant, rien ne porte à supposer que l'amour maternel soit inné. Elle affirme que la psychanalyse, en tant que corpus théorique, doit accepter que l'amour maternel ne soit pas inné, pour que le thème puisse appartenir à son champ. Février : Début de la séparation d'avec Adler. Les opinions de ce dernier sont discutées par l'Association Viennoise les 8 et 22 février, après qu'il y eut prononcé des discours le 4 janvier et le 1er février. Après la session du 22 février se tint une séance du Comité au cours de laquelle Adler démissionna de son rôle d'arbitre pour « incompatibilité de sa position scientifique avec son statut dans l'Association ». Stekel, représentant du médiateur, ainsi que d'autres démissionnèrent, par solidarité avec Adler. On lira la suite en cliquant ici |
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Du MOMA au MET, promenade newyorkaises au Musée
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Commentaires sur le recueil de textes de Jenny Aubry, Psychanalyse des enfants séparés. Études cliniques, 1952-1986,
Jenny Aubry, Psychanalyse des enfants séparés. Études cliniques, 1952-1986, préface d’E. Roudinesco, Paris, FlammarionMédecin des Hôpitaux de Paris, psychanalyste, Jenny Aubry (1903-1987) a laissé la marque d’engagements institutionnels et une œuvre importante consacrée aux rapports entre psychanalyse et médecine et, tout particulièrement à l’observation et à l’écoute psychanalytique d’enfants. La préface de sa fille, É. Roudinesco, situe l’ensemble de l’itinéraire et des engagements de J. Aubry. Elle fut, en pédiatrie, l’élève d’Armand-Dellile, Guinon, Milhit, en neurologie de Faure-Baulieu, de Monier-Vinard et de Clovis Vincent. En 1933, elle choisit l’étude des lésions encéphalites de la diphtérie comme sujet de thèse. On a oublié aujourd’hui la fréquence de la mortalité infantile qui était causée principalement par les maladies infectieuses, par la tuberculose et par des épidémies diverses. Dès 1939, médecin d’un institut pour enfants surdoués, elle y admet des enfants et du personnel juifs, ce qui les sauve des camps de la mort. Elle établit aussi des certificats de tuberculose qui évitent à des jeunes gens l’enrôlement forcé pour STO. En 1944, elle est médaillée de la résistance. Ayant succédé, de 1941 à 1942, à G. Heuyer à la consultation des Enfants Malades, elle est, en 1946, nommée chef du service de pédiatrie de l’hôpital Ambroise Paré de Boulogne. Suite aux bombardements, les locaux provisoires de cet hôpital étaient situés rue Boileau ; non loin de là, attaché à son service, se trouvait le siège de la fondation Parent de Rosan, où furent rassemblés de très jeunes enfants en grande rupture et en grande détresse ; ils présentaient, pour certains, des signes de stéréotypie et des tableaux d’hospitalisme. C’est à cette époque qu’elle découvre les travaux encore non traduits de Spitz (hospitalisme et dépression anaclitique, de John Bowlby sur les enfants séparés de leur mère, de Donald Woods Winnicoot sur la déprivation et l’environnement, d’Anna Freud et de Dorothy Burlingham sur les orphelins et les enfants sans familles. Un de ses premiers combats est qu’il fallait démontrer à l’administration de l’Assistance publique que de tels enfants même étaient atteints de maladies organiques, souffraient de difficultés psychiques graves qui risquaient de les conduire à la délinquance ou à des formes d’autismes et de psychoses, si aucune intervention psychothérapeutique n’était entreprise. Dès 1946, par l’intermédiaire du Centre International de l’Enfance, créé par Robert Debré, elle est en lien avec la Tavistock Clinic de Londres, et notamment avec Bowlby et James Robertson, ce qui lui permet d’obtenir les crédits nécessaires pour fonder, en 1950, un placement familial spécialisé. Elle donne des cours, crée la première consultation de psychothérapie dans un service hospitalier non psychiatrique (Ambroise Paré). Elle rencontre Anna Freud qui l’encourage à entreprendre une psychanalyse. Elle est en 1952 chef de la polyclinique du boulevard Ney. En compagnie de O. Lévy-Bruhl et R. Bargues, elle étudie les enfants de crèches des personnels hospitaliers, leur entrée à la maternelle/ En 1054, l’OMS la sollicite pour une étude de l’abandonnisme et du développement de l’enfant en Afrique. À l’hôpital des Enfants Malades où, en compagne de R. Bargues, G. Raimbault, A.-L. Stern et R. Tostain, elle forme des pédiatres et des infirmières à l’écoute de enfants et des parents, elle met en place une consultation de psychanalyse. Elle participa activement à l’École freudienne, y apparaissant, tout comme Dolto, comme une « compagnon de route » de Lacan, bien davantage que comme une disciple inféodée. Le parcours de J. Aubry est marqué par un réel engagement et un grand courage. Un profond pragmatisme Sa profonde culture de la psychanalyse anglo-saxonne lui permettait une grande souplesse dans ses rapports à la théorie, en même temps qu’elle entrait en résonance avec des profondes qualités d’observation. Lacan a pu dire que la psychanalyse était ce qu’il y a de plus difficile à mener. Ce livre indique à quel point cette façon d’observer et d’écouter les modes d’expression de l’enfant, de les respecter, de les inscrire dans une compréhension du lien et des processus de subjectivation, pouvait apporter à la psychanalyse en tant que doxa et en tant que pratique. La figure latente, « ferenczienne », de l’enfant mal accueilli est sans doute ce qui fait pont entre ces différents articles. La saisie et l’interprétation des rapports fondamentaux du petit humain à l’autre, rapport de dépendance et d’agressivité sont bien ce qui oriente la pratique relatée et son inscription dans des lieux institutionnels. Il s’agissait de ne pas ramener toutes les expressions motrices et comportementales à du déficit, à un retentissement direct d’un état organique, sans les poser, d’emblée, dans les registres du symptôme. Cette clinique de la détresse qui s’écrit de pages en pages, à travers des articles, des conversations, des débats ou des interviews, invente une clinique de l’objet et de la régression qui prend comme socle théorique les termes mêmes que, dès le début des années cinquante et dans la décennie suivante, Lacan reprend de Freud : l’agressivité, la pulsion, l’objet. Mais aussi l’image et, de même que chez Winnicott, se fait jour une clinique du visage en tant que premier lieu et premier objet de la dialectique identificatoire. C’est enfin à la valeur structurante de l’économie œdipienne que se réfère souvent J. Aubry, écoutant aussi ce qui de l’enfant est un fait de discours entre les parents, puis entre els parents et l’institution. Pour moi qui travaille, à Bamako, avec des enfants très carencés, je trouve, en ce recueil d’articles [1], une clinique de la déprivation et de la carence, d’une extrême finesse, dynamique, qui loin d’avoir perdu de son tranchant, apparaît chaque jour de plus en plus actuelle et de plus utile. Je pense en particulier à ce qui est écrit de l’investissement moteur défensif et auto-protecteur, des risques auto-mutilatoires. Il y a sans doute là une composante universelle. Est à signaler enfin, la profondeur et l’intelligence du travail institutionnel défendu en ces articles. Des prises de positions sur l’effet traumatique de certaines cassures dans la relation mère/enfant induites par des mesures intempestives de protection de l’enfant sont encore à rappeler. Comme tout ceci se tient dans une humanité et une hauteur de vue qui rendent dérisoires les bons conseils aux parents dont ruisselle le moralisme psychologisant d’aujourd’hui ! Une compilation des plus utiles, des plus vivantes (on y découvre des interventions rares de Lacan) et fort habilement composée. Olivier Douville [1] E . Roudinesco a modifié et « actualisé » le titre de nombreux articles proposés, le titre original est, bien sûr, indiqué en note. |
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Tales of the Tales of the British Museum
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A Glimpse to the WALLACE collection, LONDON
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Gems of the National Gallery, London
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En avril 2016, tout le monde dit "Am I Blue" et "It Could Happen To You" sur Douville's Jazz Radio
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Lien pour s'abonner à la revue PSYCHOLOGIE CLINIQUE
Lien pour s'abonner à la revue PSYCHOLOGIE CLINIQUE2 numéros par an, prochains numéros :"Imaginaire et réalité","quoi de neuf dans l'approche clinique du nourrisson ? "Exils et refuges, aujourd'hui"Je rappelle aux psy divers en libéral que ces abonnements passent intégralement en frais
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Exposition de Seydou Keita à Paris, Bamako au temps de l'élégance, de la tendresse et de l'humour
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Une halte chez le psychanalyste pour des candidats a l’aventure djihadiste
Une halte chez le psychanalyste pour des candidats à l’aventure djihadiste |
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Le travail de retissage psychique dans des contextes de marginalisation sociale : migration, exil, exclusion.
Le travail de retissage psychique dans des contextes de marginalisation sociale : migration, exil, exclusionOlivier Douville (Psychanalyste, EPS de Ville Evrard, Association Française des Anthropologues, Laboratoire CRPMS, Université Paris 7)Les paradigmes ont changé. Les paradigmes pour dire « l’autre » ont changé et changé brutalement dans le domaine politique et aussi dans nos activités. Je suis membre de l’Association Française des Anthropologues ; j’ai eu comme maîtres Devereux, Levi Strauss, et plus tard je fis grâce à Monique Sélim la bonne rencontre de Gérald Althabe; ce dernier est moins connu que les auteurs auxquels je viens juste de faire référence mais son travail est pour mes recherches aussi déterminant que les autres ; Gérald Althabe a soutenu et montré l’anthropologie pouvait très bien se faire évidement en Afrique, pouvait très bien se faire dans les bassins de l’Amazonie, dans les montagnes de la Cordillère, dans l’archipel de corail de l’Océanie, etc., mais qu’il n’y avait aucune raison qu’elle ne se fasse point dans nos quartiers, dans les HLM, dans les mégapoles en reconstruction, déconstruction, métamorphose, décomposition parfois, et qu’il y a une anthropologie des mondes de la proximité, des mondes contemporains. L’anthropologie à laquelle je me réfère a connu un déplacement ; cette anthropologie du voyage, cette anthropologie du lointain, cette anthropologie qui s’extasiait puis est devenue progressivement solidaire d’un « autre » très différent, s’est définie autrement. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de décrire celui qui est humain d’une autre façon que moi, - et là le miroir aux alouettes affole - mais de définir ce que pourraient être les conditions d’humanisation du sujet. Voilà pourquoi cette anthropologie, loin de ce qu’est devenue l’ethnopsychiatrie, se rapproche d’une question importante pour la clinique qui est celle de savoir par quels montages collectifs et singuliers un être humain peut se sentir relié à lui-même et aux autres[1]. Et ce qu’avait repéré Gérald Althabe, c’est que jusque dans les années, on va dire 1970, début des années 1980, assez curieusement, début des années 1980, et cela coïncide avec la montée en graine du Front National, l’étranger, c’était le pauvre ; c’était celui qui n’avait pas ce qu’il faut comme monnaie d’échange pour être inséré. Et puis dans nos cités la figure de l’étranger est devenue celle du migrant. Ce n’est pas de tout temps qu’existe une telle stigmatisation; à suivre les recherches de G. Althabe et M. Sélim on peu dater ces glissements dans les représentations qu’un groupe social assigné à une même communauté de résidence se fait des « figures de l’autre ». Les conclusions sont nettes, ce glissement a commencé dans les années 80-85, c’est-à-dire au même moment où la xénophobie s’est emparée du discours politique pour en devenir une de ses variations démagogiques majeures. Je vous rappelle du reste qu’en 83, il n’y avait pas que le Front National à tenir des propos xénophobes ; il ne faut pas croire que c’est le F.N qui a ouvert la porte à la xénophobie, certains partis n’étaient pas en reste sur ce qui s’incubait dans ces laboratoires exécrables de l’extrême droite. Lorsque l’étranger est devenu un paradigme pour concentrer sur lui toutes les figures de l’Autre, l’ethnopsychiatrie s’en trouva fort secouée ; j’ai connu Devereux à cette époque-là ; je n’étais pas très lié à Devereux ; je travaillais plus avec les proches de Lévi-Strauss. Devereux avait fait un travail conceptuel énorme à partir du lieu où il a été accueilli c’est-à-dire auprès des Indiens Mohaves ; puis ensuite il fut nourri de son expérience auprès des soldats amérindiens que la deuxième guerre avait traumatisés ce en quoi, il rejoignait ce monde des psychanalystes qui ont accueilli et tenté de soigner le moment de folie traumatique dans les guerres de 14-18, les aujourd’hui si peu lus Simmel, Abraham, Ferenczi, Rivers, … Devereux arrive en France, il ne s’intéresse pas aux migrants ; il apprend le grec à 50 ans passés, il propose des lectures éblouissantes de la tragédie grecque et des mythes grecs. De grands textes de Devereux parlent de la tragédie grecque et il lit le grec quand il est en France. Et autour de lui, on commence à s’intéresser aux migrants, on se souviendra de Tobie Nathan, qui va manier l’ethnopsychiatrie en la réduisant, selon moi, à une version groupale du culturalisme à prétention soignante ce qui entraine des débats forts et très violents y compris avec Devereux. Tobie Nathan a aussi une culture dans la psychologie des groupes, et dans la sociologie, lors que pour Devereux la grande discipline sœur de la psychanalyse était bel et bien l’anthropologie. Prises dans une espèce de turbulence polémique, la psychologie, la psychiatrie et un peu moins il est vrai, la psychanalyse, ont pris à bras le corps cette question de la migration et on tenté de la cerner à nouveaux frais. Certes, au départ, le lien entre migration, travail et souffrance psychiques étaient écrits, sans être pour autant une matière à question, dans les écrits sur la sinistrose. Cette mélancolie qui saisit l’ouvrier migrant après un accident du travail. Le terme date de 1908, et a été forgé par Brissaud, un élève docile de Charcot. C’était publié dans une revue sérieuse Le concours médical, et on voit que les patients étaient des ouvriers ou des mineurs lorrains, bretons, polonais. Voilà, Migration, travail, souffrance étaient déjà liés ; ces thèses sur la sinistrose ont été remis au goût du jour par un psychosociologue, Scotto, à Marseille, puis par De Almeida et par Tahar Ben Jelloun qui a fait sa thèse sur la sinistrose, « La plus haute des Solitudes », et enfin par Jalil Bennani dont le livre « Le corps suspect » paru chez Galilée en 1980, et qui vient opportunément d’être réédité. Ce qu’on voyait, c’était les questions des ouvriers solitaires, ces ouvriers qui envoyaient l’argent, qui commençaient à construire des maisons, à peine le premier étage, et aujourd’hui, ce premier étage est envahi par les herbes folles et les ronces du regret. Et puis est venu le regroupement familial, c’est pour ça qu’on s’est intéressé à nouveau à la question de la famille et que les études sur le lien entre migration et fragilité psychique, lien posé de façon bien trop abrupte, par exemple chez Marie-Rose Moro, connurent une seconde étape et elles concernèrent de près les formes et les fonctions de la relation mère-enfant. Pour ma part j’étais intéressé par le fait que plus on offrait des systèmes de soins « modernes » pour les accouchements, plus certaines jeunes femmes était en risque de faire des épisodes hallucinatoires et confusionnels lors de la mise au monde de leur premier enfant. Ce que la psychiatrie, avec une insouciance nosologique coupable, appelle la psychose puerpérale. Donc, on s’intéressait à cette psychose puerpérale, à cette époque-là, par exemple, moi, on me demandait dans les services de périnatalité si les mamans africaines veulent le placenta, est-ce qu’il faut leur donner ? A chaque fois, je disais oui, bien sûr, il faut leur donner. Or, cette espèce d’effervescence de questionnements et de démarches sur ce qui se nomme trop vite « le culturel » a, parfois en France, complètement loupé le politique, malheureusement. Le sujet était d’emblée posé comme un sujet de la coutume, pas tant que ça comme un sujet du droit ou un acteur de l’histoire. Il m’est arrivé de voir dans une consultation d’ethno-psy, je ne vous dirai pas qui menait cette consultation, un ouvrier qu’on avait envoyé car il traversait un dépression terrible d’aspect mélancolique après un accident du travail et à qui un groupe de stagiaires excitées comme des puces disaient mais alors qu’est-ce que vous avez reçu comme sort ? Et ce patient, se levant d’un bond, brisait la chaise sur laquelle il était assis, disant qu’il était un militant communiste et voulant qu’on lui foute la paix. Evidemment, ce sont des choses qui marquent quand vous voyez ça ! En réponse à ces dérives culturalistes nous avons a essayé Fethi Benslama, Jean-Michel Hirth et aussi Okba Natahi, vers la fin des années 1980 (c’était le début de la revue « Intersignes »), de tresser les fils du culturel, du politique, de la migration. Progressivement et comme un retour à un autre paradigme, je me suis rendu compte en compagnie de ces bons camarades que dès que l’on se met à travailler sur les ruptures culturelles, cela vous éloigne de l’exotique parce que la rupture culturelle, ça se produit chez nous aussi, ce n’est plus seulement le migrant qui est en rupture culturelle, ce n’est plus cet enfant qu’on dit « être entre deux cultures », c’est radicalement le « désarrimé »[2], c’est-à-dire celui ou celle qui perd ses attaches culturelles. Alors qu’est-ce que c’est que ces attaches culturelles ? Alors bien sûr l’on peut parler des grands romans, on peut parler des grands récits, etc. ; si on a un peu travaillé sur les rituels en France (les rituels de passage, les initiations sexuelles des jeunes, etc.), force est de constater que c’est la guerre de 14-18 qui a cassé tous les rituels, 90% des rituels, la couvade chez les hommes, par exemple. Que là où l’espace topographique était celui du village, du bocage, etc., là où tous ces espaces pouvaient être comme bouturés, couturés, tissés par des rituels, on a eu le village et les monuments aux morts. Aujourd’hui, l’inquiétude est vive ; comment accueillons-nous la génération qui vient ? Question lancinante et qui explique pourquoi il y a autant de candidats à se vouloir diplômés en psychologie; ça se travaille ça, cette inquiétude ; ça travaille les psychologues. Quels sont les dispositifs humanisants aptes à accueillir la génération qui vient ? En psychiatrie, bien sûr qu’il y a toujours les grands fous dont certains et de plus en plus sont à la rue, mais on voit arriver beaucoup de sujets qui sont là parce qu’ils sont terrassés par des souffrances psychiques dues à la précarité, ils ne sont pas plus fous que vous et moi, mais ils n’ont aucun moyen de faire entendre la raison de leur raison ; ils ne sont pas fous pour autant ; on peut être fou de douleur, on peut être fou de chagrin, on peut être fou d’illégitimité, c’est la folie du désespoir et c’est bien ça qu’on rencontre dans nos équipes « psychiatrie et précarité ». On s’est vite rendu compte que ces questions de dispositifs d’humanisation du sujet c’est quelque chose qu’on rencontre aux portes de nos cités, dans nos cités, sur nos trottoirs, dans les corridors souterrains des transports en commun. Je vais donner quelques éclairages concrets et sans doute trop simples. Je réduirai ce que nous entendons par le terme galvaudé de « culture » à quelque chose de très simple ; la culture c’est ce qui nous permet de tenir debout dans un lien social, de nous tenir debout devant autrui. C’est ce qui nous permet au fond de ne pas nous légitimer sans cesse, d’être vivant devant autrui, ou pour le dire en termes peut-être plus simples encore, c’est ce qui fait qu’on n’est pas réduit à son corps. Donc, là ce que j’avance comme hypothèse, c’est qu’une des premières situations que fabrique l’exclusion est de réduire le sujet à son corps. J’en veux par exemple pour signe, ce qu’il en est du parcours de quelqu’un qui est dit « réfugié », ce qui une migration un peu particulière en ce qu’elle met au premier plan la condition juridique et politique de la personne. Migration particulière, certes. Jugez-en plutôt. Le réfugié ne quitte pas un lieu, il quitte un non-lieu, un lieu qui a été dévasté, un lieu où il y a un meurtre de l’altérité, un lieu qui est en guerre, en guerre civile, ce n’est pas n’importe quelle guerre, parce que la réconciliation dans une guerre entre deux nations, c’est possible et l’histoire politique, c’est souvent l’histoire des réconciliations, mais la réconciliation dans un pays qui connait une guerre civile, c’est une élaboration plus longue, qui suppose de dépasser le rapport « persécutif » au voisin, au proche. Alors le réfugié, il sait très bien que s’il retourne « là-bas », il va connaitre les pires désagréments, y compris la mort – cette forme ultime de désagrément qu’on aimerait toujours repousser un petit peu. Quand il fait valoir son droit à trouver dans nos terres un refuge, il subit, et il est sans doute difficile qu’il en soit autrement, toute une procédure qui fait qu’il est ramené toujours à parler de son corps, à montrer son corps comme le lieu de sa vérité. Mais, plus quelqu’un, pour faire valoir la noblesse de sa parole, se condamne au silence pour montrer son corps, plus il se réduit à un corps. Parvenu en ce point, je voudrais citer une petite phrase de Deleuze, phrase que vous trouverez dans son essai sur Leibnitz, qui s’appelle Le pli, cette phrase est tout à fait extraordinaire, elle est sidérante; voilà ce qu’il écrit : « J’exige d’avoir un corps car rien n’est plus insupportable que de n’être qu’un corps ». Je crois que cette citation peut d’abord nous toucher, elle peut nous toucher un peu comme un uppercut avant de nous éclairer. Etre un corps, être réduit au corps qu’on a, cela réduit le corps à un empilement organique. Etre un corps, c’est n’être plus qu’un corps déserté du désir et de l’anticipation, c’est un corps qui est déserté de la dignité, on n’est plus que ça. Alors qu’avoir un corps, c’est rentrer dans un espace de désir, de négociation parfois, de mascarade, ce n’est pas si mal, de semblant, on en a besoin, qui se situe entre deux, trois ou quatre corps. Par exemple un groupe, s’il se réduit à une foule, est en danger de se réduire à une masse, c’est bien ce qu’essayait d’expliquer Freud dans « Psychologie collective et analyse du moi » ; la masse, c’est un seul corps qui ne prend qu’un trait du leader pour s’identifier ; quand le trait c’est la voix, ça fait un peu peur. Et bien un corps à la masse, c’est un corps qui n’est plus pris dans les circuits du désir, et c’est ce qu’on voit, ce corps se déqualifie. Vous connaissez les signaux d’alerte que l’on peut voir quand on travaille avec « des grands exclus » comme on dit, dans ces termes vraiment ampoulés…, les signaux d’alerte que l’on peut avoir sont les suivants : cette personne quitté son abri dans la rue, le bout de trottoir, l’arbre dans tel parc ou dans tel bois limitrophe de la cité et réussi, c’est très facile, à se faire enfermer dans le métro. Vous allez me dire, dans le métro, il fait un peu frais en été, il fait un peu chaud en hiver, mais je ne suis pas là pour vous donner un bulletin météo; le problème du métro, c’est qu’il n’y a plus de jour et qu’il n’y a plus de nuit et que le corps n’est plus caressé dans cette succession des signifiants - des mots qui ont des effets de corps, c’est ça que veut dire signifiant -, primordiaux que sont le jour et la nuit . Le corps n’est plus caressé par ce rythme, le corps perd ses rythmes fondateurs. il est des lieux de dé-rythmisation du corps qui sont le métro, les parkings, et pour qui est reclus dans de tels non-lieux la chute vers l’arythmie corporelle se fait de façon excessivement rapide, c’est très rapide ; si vous n’y faites pas attention, quelques semaines, quelques mois, c’est d’une rapidité suffocante. Autre signe : la perte de la pudeur. Tout d’un coup, me disait un homme, « mais moi, je n’en avais plus rien à faire de déféquer ou de pisser devant le monde ». Provocation ? Non pas du tout. Oubli qu’il y a dans le corps l’appel à autrui. Le corps se réduit à une fonction mécanique qui bouffe, qui recrache, qui pisse, etc. Le corps n’est plus installé dans le ballet humanisant des regards et des paroles, Sylvie Zucca employait l’expression des « invisibles », c’est peut-être ça, c’est peut-être surtout que ces sujets se disent que quoiqu’ils fassent, ils ne vont émouvoir absolument personne. Donc, nous sommes alertés par l’arythmie et cette impudeur qui n’est en aucun cas, une stratégie de provocation. Un corps sans abri, est le lieu d’une espèce de pulsion qui peut se vider, au vu et au su de tous, car le sujet n’est plus intégré dans le récit du su et dans le drame du vu. Alors Mercuel et Emmanuelli aussi, étaient un peu chatouillés par les écrits des psychiatres, en particulier les psychiatres français de la fin du 19ème siècle qui, travaillant sur la mélancolie, avaient travaillé sur le dit « Syndrome de Cotard » ou « Délire d’énormité ». Je rappelle très brièvement que Jules Cotard, qui avait énormément travaillé sur l’errance et notamment sur les « Juifs errants », est surtout connu pour avoir décrit par le menu une terminaison jusqu’alors insoupçonnée à la mélancolie qui est la négation d’organes. Quand ça pousse au paroxysme, le sujet énorme au corps réduit à une masse compacte se vit sans limites, non pas parce qu’il s’étendrait et s’épancherait de façon mégalomane de New York à Shanghai, non loin de là 8 cette énormité s’explique parce que tout l’espace reflue sur lui et s’abat sur lui. Les sujets qui sont dans la souffrance du dit syndrome de Cotard ne sont pas situés dans un espace euclidien riche en points de perspective, ils sont dans un moment de catastrophe de l’espace où il n’y a plus de césure, de poche de respiration entre leur corps et l’environnement. L’environnement retombant sur leur corps, ils ne peuvent que dire qu’ils sont énormes. Quand on n’est pas très futé, on va se dire « mais pour qui se prend-il ? ». La réponse est ici d’une sécheresse inhumaine. C’est que disant cela qu’il est énorme, il ne se prend pour rien au point que par la suite il pourra très bien vous dire et de mamelles patients en mélancolie délirante iront attester que les organes des sens dérivent et s’évanouissent, ils vous diront, anxieux puis indifférents qu’ils n’ont plus d’ouïe, plus de bouche, etc. Le corps du Cotard est anesthésié ; Emmanueli n’en est pas revenu, Mercuel, non plus, moi, bien sûr que non ; ces patients, on leur retire les chaussettes, il y a un bout d’orteil qui vient avec ; une anesthésie morbide terrasse leurs sensations, leur intimité a foutu le camp... Et vous repérerez cet effet d’anesthésie du corps par la façon précise dont les sujets se logent et se recoquillent dans les interstices de nos villes au point de devenir invisibles. Et il ne s’agit pas de les déloger de la rue pour les mettre dans un car, les toucher et les remettre dans la rue ; c’est complètement faux. Il faut travailler dans la rue, être proches d’eux, passer des heures, parce que là, ils vont vous demander, mais qu’est-ce que tu me veux ? Pourquoi tu es là ? C’est-à-dire qu’est-ce qui te fait résister ? C’est quoi ton désir de t’occuper de moi ? Alors si vous répondez par des pancartes sans être là en tant que vivant et parlant, en disant par exemple, que vous êtes là à côté deux parce que vous êtes un militant de la dignité humaine, ils vont vous envoyer au diable. Chacune de ces personnes nous confronte à des zones de destructivité interne et si on ne les a pas « rencontrées », on ne peut rien faire. Voilà que surgit une question au croisement de l’anthropologie et de la clinique et qui est élémentaire et rude. C’est celle de l’habitat. Qu’est-ce que c’est que l’habitat ? Qu’est-ce que c’est qu’ « habiter » ? Certainement pas uniquement avoir une maison. Qu’est-ce que c’est qu’ « habiter » ? « Habiter », c’est accueillir à nouveau les façons dont votre corps a été accueilli dans le monde ; votre corps a été soigné, attendu, édifié, éduqué, et « habiter », c’est passer d’un lieu de réclusion à un abri, ce sont des choses très simples. Telle femme, par exemple, s’était enfermée dans un amoncellement de cartons non loin des quais de Seine, là où ce n’est plus touristique. On va la voir. Et régulièrement, - et j’affirme là que les équipes doivent venir tous les jours, même si ce n’est pas toujours les mêmes personnes, les équipes doivent venir tous les jours -, et régulièrement, on voit cet amoncellement de cartons devenir un habitat, un petit peu comme une coquille d’escargot ; les ouvertures tiennent, avant c’était toujours fermé et bouché, au fur et à mesure qu’elle nous parle, les ouvertures tiennent. Peu à peu, cette femme va nous accueillir au seuil d’un abri. Voilà ce que nous ne manquons pas de produire dans notre énergie soignante, nous accompagnons l’invention que telle ou telle personne se fait de ce qu’est un espace suffisamment ouvert et suffisamment fermé pour que l’accueil soir possible. Voilà, si vous avez un seuil, vous avez un abri, ce que vous avez construit avec elle, ce qu’elle a construit, c’est un seuil. Donc quand je mentionne la notion d’accueil une réflexivité s’impose en cela qu’il est bien question de la façon dont cette patiente, comme tant d’autres, donne lieu à une rencontre, fait place à l’autre, mais surtout trouve un lieu pour abriter la façon dont elle peut recevoir ce qui vient de l’autre. Ainsi nous avons toujours des mots qui sont beaux, qui sont justes, mais que nous devons polir et travailler dans cet enjeu que représente la rencontre avec un autre qui progressivement s’est désabonné du sens social du lien. Qu’est-ce qu’accueillir l’autre si nous ne savons pas accueillir la façon dont il nous accueille ? Ce n’est rien du tout, c’est faire une déclaration de bons sentiments qui fait qu’on va se sentir bien beau, bien digne, bien propre, ça nous consolera peut-être de notre inefficacité, mais je l’espère, pas pour longtemps. Ce que peuvent les cliniciens effectivement, ce n’est pas de s’obnubiler pour savoir est-ce que cette personne est folle ou pas, est-ce que cette personne a des troubles cognitifs. Ce n’est pas le moment. C’est de reconstruire le bâti anthropologique essentiel de chaque vie en se portant près de ces personnes et en comprenant la façon dont ils traitent leur corps et leur abri, reconstituant quelque chose tout simplement par le soin, par la parole, par le respect et par la présence[3]. Ça a l’air bête comme chou mais si mettez ça en œuvre, beaucoup d’espoirs seront encore permis. Références : Althabe G., Marcadet C., De La Pradelle M., Selim M. : Urbanisation et enjeux quotidiens, Anthropos, , 1985, Réédition 1993, l’Harmattan. Althabe G., Sélim M. . : "Production de l'étranger en situation pluri-ethnique", Bulletin de l'Association Française des Anthropologues, 1985, 21-22 : 26-31. Althabe G., Légé B., Sélim M. : Urbanisme et réhabilitation symbolique, Anthropos, 1984, . Réédition 1993, l’Harmattan. Bennani J., Le corps suspect, le corps du patient face à l’institution médicale, Paris Galilée, 1981, réed. La Croisée des chemins, 2015 Dana G., , Quelle politique pour la folie ? Le suspense de Freud, Paris, Stock, 2010, Deleuze G. Le pli. Leibnitz et le baroque, Paris, ed. de Minuit, 1988 Douville O.,: « De la vertu d'hospitalité. Variations sur les exils, les errances et les retours » 2001, l'odyssée du placement familial (D. Bass et A. Pellé éd.), Toulouse, Erès, coll. Les recherches du G.R.A.P.E. ,1997 : 137-154 Douville O., : « Exclusion et errance » , Health Systems and Social Development : an alternative paradigm in health systems research. Brussels, European Commission publications. J. Le Roy & K. Sen éds., 2000 : 55-62 Douville O.,: « Adolescence, errance, exclusion », Les cliniques de la précarité, contexte social, psychopathologique, dispositifs, (sous le dir. de J. Furtos), Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française, Masson, 2008 : 143-160 Douville O., (sous la dir. de) : Clinique Psychanalytique de l’exclusion, Paris, Dunod, 2012 Douville O., : Les Figures de l’Autre, Paris Dunod, 2014 Sélim M., : "L'étranger au quotidien", L'homme et la société, 1986, 77-78 : 75-84. Sélim M., : "Les figures imaginaires de l’étranger, perspectives anthropologiques", Raison présente, 2009 169 : 53-61. [1] J’ai développé ces points dans mon livre « Les Figures de l’Autre » paru chez DUNOD en 2014. [2] Cf . Les Figures de l’Autre, op. cit. [3] Cf les travaux de G. Dana (2010) |
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